Quelques propos introductifs

La présente Newsletter de Monfrini Bitton Klein vise à offrir, de manière hebdomadaire, un tour d'horizon de la jurisprudence rendue par le Tribunal fédéral dans les principaux domaines d'activité de l'Etude, soit le droit pénal économique et le recouvrement d'actifs (asset recovery).

Sans prétendre à l'exhaustivité, seront reproduits ci-après les considérants consacrant le raisonnement juridique principal développé par notre Haute juridiction sur les thématiques suivantes : droit pénal économique, droit de procédure pénale, droit international privé et droit de la poursuite et de la faillite.

I. PROCÉDURE PÉNALE

TF 1B_543/2021 du 1er juillet 2022 | Levée des scellés – Secret privé prépondérant

  • À la suite d'une perquisition pour soupçons de ges- tion déloyale dont le dommage présumé de l'in- fraction s'élève à environ 70 millions de dollars, plusieurs appareils électroniques du Recourant ont été saisis, puis mis sous scellés. Le Tribunal des mesures de contrainte a alors rendu une ordon- nance de levée des scellés, que le Recourant con- teste.
  • Le Recourant considère que les appareils électro- niques saisis (notamment ses deux téléphones por- tables) contiendraient de la correspondance privée ainsi que des photos et vidéos à caractère haute- ment personnel et dépourvus de pertinence pour la procédure pénale en cause et qu'ils doivent donc être laissés sous scellés. Après une pesée des inté- rêts en cause, les secrets privés seraient prépondé- rants (consid. 2).
  • Selon le Tribunal fédéral, les appareils électro- niques saisis chez le Recourant (deux téléphones mobiles et un ordinateur portable) contiennent probablement de la correspondance concernant la procédure en cause, le Recourant ayant même ex- pressément confirmé qu'une correspondance pro- fessionnelle avait été échangée avec ses deux télé- phones portables. Les données de contact, les pho- tos, les vidéos et les fichiers e-banking que le Re- courant a qualifié de non pertinents pour l'enquête sont également susceptibles de prouver des liens personnels pertinents entre les parties. En outre, le comportement en cause entraîne un dommage ex- trêmement élevé et son élucidation présente un in- térêt public considérable. La pertinence des appa- reils électroniques pour la procédure doit donc être confirmée (consid. 2.2).
  • En cas de délit économique (in casu l'infraction de gestion déloyale) dont le dommage est présumé passablement élevé (in casu 70 millions de dol- lars), aucun intérêt privé prépondérant ne peut être avancé pour s'opposer à la levée des scellés, car l'intérêt public général à la poursuite pénale et à la recherche de la vérité prévaut (consid. 2.6).

TF 1B_547/2021 du 1er juillet 2022 | Levée des scellés – Fishing expedition

  • En juillet 2021, le Ministère public du canton de Zurich a effectué une perquisition dans les locaux de la société C. [organe de révision de la société A.], au cours de laquelle des supports de données électroniques portant la mention « A. » ont été sai- sis. La société A. [la Recourante] a immédiatement demandé l'apposition de scellés sur ces fichiers. Par la suite, le Tribunal des mesures de contrainte de Zurich a ordonné la levée des scellés et la mise à disposition des documents au Ministère public. La société A. recourt au Tribunal fédéral contre la dé-cision de levée des scellés.
  • La Recourante fait principalement valoir que le Mi-nistère public a procédé à une « fishing expedi-tion » en saisissant auprès de la société C. les sup-ports de données sur la base du mot-clé « A. », rai-son sociale de la Recourante, alors que rien n'était mentionné à son propos dans la plainte pénale (consid. 2).
  • Le Tribunal fédéral soutient que l'état actuel de l'enquête démontre que la Recourante était étroitement liée à une première société impliquée dans les faits en cause. Il existe des « intérêts con-vergents » entre les deux entités, raison pour la-quelle un lien entre les sociétés semble possible. En effet, l'actionnariat majoritaire des deux sociétés est identique et le prévenu ainsi que la Recourante disposaient au moment des faits de la même boîte aux lettres, ce qui renforce encore la présomption d'une étroite imbrication personnelle et organisa-tionnelle entre eux (consid. 2.2).
  • Le fait que l'instance précédente ait admis la perti-nence des pièces mise sous scellés pour l'enquête respecte ainsi le droit fédéral et n'est pas une « fis-hing expedition » (consid. 2.3).
  • Partant, le recours doit être rejeté (consid. 3).

