I. ProcÉdure pÉnale
TF 7B_557/2024 Admission du préjudice irréparable en lien avec l'émolument requis pour l'obtention d'une copie du dossier [p. 2] |
II. Droit pÉnal ECONOMIQUE
TF 6B_164/2024 Abus de confiance et faux dans les titres dans le cadre de plusieurs contrats d'entreprise [p. 3] |
III. Droit international privÉ
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IV. Droit de la poursuite et de la faillite
TF 4A_443/2024 Inadmissibilité d'un contrat de vente immobilière entaché d'un vice de forme comme titre valable de mainlevée provisoire [p. 6] |
V. entraide internationale
Quelques propos introductifs
La présente Newsletter de Monfrini Bitton Klein vise à offrir, de manière hebdomadaire, un tour d'horizon de la jurisprudence rendue par le Tribunal fédéral dans les principaux domaines d'activité de l'Etude, soit le droit pénal économique et le recouvrement d'actifs (asset recovery).
Sans prétendre à l'exhaustivité, seront reproduits ci-après les considérants consacrant le raisonnement juridique principal développé par notre Haute juridiction sur les thématiques suivantes: droit de procédure pénale, droit pénal économique, droit international privé, droit de la poursuite et de la faillite, ainsi que le droit de l'entraide internationale.
I. PROCÉDURE PÉNALE
TF 7B_557/2024 du 4 mars 2025 | Admission du préjudice irréparable en lien avec l'émolument requis pour l'obtention d'une copie du dossier (art. 393 CPP)
- Le 5 septembre 2023, A. («Recourant») a été mis en accusation devant le Tribunal correctionnel genevois («Tribunal correctionnel») des chefs de complicité d'abus de confiance, de faux dans les titres et de représentation de la violence.
- Par courrier du 9 janvier 2024, le Recourant a informé la direction de la procédure de son souhait de consulter le dossier au Tribunal correctionnel et solliciter une copie du dossier. Toutefois, il avait été informé par le greffe qu'au vu du volume du dossier, l'émolument s'élèverait à CHF 25'999,40. Malgré le montant, le Recourant s'est resigné à demander une copie du dossier mais a requis le prononcé d'une décision formelle, laquelle a été rendue le 15 janvier 2024, fixant l'émolument à CHF26'039.-.
- Par arrêt du 15 avril 2024, la Chambre pénale de recours genevoise a déclaré irrecevable le recours formé par le Recourant contre cette décision.
- Le Recourant a interjeté un recours devant le Tribunal fédéral contre cet arrêt et a en particulier contesté la négation de l'existence du préjudice irréparable retenu par la cour cantonale à la base de la décision d'irrecevabilité (consid. 1).
- Selon l'art. 393 al. 1 let. b CPP, le recours est recevable contre les ordonnances, les décisions et les actes de procédure des tribunaux de première instance, sauf contre ceux de la direction de la procédure.
- La jurisprudence précise que le recours est limité aux décisions susceptibles de causer un préjudice irréparable. Or, cette notion se recoupe tant au niveau cantonal que fédéral et se rapporte à un préjudice de nature juridique qui ne peut être réparé ultérieurement par un jugement final ou une autre décision favorable au recourant (consid. 2.2.1). Il existe un tel risque lorsque le prévenu est en droit de consulter le dossier (art. 101 al. 1 CPP) et de lever copies (art. 102 al. 3 CPP), et que l'un ou l'autre de ces droits lui est refusé. (consid. 2.2.2).
- In fine, au sens de l'art. 424 al. 1 CPP, la Confédération et les cantons règlent le calcul des frais de procédure et fixent les émoluments. D'un point de vue genevois, c'est l'art. 4 du règlement genevois du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale qui s'applique (consid. 2.3).
- In casu, notre Haute Cour a rappelé que par sa décision du 15 janvier 2024, la direction de procédure avait fixé le montant de l'émolument, qui devait être perçu à l'avance pour obtenir une copie du dossier du Recourant, à CHF 26'039.- (consid. 2.4.1).
- Le Tribunal fédéral a constaté que le Recourant était prévenu, et donc partie à la procédure. Il était donc en droit de consulter et de demander une copie du dossier contre versement d'un émolument. De ce fait, ce dernier pouvait être exposé à un risque de préjudice irréparable lorsque l'accès au dossier ou le droit d'en obtenir une copie lui était refusé (consid. 4.2).
