La Charte de la langue française  du Québec (la « Charte ») sera remaniée par suite d'un projet de loi modificateur déposé à l'Assemblée nationale le 13 mai 2021. Le projet est intitulé Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français  (le « projet de loi 96 ») et les modifications connexes exigeront de nombreuses entreprises exerçant leurs activités au Québec qu'elles renforcent leur engagement à utiliser le français, notamment en ce qui concerne :

  • les communications avec les clients;
  • les contrats et les documents connexes;
  • l'affichage extérieur;
  • les rapports avec le gouvernement du Québec et ses organismes.

Les mécanismes de sanction plus forts constituent un élément clé de la nouvelle législation, qui prévoit des amendes plus élevées et de portée plus vaste et la possibilité d'annuler les contrats non conformes.

Le présent billet expose les modifications proposées à la Charte (et, dans certains cas, aux dispositions sur la langue d'autres lois du Québec) qui auront le plus d'incidences sur les entreprises. Les modifications liées aux obligations visant la langue française et la francisation des employeurs (la certification gouvernementale attestant de l'utilisation généralisée du français sur le lieu de travail) sont traitées dans un billet de blogue distinct rédigé par notre groupe Emploi.

Communications avec les clients

L'obligation des entreprises d'informer et de servir sa clientèle en français est renforcée. Le non-respect de cette obligation est désormais une infraction punissable d'une amende.

Contrats et documents connexes

Les parties peuvent toujours choisir de conclure des contrats types en version anglaise seulement ou de signer une version anglaise seulement d'un contrat qui comprend des clauses types,  mais elles n'y sont autorisées que si elles ont d'abord eu l'occasion d'examiner la version française du contrat ou de la clause. Si les parties choisissent alors de conclure le contrat (ou de consentir à la clause) exclusivement en anglais, les documents qui s'y rattachent pourront être rédigés exclusivement en anglais (article 55).

Il est désormais expressément interdit : (i) de demander à une partie de conclure une version dans une langue autre que le français d'un contrat type ou d'un contrat qui comprend des clauses types autres qu'en français; (ii) d'envoyer les documents qui s'y rattachent dans une langue autre que le français; (iii) de demander à l'autre partie de payer pour la rédaction de la version française du contrat ou des documents qui s'y rattachent (article 55).

La règle selon laquelle les factures, les reçus, les quittances  et les documents semblables doivent être rédigés en français (sauf s'ils sont liés à un contrat de langue anglaise autorisé par l'article 55) est maintenue, mais la Charte exige désormais qu'une version française soit toujours aussi accessible que la version anglaise.

Certains contrats liés à la vente d'immeubles résidentiels doivent désormais être rédigés en français.

Outre ces modifications liées aux contrats conclus entre des parties privées, le projet comprend de nouvelles dispositions liées aux contrats conclus avec le gouvernement du Québec et des entités connexes, qui sont décrites ci-après.

Affichage extérieur

Deux grandes modifications portant sur l'affichage commercial extérieur sont proposées, afin de tenter de réduire le plus possible la portée de l'exception applicable aux marques de commerce qui ne sont pas rédigées en français seulement.

Le texte français doit désormais prédominer

Les règles d'affichage extérieur avaient été modifiées en 2016 (voir les détails dans notre billet précédent) afin d'autoriser les marques de commerce dans une langue autre que le français sur l'affichage extérieur, tant qu'il y avait suffisamment de français dans le même champ visuel. Il n'y avait aucune obligation d'avoir des caractères de même taille que ceux de la marque de commerce dans une langue autre que le français. Les nouveaux articles 58.1 et 68.1 exigeront que le français figure de façon nettement prédominante  dans l'affichage public et la publicité commerciale, visibles depuis l'extérieur d'un local, d'une marque de commerce dans une langue autre que le français ou du nom d'une entreprise comportant une expression tirée d'une langue autre que le français, comme un patronyme, un toponyme, des expressions formées de la combinaison artificielle de lettres, de syllabes ou de chiffres et des expressions tirées d'autres langues.

Seules les marques de commerce déposées pourront bénéficier de l'exception

L'exception actuelle qui permet d'utiliser les marques de commerce reconnues dans l'affichage public et la publicité commerciale, même si elles contiennent des mots dans une langue autre que le français comme partie de la marque, sera désormais limitée aux marques qui sont déposées au sens de la Loi sur les marques de commerce  fédérale.

Sanctions

Si les dispositions d'un contrat, d'une décision ou d'un autre acte contreviennent à la Charte et causent un préjudice à quelqu'un, la personne concernée peut demander l'annulation du contrat, de la décision ou de l'acte. Dans le cas d'un contrat, la partie peut demander au tribunal une réduction de son obligation équivalente aux dommages-intérêts qu'elle pourrait réclamer. Veuillez noter que les contrats conclus avec le gouvernement du Québec et des entités liées sont assujettis à une norme plus stricte, comme il est décrit ci-après.

