Quelques propos introductifs

La présente Newsletter de Monfrini Bitton Klein vise à offrir, de manière hebdomadaire, un tour d'horizon de la jurisprudence rendue par le Tribunal fédéral dans les principaux domaines d'activité de l'Etude, soit le droit pénal économique et le recouvrement d'actifs (asset recovery).

Sans prétendre à l'exhaustivité, seront reproduits ci-après les considérants consacrant le raisonnement juridique
principal développé par notre Haute juridiction sur les thématiques suivantes : droit de procédure pénale, droit pénal économique, droit international privé, droit de la poursuite et de la faillite, ainsi que le droit de l'entraide
internationale.

I. PROCÉDURE PÉNALE

TF 1B_210/2023 du 13 décembre 2022 | Caractère disproportionné d'un ordre de prélèvement ADN et d'établissement d'un profil ADN (art. 255, 259 et 197 CPP)

  • Dans les faits, le Ministère public de Bâle-Campagne a mené une procédure pénale contre le Recourant pour vol, dommage à la propriété et violation de domicile. Il lui était reproché de s'être rendu, avec deux autres personnes, sur le site d'une entreprise pour y voler du carburant. Le Recourant avait pour rôle de monter la garde. Au cours de cette procédure, le Ministère public a ordonné un prélèvement ADN ainsi que l'établissement d'un profil ADN du Recourant. Ce dernier a agi contre cette décision.
  • L'établissement d'un profil ADN est envisageable pour élucider des infractions déjà commises et connues des autorités de poursuite pénale dont le prévenu est soupçonné, mais il permet également d'identifier les auteurs d'infractions passées ou futures qui sont encore inconnus des autorités (cf. art. 259 CPP en relation avec l'art. 1 al. 2 let. a de la loi sur les profils d'ADN). Toutefois, en raison de l'atteinte à l'intégrité corporelle et à la liberté personnelle engendrée par cette méthode, les conditions de l'art. 36 Cst., qui se retrouvent notamment à l'art. 197 CPP, doivent être respectées (consid. 2).
  • Le Recourant a notamment fait valoir une violation du principe de proportionnalité. Selon lui, ni l'identification judiciaire, ni l'établissement d'un profil ADN ne pouvaient servir à élucider l'infraction commise. Premièrement, la police n'aurait prélevé aucune trace sur le lieu du crime. Deuxièmement, il lui est reproché d'avoir monté la garde dans le véhicule devant le lieu de l'infraction, raison pour laquelle, sur la base de cette accusation, il n'y aurait de toute façon pas de traces de lui sur les lieux. Enfin, le Recourant a estimé qu'il n'existait aucun indice permettant d'affirmer qu'il ait participé ou participera à d'autres infractions d'une certaine gravité (consid. 4.3).
  • Le Tribunal fédéral a estimé qu'en effet le prélèvement des échantillons ADN ne pouvait servir à élucider les faits incriminés. Dès lors, une telle mesure de contrainte n'aurait été proportionnée que si le Recourant aurait pu ou pourrait être impliqué dans d'autres délits d'une certaine gravité. Ayant été condamné il y a plusieurs années pour des crimes et délits contre la loi sur les stupéfiants ainsi que des délits mineurs à la circulation routière, notre Haute Cour a estimé que le Recourant ne représentait pas de risque de danger sérieux pour des biens juridiques essentiels. Par conséquent, la mesure de contrainte ordonnée ne s'avérait pas proportionnée (consid. 4.4).
  • Le Tribunal fédéral a ainsi admis le recours et renvoyé l'affaire à l'instance précédente pour nouvelle décision.

TF 6B_1083/2021 du 16 décembre 2022 | Refus d'annulation d'ordonnances pénales ; principe d'indivisibilité de la plainte pénale (art. 392, 356 al. 7 CPP) ; principe d'égalité de traitement (art. 8 Cst.)

