Quelques propos introductifs

La présente Newsletter de Monfrini Bitton Klein vise à offrir, de manière hebdomadaire, un tour d'horizon de la jurisprudence rendue par le Tribunal fédéral dans les principaux domaines d'activité de l'Etude, soit le droit pénal économique et le recouvrement d'actifs (asset recovery).

Sans prétendre à l'exhaustivité, seront reproduits ci-après les considérants consacrant le raisonnement juridique
principal développé par notre Haute juridiction sur les thématiques suivantes : droit de procédure pénale, droit pénal économique, droit international privé, droit de la poursuite et de la faillite, ainsi que le droit de l'entraide
internationale.

I. PROCÉDURE PÉNALE

TF 1B_376/2022 du 20 octobre 2022 | Décision sur la recevabilité de l'appel joint du Ministère public (art. 403 al. 1 et 3 CPP)

  • L'Obergericht du canton d'Argovie n'a pas commis de retard injustifié lorsqu'il a indiqué qu'il se prononcerait sur la recevabilité de l'appel joint du Ministère public lors de la procédure d'appel elle-même et non avant l'audience, contrairement à la demande du prévenu.
  • Ce raisonnement se justifie notamment par le fait que la procédure d'appel devait de toute manière avoir lieu en raison de l'appel déposé par les lésés (consid. 2.3).

TF 1B_108/2022 du 10 octobre 2022 | Préjudice juridique en cas de risque de perte de preuves (art. 394 let. b CPP)

  • Deux prévenus sont poursuivis dans des procédures distinctes, mais connexes, par deux Ministères publics différents : le prévenu A, détenteur d'une ferme, par le Ministère public de Bischofszell, et le prévenu B, vétérinaire cantonal et chef de service du canton de Thurgovie, par le Ministère public de Frauenfeld. Dans le cadre de la procédure ouverte à l'encontre du prévenu B, le Ministère public de Frauenfeld a levé un séquestre qu'il avait ordonné sur plusieurs documents et objets en lien avec le prévenu A, et a demandé à ce qu'ils soient restitués au cabinet vétérinaire. Le Recourant, le prévenu A, a alors requis du Ministère public de Bischofszell que ces divers documents et objets soient à nouveau séquestrés, ce qu'il a refusé de faire par décision du 19 octobre 2021.
  • Devant notre Haute Cour, le Recourant s'est prévalu d'une violation de l'art. 394 let. b CPP. Il a expliqué que l'instance inférieure aurait dû entrer en matière sur son recours contre la décision du 19 octobre 2021, car il y avait un risque de perte de preuves. En effet, en restituant les documents au cabinet vétérinaire, il y aurait eu, selon lui, un risque de manipulation, le cabinet vétérinaire étant entièrement libre de se défaire desdits documents qui n'avaient été ni paginés, ni répertoriés par l'autorité de poursuite.
  • L'instance cantonale de dernière instance a quant à elle jugé qu'il n'y avait aucun risque de perte de preuves par cette décision, puisqu'il était possible que le tribunal compétent ordonne à nouveau le séquestre des objets ayant été restitués, ceci étant facilité par une liste ayant été établie par l'autorité de poursuite laquelle identifiait et désignait lesdits éléments de manière suffisante et claire.
  • Dans son arrêt, le Tribunal fédéral a commencé par rappeler que les termes « préjudice juridique» figurant à l'art. 394 let. b CPP équivalent à ceux de « préjudice irréparable » au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF. Il existe ainsi un préjudice juridique lorsque le rejet d'une demande de preuve risque d'entraîner une perte de preuves. La simple possibilité théorique d'une perte de preuves ne suffit pas; il faut au contraire un risque concret
    (consid. 3.1).
  • En application de sa jurisprudence, le Tribunal fédéral a suivi l'appréciation faite par l'instance précédente en soulignant que les documents et objets restitués avaient été énumérés en détail dans une liste de deux pages, ce de manière suffisamment claire. Par ailleurs, il a retenu qu'il fallait partir du principe que le cabinet vétérinaire allait les conserver de manière appropriée jusqu'à la fin de la procédure pénale en cours ou assurer leur éventuelle nouvelle remise, même s'ils n'étaient pas paginés et n'étaient pas repris en détail dans un répertoire du dossier (consid. 3.3).
  • Partant, le Tribunal fédéral a considéré qu'un risque concret de perte des documents et objets en question n'était ni démontré ni visible. Au surplus, notre Haute Cour a ajouté que le Recourant n'avait pas expliqué dans quelle mesure les documents et objets en question pouvaient être des moyens de preuve utiles à sa défense dans la procédure pénale en cours contre lui en conformité avec l'art. 6 CEDH en relation avec l'art. 139 al. 1 CPP
    (consid. 3.3).
  • Au vu de ce qui précède, le recours a été rejeté (consid. 4).