- Certes, les juges de Mon-Repos ont reconnu que ni l'accès, ni l'obtention d'une copie du dossier lui avaient été niés. Toutefois, il a retenu que, selon les circonstances, lorsqu'une avance de frais était requise, le risque d'un préjudice irréparable pour la partie qui disposait d'un droit d'accès au dossier ne pouvait pas être exclu. Cela suppose néanmoins que la partie concernée se retrouve, en raison de la décision d'émolument, dans l'impossibilité d'obtenir d'une quelconque manière la levée des copies. En ce sens, la décision litigieuse s'apparentait dans ses effets à un refus de lever des copies (consid. 4.2).
- Dans l'examen de la recevabilité du recours (art. 393 CPP), l'autorité cantonale devait se limiter à établir si le Recourant avait rendu vraisemblable l'existence d'un préjudice irréparable. Notre Haute Cour a conclu que tel était le cas. Par conséquent, en niant l'existence d'un risque de préjudice irréparable la cour cantonale avait violé le droit fédéral (consid. 4.3 cum 2.5).
- Partant, le recours a été admis.
II. DROIT PÉNAL ÉCONOMIQUE
TF 6B_164/2024 du 26 février 2025 | Abus de confiance et faux dans les titres dans le cadre de plusieurs contrats d'entreprise (art. 138 ch. 1 al. 2 CP, art. 251 ch. 1 CP)
- («Recourant») et B. (ensemble «Recourants») étaient tous deux administrateurs et présidents, avec signature individuelles, de H. SA, société active dans la construction immobilière en tant qu'entreprise générale.
- Le 14 août 2013, H. SA a conclu un contrat d'entreprise générale («CEG») avec les époux D. et C. pour la construction d'une villa pour le prix forfaitaire de CHF 1'150'000.- payables en six versements, selon l'avancement du chantier. Toutefois, selon le CEG, l'entreprise s'engageait à n'utiliser les fonds reçus que pour payer les travaux réalisés aux entreprises, artisans et fournisseurs dans un échéancier préétabli afin d'éviter toute inscription d'hypothèque légale.
- Par la suite, les époux C. et D. ont commandé des plus-values pour un montant total de CHF350'000.- dont le paiement devait intervenir avant l'exécution des travaux sur un compte bancaire de H. SA.
- Par courrier du 22 juin 2015, H. SA a requis des nouveaux versements de la part des époux. Cependant, une grande partie des sommes reçues ont été versées à des entreprises qui dans les faits n'étaient jamais intervenues sur le chantier de la villa.
- Le 20 novembre 2014, H. SA a conclu un deuxième CEG avec E. et F. portant sur la construction d'une villa dont le prix forfaitaire était de CHF1'330'000.-, TVA comprise et qui était payable en sept versements, selon l'avancement du chantier. Le couple avait également commandé des plus-values qui n'avaient pas servi au paiement des frais de chantier.
- Par jugement du 18 novembre 2022, le Tribunal de police genevois a reconnu les Recourants coupables d'abus de confiance, de violation de l'obligation de tenir une comptabilité et de faux dans les titres.
- Sur appel, la Chambre pénale d'appel et de révision de la Cour de justice genevoise a partiellement admis les griefs formés par les deux couples d'époux.
- Puis, toutes les parties ont interjeté recours au Tribunal fédéral.
- Les Recourants ont notamment contesté leurs condamnations pour abus de confiance en relation avec les divers paiements et acomptes versés par les couples intimés (consid. 3).
- Au sens de l'art. 138 ch. 1 al. 2 CP, se rend coupable d'un abus de droit celui qui, sans droit, aura employé à son profit ou au profit d'un tiers des valeurs patrimoniales qui lui avaient été confiées.
- L'auteur doit avoir acquis la possibilité de disposer de valeurs patrimoniales qui appartiennent économiquement à autrui sur la base d'un accord ou autre rapport juridique (volet objectif); et l'auteur doit avoir agi intentionnellement et dans un dessein d'enrichissement illégitime (volet subjectif). Le comportement délictueux consiste à utiliser les valeurs patrimoniales contrairement aux instructions reçues (consid. 1.1).
- Dans le cadre d'un contrat d'entreprise (art. 363ss CO), les acomptes versés par le maître de l'ouvrage à l'entrepreneur constituent des valeurs patrimoniales confiées, pour autant que les parties aient convenu de l'affectation des acomptes (consid. 1.2).
