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ProcÉdure pÉnale
Invocation en temps utile des motifs permettant de demander l'apposition de scellés [p. 2]
Nécessité ou non de constater
l'illicéité de moyens de preuves non
exploités [p. 3]
Rappel de jurisprudence : le non-respect d'une disposition d'ordre n'emporte pas encore violation du principe de célérité [p. 4]
Exigences excessives en matière de
« soupçons suffisants d'infractions
» d'escroquerie et de blanchiment d'argent dans la
procédure de levée de scellés [p. 4]
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Droit pÉnal Économique
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Droit international privÉ
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Droit de la poursuite et de la faillite
Possibilité pour le débiteur dont la faillite a été requise de fournir des sûretés en échange de la libération des biens séquestrés [p. 6]
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Entraide internationale
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Quelques propos introductifs
La présente Newsletter de Monfrini Bitton Klein vise à offrir, de manière hebdomadaire, un tour d'horizon de la jurisprudence rendue par le Tribunal fédéral dans les principaux domaines d'activité de l'Etude, soit le droit pénal économique et le recouvrement d'actifs (asset recovery).
Sans prétendre à l'exhaustivité, seront
reproduits ci-après les considérants consacrant le
raisonnement juridique
principal développé par notre Haute juridiction sur
les thématiques suivantes : droit de procédure
pénale, droit pénal économique, droit
international privé, droit de la poursuite et de la
faillite, ainsi que le droit de l'entraide
internationale.
- PROCÉDURE PÉNALE
TF 7B_22/2024 du 9 avril 2024 | Invocation en temps utile des motifs permettant de demander l'apposition des scellés (art. 248 CPP)
- Le ministère public de Lucerne a poursuivi A. (« Recourant ») pour escroquerie par métier. Lors de la perquisition de son appartement le 25 avril 2023, plusieurs objets ont été saisis. Le Recourant a demandé leur mise sous scellés. Le 2 octobre 2023, le tribunal des mesures de contraintes lucernois a ordonné la levée des scellés sur les objets concernés, au motif que la demande de mise sous scellés du Recourant n'était pas valable en raison de l'absence d'indication des motifs y relatifs.
- Le Tribunal fédéral a rappelé que si l'autorité de poursuite pénale omet d'informer suffisamment des quidams sur leur droit de demander la mise sous scellés, celle-ci ne peut pas être refusée au motif que la personne concernée n'a pas encore expressément invoqué le droit au secret comme obstacle à la perquisition lors de la saisie par exemple. La personne concernée devant pouvoir se faire conseiller par un avocat, elle peut encore demander la mise sous scellés quelques heures après la saisie provisoire, voire exceptionnellement quelques jours plus tard. En revanche, une demande de scellés déposée plusieurs semaines ou mois après la saisie des enregistrements ou des objets est en principe tardive.
- In casu, le Recourant a indiqué oralement à la police lucernoise, le 25 avril 2023, qu'il devait encore se concerter avec son avocat au sujet de la motivation de sa demande de scellés. Il ressort en outre du dossier préliminaire que le Recourant a été entendu le lendemain par le ministère public et a déclaré que les objets mis sous scellés contenaient de la correspondance d'avocat et des secrets d'affaires. Le Recourant a ainsi invoqué un motif de scellés et a demandé l'apposition des scellés en temps utile et de manière valable.
- Partant, le recours a été admis et l'affaire renvoyée à l'instance précédente pour nouvelle décision afin qu'elle examine si des intérêts secrets protégés s'opposent à la levée des scellés.
TF 6B_706/2023 du 15 avril 2024 |
Nécessité de constater
l'illicéité de moyens de preuves non
exploités
(art. 141 ss CPP) ?
- Le 20 janvier 2022, le Tribunal de police de l'arrondissement de Lausanne a libéré A., B. et C. (« Recourants ») des chefs d'entrave aux services d'intérêt général et d'empêchement d'accomplir un acte officiel dans le cadre d'une manifestation pour le climat (RS/VD 312.11; LContr) au motif que le rapport de police du 7 octobre 2019 n'étayait pas suffisamment le comportement des Recourants pour permettre leur condamnation en vertu du principe in dubio pro reo.