  • Les Recourants reprochaient à l'instance précédente d'avoir refusé de les mettre au bénéfice du classement prononcé en faveur de leur co-prévenus en application de l'art. 392 CPP. Ils invoquaient la violation des art. 32 et 33 CP ainsi que des art. 356 al. 7 et 392 CPP (consid. 2).
  • Selon l'art. 392 CPP, la juridiction d'appel étend son jugement aux autres prévenus si elle juge les éléments constitutifs objectifs, les conditions de la poursuite pénale et les empêchements de procéder différemment de l'autorité précédente (consid. 2.2).
  • Le Tribunal fédéral a commencé par préciser que l'art. 392 CPP ayant pour but d'éviter des demandes de révision ultérieures, il sied de s'inspirer des dispositions sur la révision pour en interpréter ses conditions, notamment l'art. 410 CPP (consid. 2.3).
  • In casu, notre Haute Cour a confirmé les observations de l'instance précédente selon lesquelles au moment de rendre sa décision de classement à l'égard des autres prévenus, le Ministère public n'était pas revenu sur sa précédente appréciation des faits ou des conditions à l'ouverture de l'action pénale, par hypothèse erronée, mais avait constaté la survenance d'une circonstance nouvelle, qui n'existait pas lors du prononcé des ordonnances initiales : le retrait de la plainte pénale. L'on ne se trouvait donc pas dans l'exemple donné par la jurisprudence, où l'autorité appelée à statuer sur les conditions de l'art. 392 CPP considère qu'une condition à l'ouverture de l'action pénale – telle que l'existence d'une plainte pénale – faisait défaut dès le départ. Le Ministère public n'avait ainsi pas « jugé différemment les faits » au sens de l'art. 392 al. 1 let. a CPP. Il n'existait pas non plus de contrariété entre les ordonnances pénales décernées à l'encontre des Recourants et les ordonnances de classement subséquentes, puisque la situation des uns et des autres différait sur un point essentiel : l'extinction de l'action pénale ensuite du retrait de plainte. Les considérants des ordonnances de classement ne valaient donc pas pour les Recourants, de sorte que la condition de l'art. 392 al. 1 let. b CPP n'est pas non plus remplie (consid. 2.4).
  • De l'avis des Recourants, lorsque la plainte est retirée alors que certains prévenus ont fait l'objet d'une condamnation définitive, tandis que d'autres ont recouru ou formé opposition à leur ordonnance pénale, le principe d'indivisibilité de la plainte pénale (art. 32 et 33 al. 3 CP) commanderait de ne pas tenir compte du caractère postérieur du retrait de plainte, dans la mesure où ce retrait devrait nécessairement bénéficier à tous les participants, y compris aux prévenus déjà condamnés par la décision entrée en force. Le mécanisme de l'art. 392 CPP serait alors la voie par laquelle le principe d'indivisibilité de la plainte devrait être garanti, lorsque la plainte est retirée alors que certains prévenus ont fait l'objet d'une condamnation définitive, ou d'autres ont recouru, voire formé opposition à leur ordonnance pénale (consid. 3).
  • Le Tribunal fédéral s'est donc emparé de la question de déterminer les effets du principe d'indivisibilité lorsque la plainte est retirée après la condamnation, par des ordonnances pénales entrées en force, de certains des participants à l'infraction (consid. 3).
  • Notre Haute Cour ne s'était encore jamais prononcée spécifiquement sur la question (consid. 3.3).
  • Dans des arrêts précédents, le Tribunal fédéral avait jugé qu'il ne découlait pas du principe d'indivisibilité de la plainte que, lorsque les autorités pénales n'avaient pas étendu la procédure pénale à tous les participants, ou ne l'avaient pas fait en temps utile, pour quelque raison que ce soit, et que, de ce fait, l'un ou l'autre participant n'avait pas été condamné ou ne pouvait plus être puni (par exemple en raison de la prescription), la plainte pénale déposée sans réserve devait être invalidée et la procédure classée par le juge à l'encontre de tous les participants (ATF 110 IV 87). Par ailleurs, le Tribunal fédéral avait déjà indiqué par le passé que le retrait partiel de la plainte à l'égard d'un participant devait s'appliquer à tous les autres et a expressément écarté l'existence d'éventuelles exceptions au principe d'indivisibilité (ATF 132 IV 97). Enfin, il a jugé que la requête ou l'accord de la victime à la suspension de la procédure (art. 55a al. 1 CP), couplé à la non-révocation du consentement dans le délai de six mois (art. 55a al. 2 CP) équivalait à un retrait de la plainte pénale. Aussi, en cas de participation de tiers aux lésions corporelles simples, voies de fait ou menaces commises par le conjoint ou le partenaire du lésé, le principe de l'indivisibilité de la plainte veut que le classement prononcé sur la base de l'art. 55a al. 3 CP s'étende également à ces tiers (ATF 143 IV 105) (consid. 3.3.1).
  • Cette jurisprudence a été critiquée par la doctrine, qui estime qu'elle ne tient pas suffisamment compte de la ratio legis du principe d'indivisibilité, tendant à empêcher que le lésé puisse arbitrairement requérir la poursuite d'un participant plutôt que d'un autre. En outre, une application stricte de ce principe serait problématique dans le cas où le lésé et l'auteur d'une infraction trouvent un arrangement, par exemple sur le versement de dommages-intérêts. Si l'un des participants collabore pour parvenir à un accord, alors que son coauteur ou complice ne veut pas en entendre parler, il ne se justifie pas que la plainte soit obligatoirement retirée à l'égard des deux (consid. 3.3.1).
  • Le Tribunal fédéral a ensuite exposé les différents arrêts cantonaux traitant du principe d'indivisibilité (consid. 3.3.2) et analysé la doctrine abordant cette thématique (consid. 3.3.3).
  • Notre Haute Cour a fini par conclure que le principe d'indivisibilité de la plainte pénale ne commande pas de retenir une extension du champ d'application de l'art. 392 CPP (consid. 3.5).
  • Tout d'abord, il n'existe pas de conflit normatif entre l'art. 392 CPP et l'art. 33 al. 3 CP puisque, selon la lettre de cette dernière disposition, le retrait de plainte « à l'égard d'un des prévenus » profite à « tous les autres », soit à d'autres prévenus, c'est-à-dire des personnes visées par une procédure en cours, et non également à des personnes déjà condamnées. A l'inverse, l'art. 392 CPP mentionne « les prévenus ou les condamnés » (consid. 3.5).
  • In casu, les Recourants se contentaient d'affirmer que le terme « prévenu » aurait été employé, dans l'art. 33 al. 3 CP, uniquement par souci de simplification linguistique. En tous les cas, on ne peut déduire de la lettre de l'art. 33 al. 3 CP que cette disposition désignerait également les personnes déjà condamnées (consid. 3.5).
  • Selon ce qui précède, le Tribunal fédéral a donc considéré que l'approche des Recourants, selon laquelle le principe d'indivisibilité de la plainte pénale commanderait d'étendre le bénéfice du classement de la procédure aux co-prévenus déjà condamnés de manière définitive, ne reposait sur aucun fondement et devait par conséquent être écartée (consid. 3.5).
  • Les Recourants soutenaient encore qu'en refusant de les mettre au bénéfice du classement prononcé en faveur de leurs co-prévenus, l'autorité précédente avait violé le principe de l'égalité de traitement au sens de l'art. 8 al. 1 Cst. (consid. 4).
  • Ce grief a également été rejeté par le Tribunal fédéral au motif que la situation des Recourants était différente de celle des autres prévenus qui avaient fait opposition à l'ordonnance pénale ou qui n'avaient pas encore reçu de telle décision et n'avaient donc pas pu acquiescer à leur condamnation. Un second motif était que le Ministère public avait rendu ses ordonnances pénales sous des procédures séparées, au fur et à mesure des rapports que la police lui faisait parvenir. Chacun de ces rapports avait trait à un groupe distinct de participants à l'infraction, interpellés par un agent de police différent (consid. 4.2).
  • Notre Haute Cour a fini par rappeler que l'engagement d'une poursuite pénale est strictement personnel (consid. 4.3).
  • In casu, dans la mesure où les Recourants ne s'étaient pas opposés à l'ordonnance pénale, ils avaient accepté son entrée en force, y compris le fait qu'ils ne puissent plus négocier un arrangement avec la plaignante comprenant un retrait de la plainte (consid. 4.3).
  • Partant, le recours a été rejeté (consid. 6).