TF 6B_1119/2021 du 6 octobre 2022 | Classement d'une procédure contre un avocat pour violation du secret professionnel – frais de procédure mis à sa charge (art. 426 al. 2 CPP)

  • Factuellement, l'avocat A. a été appelé par son ancien client B. lorsque celui-ci a été arrêté en raison de soupçons pour violences à l'encontre de son amie C., que l'avocat A. représentait également dans une autre cause. L'avocat A. a alors fait écouter à B. au poste de police un message que C. lui avait laissé sur sa boîte vocale, informant son avocat qu'elle souhaitait innocenter son ami B. Le Ministère public du canton de Lucerne a ouvert une procédure contre l'avocat A. pour violation du secret professionnel au sens de l'art. 321 CP, avant de classer ladite procédure sur la base de l'art. 319 al. 1 let. b CPP, car aucune plainte n'avait été déposée. L'avocat A. a recouru au Tribunal fédéral en concluant au rejet des frais mis à sa charge selon l'art. 426 al. 2 CPP.
  • Le Tribunal fédéral a commencé par rappeler que le droit civil consacre le secret professionnel de l'avocat comme faisant partie de la sphère intime du client, garantie par le droit de la personnalité au sens des art. 27 ss CC. Les propos tenus par un client sur la Combox d'un avocat font ainsi l'objet de cette sphère intime protégée par le droit de la personnalité (consid. 2.4.6).
  • In casu, le Tribunal fédéral a souligné qu'il était particulièrement important de relever que C.¸ cliente de l'avocat recourant dans une autre cause parallèle, avait demandé à plusieurs reprises d'être rappelée par son mandataire concernant la présente affaire dans laquelle il était nommé pour la représentation de B. Le message Combox ne pouvait être compris par le Recourant que comme une information préalable à un entretien entre un client et son avocat. Par ailleurs, dans la plainte, il était indiqué que B. avait été arrêté pour suspicion de « violences domestiques ». Après la première écoute silencieuse du message vocal, le Recourant devait être conscient de ce contexte factuel. Il ne pouvait pas, sans concertation préalable avec C., « dans le sens d'une gestion soigneuse du mandat ainsi que de la recherche de la vérité, [se] voir obligé de faire écouter à son client [B.] le message Combox laissé par C. ». Lorsque C. avait adressé sur la boîte vocale de son avocat, des propos relatifs à B., ceux-ci étaient donc indubitablement protégés par le secret professionnel de l'avocat. Le Tribunal fédéral a donc considéré que le Recourant avait violé son secret professionnel en faisant écouter le message vocal de C. à B., qui avait de plus été arrêté peu de temps auparavant pour soupçon de lésions corporelles et de menaces à l'encontre de sa cliente C. venue lui demander conseil
    (consid. 2.4.6).
  • La violation des droits de la personnalité de C. était donc un motif suffisant pour mettre à la charge du Recourant les frais de procédure au sens des art. 426 al. 2 et 430 al. 1 let. a CPP
    (consid. 2.4).

II. DROIT PÉNAL ÉCONOMIQUE

TF 6B_364/2021 du 5 octobre 2022 | Violation du secret de fabrication ou du secret commercial (art. 162 CP)