- Dans son appel à l'encontre de cette décision, le ministère public vaudois a produit des vidéos filmées par la police lors de l'événement afin de corroborer les faits tels que décrits dans le rapport de police. Les Recourants ont requis le retranchement de ces vidéos du dossier, réquisition qui a été rejetée par la cour cantonale dans son jugement du 18 janvier 2023, au motif que les vidéos n'étaient « de toute manière pas [décisives] compte tenu du rapport établi par la police, qui contient, à lui seul, tous les éléments nécessaires à l'établissement des faits, sans qu'il soit nécessaire de se fonder sur les vidéos produites par le Ministère public ». La cour cantonale a ainsi laissé ouverte la question de leur potentielle illicéité. Les Recourants ont interjeté recours contre cette décision (consid. 1.2).
- Le Tribunal fédéral a d'abord rappelé les diverses bases légales et principes relatifs à l'exploitabilité des preuves. Il a ensuite exposé que l'art. 141 CPP vise avant tout – quoique pas exclusivement – à protéger les justiciables de l'utilisation de moyens de preuves administrés de manière illicite. Il a également soulevé la question du sort qui doit être réservé à des moyens de preuves allégués illicites, que les tribunaux n'entendent pas exploiter pour justifier une condamnation, à défaut pour ceux-ci d'être jugés probants. En d'autres termes, s'est posées la question de savoir s'il subsiste un intérêt à la constatation du caractère illicite d'un moyen de preuves et quel est le sort qui doit lui être réservé, à défaut pour celui-ci d'être exploité concrètement (consid. 1.3).
- À cette question, la cour cantonale a répondu par la négative, en jugeant qu'à défaut pour les vidéos produites par le ministère public d'être probantes, il n'était pas nécessaire de se prononcer sur le caractère illicite de leur administration, respectivement sur le sort qui devait leur être réservé (consid. 1.3).
- Sur cette question, le Tribunal fédéral a souligné que les vidéos litigieuses avaient revêtu un caractère décisif dans la décision de la cour cantonale, contrairement à l'avis de celle-ci. En effet, bien que le rapport de police du 7 octobre 2019 fût le principal élément de preuve utilisé à charge contre les Recourants, celui-ci avait été jugé lacunaire par l'autorité de première instance, poussant ainsi le ministère public à le corroborer au moyen d'images vidéo. Sans préjuger du fait que ces images vidéo étaient strictement nécessaires dans l'appréciation des moyens de preuves, le Tribunal fédéral a estimé qu'elles avaient joué un rôle dans la confirmation du contenu du rapport de police précité, auquel elles avaient à tout le moins conféré une force probante accrue. S'il n'était pas possible d'exclure que le rapport de police précité se suffisait à lui-même, les images vidéo avaient eu – ou auraient pu avoir eu – un impact sur l'appréciation de sa force probante (consid. 1.3).
- Compte tenu du caractère vraisemblablement décisif de ces vidéos, dont la licéité était mise en doute par les Recourants, la cour cantonale ne pouvait faire l'économie de se prononcer sur la licéité de leur administration et sur le sort qui devait leur être réservé en cas d'inexploitabilité. En ne le faisant pas, elle a violé le droit d'être entendu des Recourants (consid. 1.3).
- Partant, le recours a été admis et la cause renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle décision.
TF 7B_60/2023 du 13 mars 2024 | Rappel de jurisprudence – le non-respect d'une disposition d'ordre n'emporte pas violation du principe de célérité (art. 5 CPP cum art. 84 al. 4 CPP)
- Selon l'article 84 al. 4 CPP, si le tribunal doit motiver son jugement par écrit, il notifie dans les 60 jours, exceptionnellement dans les 90 jours, au prévenu et au ministère public le jugement intégralement motivé et ne notifie aux autres parties que les passages du jugement qui se réfèrent à leurs conclusion.
- Le Tribunal fédéral a rappelé que cette disposition légale n'est qu'une disposition d'ordre qui concrétise le principe de célérité. De ce fait, son non-respect peut être un indice de violation de ce principe, mais ne s'accompagne pas nécessairement d'une violation du principe de célérité (consid. 2).
- In casu, le jugement d'appel motivé par écrit était parvenu au Recourant le 17 mai 2023, soit environ un mois après l'expiration du délai de 90 jours. Le Tribunal fédéral a relevé que le fait que l'affaire était vaste et complexe (36 parties civiles, 100 pages de jugement) justifiait la durée prise par l'instance pour motiver et notifier son jugement (consid. 2).
- Partant, le recours a été rejeté.
