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L'intelligence artificielle (« IA ») offre des solutions innovantes pour renforcer la sécurité au travail. Toutefois, son utilisation doit s'inscrire dans le respect des droits fondamentaux et des obligations en matière de protection de la vie privée, comme le rappelle une décision récente du Tribunal d'arbitrage 1.
Les faits
En 2023, une entreprise de transport par autobus (« Employeur »), a implanté un système de surveillance (« Système ») basé principalement sur l'intelligence artificielle («IA »).
Ce Système comprend deux caméras : l'une filme la route, l'autre l'intérieur de la cabine, captant le chauffeur de la tête aux genoux. Les enregistrements sont effectués en continu, du démarrage du véhicule jusqu'à 15 minutes après son arrêt, et conservés pendant une période de 90 jours sur les serveurs du fournisseur, mais l'Employeur peut consulter ou extraire le contenu à sa discrétion.
Ce Système permet également :
- Le visionnement en direct des images captées (jusqu'à dix minutes par mois par autobus);
- L'accès discrétionnaire aux vidéos, même en l'absence d'incident détecté;
- L'identification automatique de comportements à risque (ex. : usage du téléphone, omission d'un arrêt, absence de ceinture);
- La diffusion de vidéos à des fins de formation, parfois sans consentement du chauffeur;
- L'affichage sur la page de localisation des véhicules d'une photo du chauffeur assigné à chaque autobus en service. Cette image, captée par la caméra intérieure, est automatiquement mise à jour toutes les deux minutes; et
- L'isolement et le traitement par l'Employeur d'un extrait vidéo de 2 à 10 secondes en cas d'incident capté par le Système qui peut faire l'objet d'un programme de formation basé sur ces événements.
Le grief
Le Syndicat a déposé un grief afin de contester certaines fonctionnalités du Système sous prétexte qu'elles contreviennent au droit à des conditions de travail justes et raisonnables, à la vie privée et à la dignité en vertu des articles 4, 5 et 46 de la Charte des droits et libertés de la personne 2(« Charte »).
Plus précisément, le Syndicat dénonce la vidéosurveillance en continu, par une caméra dirigée vers le chauffeur, y compris en dehors de la prestation de services, la conservation des enregistrements à des fins autres que celles justifiant leur collecte, le visionnement en temps réel des chauffeurs, ainsi que l'utilisation de leur image sans consentement.
La décision
Le Tribunal reconnaît que la fonction principale du Système — soit la détection d'incidents de sécurité — est justifiée et nécessaire. Plus précisément, il soutient que la protection de la sécurité des usagers de la route et des chauffeurs justifie l'installation du Système, d'autant plus que les chauffeurs conduisent des véhicules lourds.
En revanche, le Tribunal conclut que les fonctionnalités ci-dessous du Système sont excessives et contreviennent aux droits fondamentaux des chauffeurs au regard des la Charte:
- Le visionnement en temps réel des images captées par la caméra intérieure en direct;
- La conservation des bandes de vidéosurveillance de la caméra intérieure non liées aux incidents de sécurité signalés, avec un accès discrétionnaire accordé à certaines personnes désignées par l'Employeur;
- La publication sur la page de localisation des véhicules de la photo des chauffeurs;
- La diffusion interne des vidéos d'incidents impliquant les chauffeurs lorsqu'ils sont identifiables, sans leur consentement;
- Le Tribunal après une analyse détaillée de la situation estime que l'Employeur n'a pas démontré que ces pratiques sont rationnellement liées à la prévention des incidents mettant en cause la sécurité des personnes ni qu'elles sont proportionnées ou justifiées par d'autres motifs raisonnables et légitimes.
En conséquence, le grief est partiellement accueilli : l'Employeur doit mettre fin aux pratiques contraires à la Charteet verser à chaque chauffeur visé une indemnité compensatoire de 100 $ pour compenser le préjudice moral qui découle de la contravention au droit à la vie privée, de la dignité et à des conditions de travail justes et raisonnables.
Les points à retenir
L'utilisation d'un système d'IA doit d'une part respecter les droits prévus à la Charte (notamment, le droit à la vie privée, à la dignité et à des conditions de travail justes et raisonnables) et d'autre part, les obligations prévues aux lois en matière de protection des renseignements personnels 3.
Plus précisément, les lois en matière de protection des renseignements personnels, qui jouissent d'un statut quasi constitutionnel, prévoient différentes obligations en matière d'utilisation de système d'intelligence artificielle telles que :
- La mise en place d'évaluation des facteurs relatifs à la vie privée en amont à l'instauration d'un système d'intelligence artificielle afin d'identifier les risques d'atteinte à la vie privée et minimiser ces risques;
- La mise en place d'une analyse quant à la nécessité d'implanter un système d'intelligence artificielle, c'est-à-dire que le système ne doit pas être simplement utile, mais répondre à une problématique réelle et objective;
- L'obtention d'un consentement afin d'utiliser et de communiquer les images captées par le système d'intelligence artificielle (par exemple, par l'entremise d'un formulaire de consentement) à des finalités spécifiques;
- Les procédures entourant l'accès aux bandes vidéos captées par le système d'intelligence artificielle;
- Les délais de conservation des bandes vidéos captées par le système d'intelligence artificielle.
Footnotes
1. STT de Coach Canada - CSN c. NewCan Coach company ULC (Coach Canada), 2025 QCTA 403.
2. Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ c C-12.
3. Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, RLRQ, P-39.1 et Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels des organismes publics, RLRQ, A-2.1.
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