TF 6B_1310/2021 du 15 août 2022 | Conclusions civiles – Prétentions contractuelles

  • Le Recourant reproche à la cour cantonale d'avoir violé les art. 119, 122 et 126 CPP, dans la mesure où celle-ci ne pouvait pas se prononcer sur les pré-tentions civiles des Intimés compte tenu du verdict d'acquittement prononcé en leur faveur (consid. 3).
  • Les conclusions civiles octroyées aux Intimés re-posent sur deux fondements, à savoir un acte illicite au sens de l'art. 41 CO et la position de débiteur solidaire du Recourant déduite du contrat de prêt. Se posent donc deux questions : déterminer pre-mièrement si la cour cantonale pouvait accorder des prétentions civiles aux Intimés sur la base de l'art. 41 CO, nonobstant le verdict d'acquittement prononcé, et deuxièmement si des prétentions con-tractuelles peuvent faire l'objet d'une action civile par adhésion à la procédure pénale (consid. 3.1).
  • En règle générale, si l'acquittement résulte de mo-tifs juridiques, les conditions d'une action civile par adhésion à la procédure pénale font défaut et les conclusions civiles doivent partant être rejetées. Le juge pénal peut néanmoins statuer sur les con-clusions civiles, malgré un acquittement, lorsque l'élément constitutif subjectif de l'infraction fait défaut, mais que le comportement reproché au pré-venu constitue un acte illicite au sens de l'art. 41 CO (consid. 3.1.1).
  • Outre les prétentions fondées sur la responsabilité civile du prévenu (art. 41 ss CO ; art. 58 et 62 LCR), il est communément admis par la doctrine que la partie plaignante peut faire valoir par l'action civile par adhésion à la procédure pénale des con-clusions civiles fondées sur les actions tendant à la protection de la personnalité (art. 28 ss CC), en re-vendication (art. 641 CC) ou possessoire (art. 927, 928 et 934 CC), de même que celles prévues à l'art. 9 LCD en cas d'infraction à l'art. 23 LCD (consid. 3.1.3).
  • En revanche, la doctrine est divisée sur la question de savoir si la notion de conclusions civiles au sens de l'art. 122 al. 1 CPP inclut les prétentions con-tractuelles, controverse que le Tribunal fédéral n'a pas encore tranchée (consid. 3.1.3).
  • Les quelques décisions cantonales qui ont abordé cette thématique ont exclu les prétentions contrac-tuelles de l'action civile par adhésion à la procé-dure pénale, dès lors que celles-ci ne reposaient pas sur un acte illicite et ne pouvaient donc pas se dé-duire d'une infraction pénale (consid. 3.1.4).
  • Le Tribunal fédéral souligne que les conclusions civiles autres que celles fondées sur la responsabi-lité aquilienne du prévenu et dont il est admis qu'elles peuvent faire l'objet d'une action civile ad-hésive ont comme point commun l'existence d'un acte illicite qui les motive. C'est d'ailleurs ce que traduit le sens ordinaire des termes employés par le législateur à l'art. 122 al. 1 CPP. Or, des préten-tions contractuelles se fondent sur un contrat et non sur l'existence d'une infraction ; elles en sont indé-pendantes, de sorte qu'elles ne peuvent pas se dé-duire d'un acte pénalement répréhensible (consid. 3.2.2).
  • Ainsi, l'interprétation tant littérale, téléologique et systématique de l'art. 122 al. 1 CPP permet au Tri-bunal fédéral de conclure que la notion de conclu-sions civiles ne vise pas toutes les prétentions de droit privé, mais uniquement celles qui peuvent se déduire d'une infraction pénale, ce qui n'est pas le cas des prétentions contractuelles. Il découle de ce qui précède que ces prétentions ne peuvent pas faire l'objet d'une action civile par adhésion à la procédure pénale et sont donc exclues du champ d'application de l'art. 122 al. 1 CPP. Pour de telles prétentions, la partie plaignante doit être renvoyée à agir par la voie civile (consid. 3.3).
  • En l'espèce, il ressort de l'arrêt entrepris que la cour cantonale a acquitté le Recourant en raison de la non-réalisation des éléments constitutifs des in-fractions d'abus de confiance et d'escroquerie. L'acquittement prononcé résulte donc de motifs ju-ridiques.
  • Or, le Tribunal fédéral rejoint l'avis du Recourant selon lequel la cour cantonale ne pouvait pas con-clure qu'aucune utilisation illicite des avoirs con-fiés ne pouvait être reprochée au Recourant, tout en constatant à la fois une appropriation par celui-ci des fonds prêtés en violation de ses pouvoirs pour fonder une responsabilité civile au sens de l'art. 41 CO. Il s'ensuit que les conditions d'une ac-tion civile par adhésion à la procédure pénale font défaut. Les conclusions civiles fondées sur l'art. 41 CO auraient donc dû être rejetées. Le recours doit donc être admis et l'arrêt querellé annulé sur ce point (consid. 3.4.2).
  • La cour cantonale a ensuite condamné le Recourant à verser les intérêts dus sur la base du contrat de prêt, vu sa qualité de débiteur solidaire au sens de l'art. 143 al. 1 CO. Ce faisant, la cour cantonale a statué sur des prétentions fondées sur un contrat. Or, de telles prétentions ne peuvent faire l'objet d'une action civile par adhésion à la procédure pé-nale au sens de l'art. 122 al. 1 CPP. La cour canto-nale aurait donc dû renvoyer les Intimés à agir par la voie civile s'agissant de leurs prétentions décou-lant dudit contrat de prêt. Il s'ensuit que le recours doit également être admis sur ce point et l'arrêt en-trepris annulé (consid. 3.5).