TF 7B_172/2022 du 21 mars 2024 | Exigences excessives en matière de « soupçons suffisants d'infractions » d'escroquerie et de blanchiment d'argent dans la procédure de levée de scellés (art. 197 al. 1 CPP)
- Le Ministère public du canton de Zurich (« Ministère public») a mené une enquête pénale pour escroquerie contre A. (« Intimé »), unique administrateur de B. SA. Il lui est reproché d'avoir incité la banque E. à lui octroyer un crédit à la construction garanti par un gage immobilier sur un immeuble, au moyen de factures fictives et d'avoir par la suite retransféré à son profit une partie du montant octroyé, par le biais de plusieurs sociétés fictives. Selon le Ministère public, la dissimulation complexe du financement des prestations de construction réelles, associée à la condamnation antérieure de l'Intimé pour trafic de stupéfiants, était propre à fonder un soupçon du moins suffisant selon lequel il aurait financé les travaux de construction avec de l'argent provenant d'un crime de blanchiment d'argent. En d'autres termes, il existait pour le Ministère public un soupçon suffisant d'infraction justifiant une mesure de contrainte en vue de la poursuite de l'instruction du dossier.
- Le 29 juin 2022, le Ministère public a procédé à des perquisitions au domicile de l'Intimé et dans les bureaux de B. SA et a saisi des papiers et appareils de stockage contenant des enregistrements. Le même jour une demande de mise sous scellé a été accordée pour ces objets. Le 14 juillet 2022, le Ministère public a demandé au tribunal des mesures de contrainte la levée des scellés sur les objets saisis. Sa demande fût rejetée faute d'existence de soupçons suffisants laissant présumer l'existence d'une infraction. Le Ministère public a saisi le Tribunal fédéral contre cette décision.
- Premièrement, le Ministère public a soutenu que la Cour suprême avait posé des exigences excessives en matière de « soupçons suffisants d'infractions» au sens de l'art. 197 al. 1 let. b CPP (consid. 2.2).
- L'instance précédente avait retenu que le dommage patrimonial en lien avec le soupçon de blanchiment d'argent n'était pas donné dans la mesure où le droit au remboursement de la banque E. semblait entièrement garanti au vu de la situation patrimoniale de l'Intimé au moment de l'octroi du crédit (consid. 2.2).
- In casu, la banque E. avait remis de la monnaie scripturale liquide et avait reçu en contrepartie une créance de prêt garantie par gage immobilier contre l'Intimé. Si la banque E. avait été trompée sur la valeur du gage par des faux décomptes de construction avant le versement, elle n'aurait pas reçu la contrepartie pour laquelle elle avait voulu donner l'argent scriptural. Pour ces raisons déjà, il existait un soupçon de dommage patrimonial qu'il convenait d'examiner de manière approfondie (consid. 2.2).
- Par ailleurs, l'Intimé n'avait pas pu fournir d'explication plausible à la banque E. sur l'inexistence de factures issues des entrepreneurs ayant réalisé les prétendus travaux de construction. Au contraire, il avait justifié ses agissements par des flux d'argent compliqués. Dès lors, le soupçon suffisant résultait de la structure intriquée de la transaction et se renforçait par une condamnation antérieure de l'Intimé dans le cadre d'une affaire d'envergure de commerce illégal de stupéfiants. De ce fait, les soupçons suffisants étaient établis (consid. 2.2).
- Au surplus, le Tribunal fédéral a rappelé que les mesures de contrainte non privatives de liberté, comme dans le cadre des perquisitions, ne présupposent pas la même intensité de soupçon d'infraction que la détention provisoire ou pour mesures de sûreté. A juste titre, l'existence d'indices importants et concrets d'un acte punissable est requise pour l'acceptation de soupçons suffisants dans la procédure de levée des scellés (consid. 3.4).
- In casu, la demande de levée des scellés du Ministère public était suffisamment détaillée et compréhensible.
- Dès lors, le Tribunal fédéral a statué qu'en niant l'existence d'un dommage patrimonial à la banque E., l'instance inférieure avait posé des exigences excessives quant à la preuve de l'existence de soupçons suffisants d'infraction permettant d'ordonner des mesures de contrainte (consid. 4.3.2).
- Partant, le recours a été admis.