- In casu, contrairement à ce que soutient le Recourant, il ressort des demandes de versement que celles-ci étaient dues pour l'exécution des plus-values, au travers d'une annexe du CEG qui renvoyait à la clause d'affectation dudit CEG. Dès lors, les versements avaient une affectation précise et claire, soit le paiement des sous-traitants ayant effectué ces travaux. Ainsi, le fait que les versements litigieux aient été utilisés à des fins de paiement d'anciens chantier ou de versement de salaires, sous prétexte que les sous-traitants avaient déjà effectué leur travail et déjà été payés, ne pouvait pas être suivi. Par ailleurs, le Tribunal fédéral a retenu qu'en s'acquittant d'arriérés, le Recourant avait agi avec l'intention de se procurer ou procurer à un tiers un enrichissement illégitime. De ce fait, notre Haute Cour a retenu que le Recourant avait commis un abus de confiance à cet égard (consid. 2.1ss).
- Le Recourant a par ailleurs contesté sa condamnation pour faux dans les titres en relation avec les factures de deux sociétés mandatées par H. SA (consid. 4).
- Au sens de l'art. 251 ch. 1 CP, est punissable la création, la falsification d'un titre, l'abus d'une signature ou d'une marque pour la fabrication d'un titre supposé sur la base d'un fait ayant une portée juridique.
- In casu, selon l'arrêt attaqué le Recourant a remis à la banque S. une facture provenant d'une des sociétés mandatées concernant la villa du couple E. et F., sans l'en-tête ni la signature de la société émettrice pour un montant de CHF 29'173.71 à titre d'«Acompte», accompagné d'un bon de paiement pour un montant équivalent. De même, le Recourant a modifié une facture déjà émise, gommant notamment la mention relative à l'un des chantiers pour l'adresser à la banque en relation avec un autre chantier. Quand bien même le Recourant a soutenu ne pas être l'auteur du document, contrairement à l'établissement cantonal des faits, il a présenté ce document à la banque, ce qui est un comportement tout autant réprimé par l'art. 251 CP.
- Le Tribunal fédéral a par ailleurs considéré que le document en cause n'était pas un mensonge écrit mais bel et bien un faux, car il avait été modifié par le Recourant de sorte que cela donne l'impression que l'entreprise mandatée avait émis une facture, alors que cette dernière n'avait en réalité pas effectué de travaux ni établi de facture. En d'autres termes, les factures et les bons de paiement correspondants constituaient des écrits, destinés et propres à prouver un fait qui était faux, soit l'existence de travaux fictifs. Le Tribunal fédéral a précisé que dans le domaine de la construction, le contrôle des factures des entrepreneurs supposait des connaissances techniques, des mesures plus ou moins fastidieuses et une présence relativement régulière sur le chantier, de sorte que la banque pouvait partir de l'idée que les travaux mentionnés avaient été effectués et que les montants réclamés étaient dus. C'est donc à juste titre que la cour cantonale avait retenu la commission de faux dans les titres (consid. 2 cum 4.3).
- In fine, s'agissant des conclusions civiles, il est rappelé que les prétentions civiles qui peuvent être invoquées dans le cadre de l'action pénale sont exclusivement celles qui sont déduites de l'infraction. La partie plaignante peut ainsi réclamer la réparation de son dommage, au titre des art. 41 à 46 CO, et l'indemnisation de son tort moral, au sens des art. 47 et 49 CO, dans la mesure où ceux-ci découlent directement de l'infraction reprochée. En revanche, les prétentions contractuelles reposant sur un contrat ne peuvent faire l'objet de conclusions civiles au sens des art. 122 ss CO.
- In casu, le couple E. et F. a eu gain de cause au niveau cantonal s'agissant des montants de dommages-intérêts correspondant notamment à la somme versée pour le paiement des plus-values quelques jours avant la vente de la société H. SA, le reste des prétentions civiles n'étaient pas suffisamment prouvées ou en lien avec des prétentions contractuelles. En l'état, puisque l'état de fait n'était pas clair s'agissant du remboursement ou non d'un des montants séquestrés, l'application de la loi ne pouvait pas être vérifiée. La décision devait donc être annulée sur ce point et renvoyée à la cour cantonale pour clarification de l'état de fait. Pour le surplus, les griefs ont été rejetés (consid.14).
- Partant, le recours a été partiellement admis.