  • Factuellement, l'employé E. de la société B. a été mis en accusation par le Ministère public du canton de Lucerne pour violation du secret de fabrication ou du secret commercial au sens de l'art. 162 CP après avoir transmis à plusieurs reprises des documents financiers relatifs à la société B. à un ancien collègue pour que ce dernier l'aide et l'oriente dans l'accomplissement des comptes annuels. L'ancien employé avait pourtant été licencié avec effet immédiat par la société B. et était désormais en litige avec elle à ce propos. Le prévenu fût acquitté de tous les chefs d'accusation par la dernière instance du canton de Lucerne, verdict que le Ministère public et la société B. ont porté devant le Tribunal fédéral par un recours en matière pénale.
  • Il n'était pas contesté que l'Intimé ne se sentait pas à la hauteur pour établir sans aide ses premiers comptes annuels. Le Tribunal fédéral a toutefois commencé par se demander si l'instance précédente pouvait conclure sans arbitraire que l'Intimé se trouvait dans une situation sans issue à cet égard en raison de l'absence de soutien de son employeur en violation de l'art. 328 CO. Notre Haute Cour s'est également interrogée sur la question de savoir si l'instance inférieure pouvait conclure à une erreur de fait inévitable concernant le droit de transmettre les documents ou les informations à un ancien employé de l'entreprise au sein de laquelle travaillait encore l'Intimé (consid. 4.4.1).
  • En outre, le Tribunal fédéral a ajouté qu'il convenait de noter que les discussions sur les comptes annuels entre l'Intimé et son ancien collègue ont eu lieu exclusivement dans un cadre privé, et que les documents litigieux ont été envoyés par l'adresse électronique privée de l'Intimé (consid. 4.4.2).
  • Même dans un état de fort surmenage, le Tribunal fédéral a établi qu'il existait une différence entre le fait de demander simplement un soutien à un mentor ayant quitté précédemment l'entreprise et celui de donner à celui-ci accès à des secrets commerciaux (consid. 4.4.3).
  • Le fait que l'Intimé, selon les considérations de l'instance précédente, n'avait pas voulu nuire à son employeur et n'avait pas agi de manière particulièrement raffinée, planifiée ou calculée était une circonstance pouvant être prise en compte lors de la fixation de la peine, mais n'était pas pertinent pour l'appréciation de l'état de fait (consid. 4.4.3).
  • Le Tribunal fédéral a ensuite relevé que la cour cantonale ne s'exprimait pas clairement sur la gravité de la violation du devoir de diligence. Il ressortait seulement de l'arrêt entrepris que l'Intimé aurait dû être conscient, d'un point de vue objectif, que l'ancien employé, certes son mentor, n'aurait plus dû recevoir de documents commerciaux. Dans ce contexte, l'Intimé était tenu au secret non seulement par la loi, mais aussi spécifiquement par son contrat de travail. En outre, l'Intimé avait été informé de la procédure judiciaire engagée contre son employeur par son ancien collègue. Néanmoins, à la demande de ce dernier – partie adverse de son employeur dans un litige en cours – l'Intimé lui avait transmis diverses informations sur ce litige ainsi que sur l'évaluation des chances de succès de son employeur. Partant, la violation du devoir de diligence qui en résultait vis-à-vis de l'employeur était très grave. Il s'agissait d'un élément essentiel à prendre en compte dans l'attribution du dol éventuel (consid. 4.4.4).
  • Selon notre Haute Cour, la motivation de la décision de l'instance précédente s'avérait lacunaire au sens de l'art. 112 al. 1 let. b LTF. Elle n'établissait pas de façon assez compréhensible le lien entre la situation professionnellement éprouvante dans laquelle se trouvait l'Intimé et l'hypothèse d'une erreur de fait. En même temps, elle ne tenait pas suffisamment compte du risque de réalisation de l'infraction ainsi que de la gravité de la violation du devoir de diligence – et donc d'éléments contraignants à prendre en considération lors de la délimitation entre la négligence (consciente) et le dol éventuel. La négation de l'élément subjectif de l'infraction, sans examen différencié de l'importance des différents secrets d'affaires divulgués, violait le droit fédéral (consid. 4.5).
  • Le Tribunal fédéral a conclu qu'il n'avait pas le droit de se substituer à l'instance précédente, qui n'avait pas rempli sa mission, en appréciant lui-même les preuves. L'arrêt attaqué a donc été renvoyé à l'instance précédente afin qu'elle statue à nouveau sur le fond (consid. 4.5).

III. DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

IV. DROIT DE LA POURSUITE ET DE LA FAILLITE

TF 5A_380/2021 du 14 septembre 2022 | Reconnaissance de dette sur la base d'un contrat d'annulation (art. 82 LP) – oppositions et objections au contrat

  • Dans les faits, A. SA et B. SA ont conclu un accord portant sur l'octroi d'un prêt par B. SA à A. SA. Cette dernière avait, dans le cadre de leur relation, fourni des documents et des données concernant des secrets d'affaires. En avril 2019, le nouveau conseil d'administration de A. SA a déclaré cet accord invalide et a indiqué qu'elle rendrait le montant du prêt et que B. SA devrait restituer les supports sur lesquels se trouvaient les informations confidentielles et effacer toutes les copies ou impressions qui auraient été faites.
  • Par divers échanges, B. SA s'est opposée à l'annulation du contrat. Malgré cela, A. SA a, le 24 juin 2019, réitéré sa position sur l'invalidation du contrat et demandé à B. SA ses coordonnées bancaires afin qu'elle puisse lui verser le montant du prêt.
  • Dans un courrier du 8 novembre 2019, soit sept mois après la première demande de restitution de A. SA, B. SA a fini par accepter les conditions de cette dernière en lui précisant que les données copiées et imprimées avaient été détruites. B. SA a en outre indiqué que son courrier du 8 novembre 2019 valait accord sur l'annulation du contrat de base.
  • SA s'est opposée à l'annulation proposée par B. SA au motif que cette dernière avait manifesté son accord sur l'annulation beaucoup trop tard et que le temps écoulé entre la demande de restitution de A. SA et la suppression des données confidentielles par B. SA démontrait qu'elle avait utilisé illicitement les informations secrètes, lui causant ainsi un dommage. Selon A. SA, cette utilisation illicite l'autorisait, pour compenser son préjudice, à conserver le montant du prêt.
  • Le prêt n'ayant pas été remboursé, B. SA a poursuivi A. SA en exécution forcée. Suite à l'opposition de A. SA, l'Office des poursuites de Bâle-Ville a accordé la mainlevée provisoire. A. SA a recouru auprès du Tribunal fédéral contre la décision de la Cour d'appel du canton de Bâle-Ville qui confirmait le jugement de mainlevée provisoire de l'Office des poursuites.
  • La Recourante s'est tout d'abord opposée à ce que le courrier du 24 juin 2019 soit considéré comme une reconnaissance de dette. Elle a argué que son engagement de remboursement était conditionné à la restitution immédiate des données qui avaient été fournies. Or, B. SA ne s'était exécutée que plusieurs mois après. Le Tribunal fédéral a estimé que, selon le principe de la confiance, le fait que la Recourante ait demandé les coordonnées bancaires de B. SA était propre à démontrer qu'elle reconnaissait son obligation financière à l'égard de cette société. En outre, il n'y avait pas suffisamment de motifs permettant de prouver que le remboursement était conditionné à la restitution immédiate des documents confidentiels (consid. 4.2).
  • De surcroît, bien qu'il soit compréhensible que les données confidentielles puissent perdre de leur valeur aussi longtemps qu'elles sont gardées en mains étrangères, la Recourante n'est malheureusement pas parvenue à étayer suffisamment son argument portant sur le devoir de restitution immédiate de B. SA (consid. 6.3).
  • Enfin, lorsque la Recourante a fait valoir sa prétention en dommages-intérêts justifiant la compensation de son préjudicie par le montant du prêt, notre Haute Cour a rappelé à A. SA que la procédure de mainlevée est une procédure de titres et que ses allégations concernant un acte illicite de B. SA ne suffisaient pas (consid. 9.3).
  • Partant, le recours a été rejeté (consid. 10).

V. ENTRAIDE INTERNATIONALE

TF 1C_554/2022 du 20 octobre 2022 | Irrecevabilité d'un recours en matière d'entraide pénale internationale (art. 84 LTF)

  • Les Recourants ont agi auprès du Tribunal fédéral afin de contester l'ordre de transmission de documents bancaires au Département de la Justice des Etats-Unis d'Amérique concernant sept comptes, dans le cadre d'une enquête relative à des détournements opérés au préjudice d'un fonds d'investissement malaisien.
  • Le fait que les détournements aient été commis au préjudice d'un fonds détenu par un Etat, in casu la Malaisie, qu'une société d'investissement mondiale soit mise en cause par les Etats-Unis, qu'il s'agisse de la quatrième demande d'entraide émise par cet Etat dans ce contexte et que la confiscation porte sur environ 380 millions de dollars ne suffit pas pour en faire un « cas particulièrement important » au sens de l'art. 84 al. 1 et 2 EIMP. Le Tribunal fédéral a indiqué qu'en l'absence d'une couverture médiatique particulièrement importante ou d'incidences évidentes au niveau politique, ces arguments ne sont pas suffisants (consid. 2.1).
  • Partant, le recours a été rejeté.

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