Si un contrat type ou une clause type contrevient à l'article 55 (par ex. si sa version française n'est pas fournie), l'adhérente (la partie qui n'impose pas le contrat type) pourrait plutôt demander l'annulation du contrat et elle ne sera pas tenue de prouver que cette contravention lui cause un préjudice.

L'Office québécois de la langue française, organisme gouvernemental qui surveille la conformité à la Charte, peut demander le prononcé d'une injonction afin, entre autres, d'ordonner le retrait d'un affichage qui contrevient à la Charte aux frais de la partie contrevenante.

Traiter avec le gouvernement et les tribunaux du Québec

Les modifications auront également une incidence sur la façon dont les entreprises traitent avec le gouvernement du Québec, notamment ses ministères et organismes (l'« Administration » circonscrite à l'annexe I de la Charte), les organismes parapublics comme les ordres professionnels et les tribunaux. Outre la modification qui est censée consacrer le français comme seule langue officielle du Québec dans la Constitution canadienne et celle qui prévoit que les versions françaises des lois du Québec prévaudront sur les versions anglaises en ce qui concerne leur interprétation, de nombreuses modifications ont une incidence directe sur les entreprises.

Traiter avec le gouvernement du Québec

L'obligation imposée à l'Administration du Québec d'utiliser le français dans ses activités et la fourniture de ses services a été renforcée.

Les contrats conclus avec l'Administration du Québec  doivent être rédigés en français sous réserve d'exceptions limitées, bien que l'Administration du Québec puisse toujours conclure des contrats dans une langue autre que le français lorsqu'elle contracte avec une partie à l'extérieur du Québec.

Les documents fournis à l'Administration afin d'obtenir un permis ou une autre autorisation de type semblable doivent être fournis en français, sauf exception établie par règlement.

L'obligation des ordres professionnels (comme ceux qui réglementent les médecins et les avocats) d'utiliser le français dans leurs activités a été renforcée, notamment lorsqu'ils communiquent à l'interne et avec des tiers.

Il est important d'observer qu'un contrat, une décision ou un autre acte de l'Administration du Québec qui contrevient à la Charte est absolument nul  en vertu de l'article 204.17 de la législation proposée, que le « préjudice » découle ou non de la contravention. Si le contrat est conforme à la législation, mais que son exécution entraîne un manquement, le gouvernement du Québec pourrait demander au tribunal « la résolution, la résiliation ou la suspension » du contrat au motif que celle-ci serait dans l'intérêt du maintien du statut de la langue française au Québec.

Actes de procédure

La personne morale qui produit un acte de procédure en anglais doit y joindre une traduction en français certifiée rédigée à ses frais.

Dépôts aux registres

Le projet de loi 96 instaure également des modifications à certaines dispositions du Code civil du Québec (le « C.c.Q. ») selon lesquelles les inscriptions produites dans certains registres doivent être exclusivement en français.

Parmi les articles modifiés, on compte les suivants :

  • L'article 1060 du C.c.Q. qui concerne la déclaration de copropriété, ainsi que les modifications apportées à l'acte constitutif de copropriété et l'état descriptif des fractions de la copropriété divise déposées au registre foncier. Les modifications aux règlements déposées au registre tenu par le syndicat des copropriétaires doivent aussi être exclusivement en français.
  • L'article 2984 du C.c.Q. qui concerne les réquisitions d'inscription, qui doivent dorénavant être rédigées exclusivement en français. Cet article fait partie des règles générales qui régissent les réquisitions d'inscription au registre foncier et au registre des droits personnels et réels mobiliers.

En outre, l'article 3006 du C.c.Q., dans sa version modifiée, exigera que les documents qui, lorsque la loi le prescrit, doivent accompagner la réquisition d'inscription soient présentés accompagnés d'une traduction vidimée au Québec, si les documents sont rédigés dans une langue autre que le français.

Autres sanctions

Les contraventions répétées à la Charte peuvent entraîner la révocation du permis ou d'une autre autorisation d'une entreprise.

Les amendes applicables en cas de contravention à certaines dispositions de la Charte ont été augmentées et vont de 700 $ à 7 000 $ dans le cas d'une personne physique et de 3 000 $ à 30 000 $ dans les autres cas. Les amendes s'appliquent pour chaque jour durant lequel l'infraction se poursuit. Ces montants sont portés au double pour une première récidive et au triple pour toute récidive additionnelle.

En outre, les amendes sont doublées pour les administrateurs et dirigeants qui commettent une infraction à la Charte. Veuillez noter que, lorsqu'une personne morale ou un agent, mandataire ou employé de celle-ci commet une infraction à la Charte, les administrateurs de la personne morale sont présumés avoir commis l'infraction, bien qu'ils puissent présenter une défense de diligence raisonnable.

Entrée en vigueur

Même si le gouvernement du Québec a manifesté son intention de faire adopter le projet de loi 96 avant la fin de l'année, nous n'avons actuellement aucune indication ferme portant sur une date d'adoption. Aux termes des dispositions transitoires du projet de loi, les modifications proposées entreront en vigueur graduellement dans les trois ans qui suivent la sanction royale.

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