TF 1B_303/2022 du 19 décembre 2022 | Perquisition et mise sous scellés (art. 248 CPP) ; droit d'être entendu (art. 107 CPP, 29 al. 2 Cst.)

  • Le Tribunal des mesures de contrainte du canton de Lucerne ("TMC") avait nié l'existence d'une demande de mise sous scellés valablement formulée par le Recourant concernant ses appareils électroniques saisis. Le TMC n'était donc pas entré en matière – sans entre le Recourant en amont – sur la demande de levée des scellés du Ministère public, autorisant ce dernier à analyser les appareils saisis ou les enregistrements qu'ils contenaient (consid. 1).
  • A cet égard, le Tribunal fédéral a déclaré que l'instance inférieure avait violé le droit d'être entendu du Recourant, au sens de l'art. 29 al. 2 Cst. En effet, les parties ont le droit de s'exprimer avant que le TMC ne rende une décision, conformément à l'art. 107 al. 1 let. d CPP. Dans la décision entreprise, le TMC a autorisé le Ministère public à perquisitionner les appareils électroniques saisis du Recourant, risquant ainsi une éventuelle violation de secrets protégés par la loi. Lorsque l'instance précédente a décidé de nier la demande de mise sous scellés du Recourant, de ne pas entrer en matière sur la demande de levée des scellés du Ministère public et de restituer à celui-ci les appareils électroniques saisis en vue de leur perquisition, le juge chargé de la levée des scellés aurait dû, en vertu du droit fédéral, laisser le Recourant prendre position. En vertu du principe de la bonne foi (art. 9 Cst. et art. 3 al. 2 let. a CPP), le Recourant était également en droit d'attendre – après l'apposition effective des scellés et la réception de la demande de levée des scellés par le TMC – que ce dernier mènerait une procédure contradictoire de levée des scellés (art. 248 CPP) ou qu'il l'entendrait a minima sur une éventuelle décision de non-entrée en matière. Au lieu de cela, l'instance inférieure a statué sans accorder au Recourant le droit d'être entendu à cet égard. Il n'a pas non plus eu l'occasion de présenter des moyens de preuve à cet égard, au sens de l'art. 107 al. 1 let. e CPP (consid. 2.5).
  • Partant, le recours a été admis et la décision entreprise annulée pour violation du droit d'être entendu. La cause a été renvoyée à l'instance inférieure (consid. 3).