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DROIT PÉNAL ÉCONOMIQUE
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DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ
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DROIT DE LA POURSUITE ET DE LA FAILLITE
TF 5A_884/2023 du 5 mars 2024 | Possibilité pour le débiteur dont la faillite a été requise de fournir des sûretés en échange de la libération des biens séquestrés (art. 166 cum art. 277 LP)
- Le 18 novembre 2020, le Tribunal de première instance genevois a ordonné le séquestre au préjudice de B. (« Intimé ») de trois immeubles lui appartenant, sur requête de la société britannique A. Ltd (« Recourante ») sur la base de l'art. 271 al. 1 ch. 6 LP et ayant pour objet une créance alléguée de CHF 1'358'384.- avec intérêts à 5% au 30 octobre 2023. L'Office cantonal des poursuites du canton de Genève («l'Office ») a exécuté le séquestre le jour même par l'envoi au Registre foncier d'un avis d'inscription de restrictions du droit d'aliéner sur les trois immeubles. Dans le cadre de la poursuite subséquente, une commination de faillite a été notifiée le 16 mars 2022 à l'Intimé.
- Par requête adressée le 6 avril 2023 au tribunal, la Recourante, se fondant sur cette commination de faillite, a sollicité que la faillite de l'Intimé soit déclarée en application de l'art. 166 LP. Par jugement du 15 mai 2023, le tribunal de première instance a toutefois décidé de surseoir à statuer sur cette requête de faillite au motif que, le 2 mai 2023, le débiteur avait déposé une demande de sursis concordataire.
- Par décision du 20 juillet 2023, l'Office a invité l'Intimé à lui verser un montant de CHF 1'912'278.- au titre de sûretés au sens de l'art. 277 LP, après quoi l'inscription du séquestre auprès du registre foncier serait radiée et le montant reçu consigné.
- La chambre de surveillance genevoise a rejeté la plainte formée par la Recourante contre cette décision. Celle-ci a interjeté recours au Tribunal fédéral.
- Se fondant sur l'ATF 129 III 391, la Recourante a soutenu que, dès que les conditions nécessaires pour requérir la faillite sont remplies, le débiteur ne peut plus utiliser la faculté offerte par l'art. 277 LP. Le créancier doit en effet pouvoir requérir la faillite sans devoir se laisser opposer une demande de libération fondée sur cette norme par le débiteur. Dans le cas d'espèce, la Recourante avait déposé une requête de faillite le 6 avril 2023 sur laquelle le juge avait sursis à statuer en raison de la demande de sursis concordataire que le débiteur avait déposée le 2 mai 2023. En conséquence, l'art. 277 LP était inapplicable (consid. 4).
- Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral devait répondre à la question de savoir si le débiteur dont la faillite a été requise peut encore demander que les biens séquestrés soient libérés contre la fourniture de sûretés en application de l'art. 277 LP (consid. 5 ss).
- Aux termes de cette disposition, les biens séquestrés sont laissés à la libre disposition du débiteur à charge de les présenter en nature ou en valeur en cas de saisie ou de déclaration de faillite et de fournir à cet effet des sûretés. Le but poursuivi par l'art. 277 LP est d'alléger la situation du débiteur coopérant. Celui-ci retrouve la libre disposition de ses biens dans la mesure où il fournit des sûretés équivalentes aux objets séquestrés. Le séquestre comme tel est dès lors maintenu par ce biais. Il peut disposer des biens séquestrés à sa guise. En cas de séquestre d'un immeuble, l'application de l'art. 277 LP conduit à radier la restriction du pouvoir de disposer annotée au registre foncier (consid. 5.1.1).
- Selon l'ATF 129 III 391, une fois les objets séquestrés saisis dans la poursuite en validation de séquestre (art. 279 LP), une libération selon l'art. 277 LP n'est plus possible. Cela vaut même si la requête a été formée avant la saisie, mais que celle-ci a été exécutée par la suite, avant qu'il soit statué sur la requête en libération fondée sur l'art. 277 LP (consid. 5.1.2)
- In casu, la Recourante s'est trompée sur le sens de la précision apportée à l'ATF 129 III 391 à propos du moment auquel la requête en libération selon l'art. 277 LP est déposée. Contrairement à ce qu'elle a soutenu, le Tribunal fédéral n'a pas retenu que l'art. 277 LP n'entrait plus en considération dès que les conditions nécessaires à la continuation de la poursuite en validation du séquestre étaient remplies. Il a seulement précisé que le créancier peut réclamer la saisie des biens séquestrés même si une demande de libération du débiteur est pendante et que, si cette saisie est exécutée, l'art. 277 LP n'entre alors plus en considération et dite demande doit être rejetée. C'est ainsi à bon droit que l'autorité de surveillance a considéré que l'art. 277 LP était encore applicable (consid. 5.2).
- Partant, le recours a été rejeté.
- ENTRAIDE INTERNATIONALE
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