TF 1B_252/2022 du 24 août 2022 | Récusation – principe de célérité

  • Le fait que la Vice-présidente de la cour cantonale interrompe plusieurs fois une avocate lors de sa plaidoirie pour que cette dernière soit plus brève, ne suffit pas à fonder une apparence objective de prévention permettant de conduire à la récusation de la magistrate ; ce d'autant plus si la Vice-présidente s'excuse par la suite de son comportement auprès de l'avocate (consid. 2.2, 2.3).
  • En ce qui concerne le principe de célérité, le Recourant avait déposé sa demande de récusation le 26 novembre 2021. Le 7 décembre 2021, le Recourant indique à la Cour être dans l'attente d'une réponse. De nouveaux rappels sont adressés à la Cour les 20 février et 7 mars 2022. La Cour s'est finalement déterminée le 28 mars 2022. Le Tribunal fédéral n'a pas retenu de violation du principe de célérité, car il a considéré que la Cour n'avait pas trop tardé à rendre une décision suite aux relances des 20 février et 7 mars 2022. De plus, il relève que le Recourant, lors de ses rappels, n'avait pas soulevé l'urgence d'accélérer la procédure, ni ne s'était plaint d'un éventuel retard injustifié (consid. 3.3).

TF 6B_536/20221du 25 août 2022 | Demande d'un extrait actuel du casier judiciaire pour la fixation de la peine (art. 6 al. 1, 84 al. 3 et 4, 195 CPP)

  • Dans les faits, la cour cantonale, dans son jugement du 4 mars 2022, avait fixé la peine en se basant sur le fait que le prévenu n'avait pas commis d'infraction depuis 2017. Or, le Ministère public, Recourant, conteste cela en faisant valoir que le prévenu s'était rendu coupable d'autres infractions en juillet 2021 qui avaient été inscrites à son casier judiciaire la veille de l'audience d'appel, soit le 5 octobre 2021.
  • Le Tribunal fédéral commence par rappeler que le tribunal compétent, en cas d'impossibilité de rendre un jugement, doit chercher à compléter les preuves pour ce faire (art. 349 CPP).
  • Selon le Tribunal fédéral, l'instance cantonale n'aurait pas dû se baser sur un extrait de casier judiciaire datant de plus de 3 mois au moment de l'audience d'appel et de plus de 6 mois au moment du jugement attaqué.
  • La cour cantonale a donc violé l'art. 195 al. 2 CPP en ne demandant pas un extrait plus récent du casier judiciaire. Cela est d'autant plus important que le tribunal portait un intérêt particulier à l'absence d'infraction commise par le prévenu depuis 2017 et que le jugement était survenu plusieurs mois après l'audience d'appel.

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Footnote

1. Destiné à la publication

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