II. DROIT PÉNAL ÉCONOMIQUE

TF 6B_78/2021 du 23 décembre 2022 | Concours entre l'art. 46 al. 1 let. a LB et l'art. 146 CP

  • Dans cet arrêt, le Recourant a été condamné pour escroquerie par métier, faux dans les titres, blanchiment d'argent qualifié ainsi que pour acceptation non autorisée de dépôts du public (cf. art. 46 al. 1 let. a LB).
  • Le Tribunal fédéral a rappelé que les principaux objectifs de la législation sur les marchés financiers sont la protection des créanciers ou des investisseurs, d'une part, et la loyauté du marché des capitaux, d'autre part (consid. 6.4).
  • En outre, la LB a notamment pour but de protéger le bon fonctionnement du marché financier dans son ensemble ainsi que la réputation et la stabilité de la place financière suisse (consid. 6.4)
  • Ces objectifs de protection sont également au premier plan de la disposition pénale de l'art. 46 al. 1 let. a LB (consid. 6.4).
  • En revanche, l'art. 146 CP protège la valeur du patrimoine dans son ensemble (consid. 6.4).
  • Les deux normes protègent des biens juridiques différents et remplissent des buts différents, raison pour laquelle on se trouve en présence d'un cas de concours parfait conformément à l'art. 49 al. 1 CP (consid. 6.4).
  • Le Tribunal fédéral a également confirmé l'interdiction d'exercer une activité au sens de l'art. 67 CP (consid. 7.3.4).

III. DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

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IV. DROIT DE LA POURSUITE ET DE LA FAILLITE

TF 5A_934/2022 du 12 janvier 2023 | Refus d'octroi de l'effet suspensif à une plainte LP (art. 17 et 36 LP)

  • Il est possible de saisir le Tribunal fédéral d'un recours contre une décision d'effet suspensif (mesure provisionnelle) uniquement pour violation des droits constitutionnels (art. 98 LTF). Conformément à l'art. 106 al. 2 LTF, ces griefs doivent être soulevés et exposés de manière claire et détaillée (consid. 2.1).
  • L'octroi ou le refus de l'effet suspensif selon l'art. 36 LP relève du pouvoir d'appréciation de l'autorité de surveillance. La décision dépend d'une pesée des intérêts entre la continuation de la procédure d'exécution et le maintien des choses telles qu'elles existaient avant que la décision attaquée ne soit rendue (consid. 3.1).
  • En règle générale, l'effet suspensif sera ordonné lorsque la plainte ou le recours ne semblent pas dénués de chances de succès et pour autant que la mise en Suvre immédiate de la mesure, parallèlement à la procédure de plainte ou de recours, risque d'avoir pour conséquence de rendre inopérante la décision de l'autorité de surveillance qui annulerait ou modifierait ladite mesure
    (consid. 3.1).
  • L'octroi de l'effet suspensif suppose que le requérant rende vraisemblable que sa plainte n'est pas manifestement infondée et qu'il est menacé d'un préjudice difficilement réparable, ce qui doit être évalué en fonction de l'état actuel de la procédure de poursuite (consid. 3.1).
  • In casu, le Tribunal fédéral a relevé que l'on ne trouvait aucun allégué ni aucune motivation appuyant la conclusion tendant à l'octroi de l'effet suspensif à la plainte. En particulier, contrairement à ce qui figurait pour la première fois dans le recours, il n'y était aucunement allégué que la saisie litigieuse priverait le Recourant des ressources nécessaires à la couverture de ses besoins vitaux (consid. 3.4).
  • Faute de motivation suffisante (art. 98 et 106 al. 2 LTF), la demande d'effet suspensif de la plainte du Recourant a été rejetée par le Tribunal fédéral.

V. ENTRAIDE INTERNATIONALE

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