III. Droit international privÉ
IV. DROIT DE LA POURSUITE ET DE LA FAILLITE
TF 4A_443/2024 du 25 février 2025 | Inadmissibilité d'un contrat de vente immobilière entaché d'un vice de forme comme titre valable de mainlevée provisoire (art. 82 LP)
- Le 28 septembre 2023, la société C. Sàrl (« Sàrl») a fait notifier à A. et B. («Recourants») le commandement de payer n° X et n° Y de l'Office des poursuites de la Sarine portant sur la somme de CHF 160'000.-, montant versé par C. Sàrl sur la base du contrat de vente-acquisition d'un bien immobilier du 7 août 2023, pour lequel les deux parties avaient déjà été mises en demeure.
- Les Recourants ont fait opposition totale en temps utile et la créancière poursuivante a requis la mainlevée définitive sur les deux oppositions.
- Par décision rendue le 12 mars 2024, le Tribunal civil de la Sarine a rejeté la requête de la créancière poursuivante en raison d'un titre de mainlevée définitive insuffisant. Par arrêt du 18 juin 2024, la décision a été annulée par la Cour d'appel civil du Tribunal cantonal fribourgeois qui a admis le recours formé par C. Sàrl. Les Recourants ont donc interjeté un recours au Tribunal fédéral.
- Devant notre Haute Cour, les Recourants ont invoqué la nullité du contrat du 7 août 2023 en ce qu'il ne revêtait pas la forme authentique tout en portant sur une vente immobilière. Dès lors, le contrat ne pouvait pas valoir reconnaissance de dette au sens de l'art. 82 LP (consid. 5).
- Au sens de l'art. 82 al. 1 LP, le créancier dont la poursuite se fonde sur une reconnaissance de dette constatée par acte authentique ou sous seing privé peut requérir la mainlevée provisoire.
- Constitue une reconnaissance de dette au sens de cette disposition, l'acte sous seing privé signé par le poursuivi d'où ressort sa volonté de payer au poursuivant, sans réserve ni condition, une somme d'argent déterminée ou aisément déterminable et exigible. La jurisprudence précise que la procédure de mainlevée provisoire est une procédure sur pièces (Urkundenprozess), dont le but est de constater l'existence d'un titre exécutoire dont le juge va examiner la force probante, sa nature formelle et lui attribuer force exécutoire si le débiteur ne rend pas immédiatement vraisemblables ses moyens libératoires (consid. 2.1 cum 5.2.2).
- Au sens de l'art. 82 al. 2 LP, le poursuivi peut faire échec à la mainlevée provisoire par le biais de tous les moyens de droit civil qui infirment la reconnaissance de dette.
- Au sens de l'art. 216 al. 2 CO, la forme authentique est requise pour la validité d'une promesse de vente immobilière. S'il ne revêt pas cette forme, l'accord est en principe entaché de nullité absolue sous réserve de l'abus de droit (consid. 3.1 cum 5.3.2).
- In fine, en ce qui concerne les vices de formes, la clause générale de l'art. 2 al. 2 CC peut exceptionnellement tenir en échec la nullité pour vice de forme. Ainsi, il est généralement jugé abusif de se prévaloir du vice de forme après que le contrat a été exécuté pour l'essentiel, alors que l'abus de droit est a priori écarté quand la partie a agi en ignorant le vice de forme ou n'a pas encore accompli les prestations convenues.
- In casu, notre Haute Cour a retenu, contrairement à la cour cantonale, qu'il n'était pas établi que les Recourants avaient conscience de la nullité de l'acte à la signature, mais uniquement de la nécessité d'une formalisation devant le notaire. Les deux choses n'étant pas équivalentes. Toutefois, il incombait au juge de la mainlevée d'examiner la nature formelle du titre produit et non pas la matérialité de la créance. De ce fait, le Tribunal fédéral a considéré qu'un contrat de vente immobilier nul pour vice de forme en vertu de la loi ne pouvait pas constituer un titre de mainlevée provisoire. Ceci, en dehors de toute autre conséquence qui pouvait être déduite d'un tel contrat, lesquelles relevaient du juge du fond. Aussi, la mainlevée devait être refusée et l'intimé devait faire valoir ses moyens dans le cadre d'une action au fond (cf. art. 62 ss CO) (consid. 5.4).
- Partant, le recours a été admis.
V. ENTRAIDE INTERNATIONALE
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