Ottawa se prépare à la prochaine génération de projets d'envergure au Canada, notamment en ce qui concerne l'énergie et divers types d'infrastructures connexes. Le gouvernement fédéral a rapidement remanié le cadre juridique de ces projets par l'entremise de la Loi visant à bâtir le Canada, un élément clé du projet de loi C-5, qui a reçu la sanction royale le 26 juin 2025. Cette loi permet au gouvernement fédéral de désigner certains projets comme des « projets d'intérêt national », ce qui lui permet de contourner les procédures réglementaires conventionnelles et de réduire considérablement les délais d'approbation.
Toutefois, le projet de loi C-5 a suscité des préoccupations parmi les nations autochtones et les observateurs, notamment en raison du manque de consultation entourant son élaboration et son adoption ainsi que du risque qu'il compromette ou érode les droits autochtones.
Pour les promoteurs et les investisseurs, la rapidité ne représente qu'une partie de l'équation. La réussite à long terme reposera sur une consultation et une participation véritables des détenteurs de droits autochtones ainsi que sur l'efficacité avec laquelle les projets sont structurés, particulièrement dans un contexte juridique et fiscal canadien de plus en plus complexe. Il est essentiel de veiller dès le départ à ce que l'engagement auprès des Autochtones et la structuration du projet soient correctement réalisés afin d'attirer des capitaux, de gérer les risques et d'assurer la viabilité du projet.
Prise de participation autochtone – Considérations structurelles
La prise de participation autochtone dans les projets d'envergure ne repose pas sur un modèle unique. Le choix de structure dépendra de plusieurs facteurs déterminants, dont le niveau de contrôle de gestion souhaité, le financement ainsi que les principales considérations fiscales, comme l'impôt sur le revenu, les répartitions fiscales fédérales et le recours aux crédits d'impôt applicables. Chaque projet présente des exigences particulières qui doivent être soigneusement analysées afin de choisir la structure la plus appropriée.
Sociétés en commandite
Les sociétés en commandite constituent depuis longtemps – et demeurent en grande partie – la structure prédominante pour les projets d'envergure comportant une participation conjointe des Premières Nations.
De manière générale, une société en commandite ne paie pas d'impôt sur le revenu. Il revient plutôt au commandité et à chaque commanditaire de produire sa propre déclaration de revenus et d'y inscrire sa part des pertes ou des bénéfices nets de la société. Les commanditaires issus des Premières Nations qui sont constitués en bandes en vertu de la Loi sur les Indiens et reconnus comme des organismes publics exerçant des fonctions gouvernementales au Canada peuvent être exonérés de l'impôt sur le revenu canadien. Les sociétés en commandite offrent également à chacun de leurs commanditaires une protection relative à la responsabilité limitée, ceux-ci n'étant tenus qu'à hauteur des sommes qu'ils prêtent ou investissent. Par conséquent, sur les plans de la fiscalité et de la responsabilité, les commanditaires d'une société en commandite issus des Premières Nations peuvent profiter d'avantages particulièrement intéressants.
Cela dit, la participation conjointe de Premières Nations et de sociétés imposables à un même projet risque d'en compliquer la structuration. En l'absence d'un examen attentif, les coûts de construction et les pertes enregistrées par une société en commandite en début de projet pourraient devoir être répartis de manière proportionnelle, et ainsi entraîner l'imputation de pertes importantes à des entités exonérées d'impôt (p. ex., un commanditaire issu des Premières Nations). La répartition raisonnable des revenus et des pertes dépendra des faits et des circonstances.
L'accès aux nouveaux crédits d'impôt (dont il est question ci-dessous) peut également s'avérer très complexe.
Investisseurs non-résidents ou contribuables exonérés d'impôt
Il n'est pas rare que les projets d'envergure du secteur de l'énergie fassent l'objet d'opérations de financement et de fusions et acquisitions. De nouveaux investisseurs pourraient chercher à y participer et les investisseurs existants, à s'y soustraire.
Sur le plan fiscal, le moment de l'intégration ou du départ d'investisseurs non résidents ou exonérés d'impôt pourrait entraîner des conséquences fiscales non désirées. Il pourrait donc être judicieux d'intégrer des sociétés exonérées d'impôt ou des sociétés-écrans canadiennes dès le début du processus.
Financement de projets
Le financement est un élément dont il faut absolument tenir compte dans le cadre de tout projet d'envergure avec prise de participation autochtone.
L'accès à des capitaux abordables constitue un levier puissant pour bon nombre de nations autochtones qui envisagent une prise de participation. Certaines d'entre elles peuvent même financer de manière autonome (en tout ou en partie) leur apport initial en capital en combinant leur fonds à ceux du gouvernement. Toutefois, en l'absence de capitaux propres, elles devront recourir à du financement pour investir. La structure doit être suffisamment souple, abordable et prévisible pour tenir compte des délais et des contraintes découlant des exigences de financement propres aux nations autochtones.
En outre, un financement mal structuré pourrait entraîner des problèmes liés aux règles de restriction des dépenses excessives d'intérêts et de financement (« RDEIF ») et à d'autres règles fiscales, comme les limites relatives à la fraction à risques.
Nouveaux crédits d'impôt pour les investissements en énergie propre
Le gouvernement fédéral a introduit différents crédits d'impôt visant à encourager les projets axés sur les sources d'électricité propre, comme l'énergie solaire ou éolienne, ainsi que sur la réalisation de projets d'énergie géothermique, nucléaire ou hydroélectrique. Ces crédits d'impôt peuvent toutefois être assortis de certaines restrictions pour les commanditaires. Avant de recourir à ces nouveaux crédits d'impôt pour les technologies propres (les « CITP ») en vue de financer un projet, plusieurs éléments clés doivent être pris en considération :
- Les commanditaires ne peuvent pas réclamer de CITP s'ils sont contraints aux limites relatives à la fraction à risques (absence d'apports en capitaux) ou si les règles sur les abris fiscaux s'appliquent;
- Les actifs doivent être pleinement accessibles et toutes les exigences doivent être satisfaites. Dans certains cas, il peut être nécessaire de rembourser les CITP;
- Le pourcentage des remboursements varie considérablement selon la nature des projets. Dans certaines situations, et selon le statut fiscal du contribuable, différents crédits peuvent être applicables;
- Une réduction de 10 % de certains crédits d'impôt peut s'appliquer si les exigences en matière de main-d'œuvre prévues aux termes des CITP ne sont pas satisfaites;
- Le commandité et les commanditaires d'une société en commandite sont assujettis à des règles de répartition raisonnables;
- Seules certaines entités exonérées d'impôt peuvent bénéficier du nouveau crédit d'impôt pour l'électricité, à condition d'en faire la demande par l'intermédiaire de certaines sociétés exonérées d'impôt (et non au moyen d'une structure de société en commandite, qui serait autrement privilégiée);
- Si les CITP avantagent surtout les coentreprises, ils peuvent néanmoins entraîner un gel des pertes tant que la société ne génère pas suffisamment de revenus;
- Les règles sur la récupération empêchent le transfert de biens à des entités autres que des sociétés imposables canadiennes pendant 10 ans;
- Les CITP prévoient également des règles qui restreignent leur accès aux entités propriétaires seulement (par opposition aux entités locataires).
Coentreprises contractuelles
Les contrats de coentreprises non constituées en société ne sont pas reconnus fiscalement. Chacune des parties au contrat est considérée comme un contribuable assumant directement sa part du projet. Même si elle offre une grande flexibilité, cette approche n'est pas sans poser de sérieuses difficultés sur le plan fiscal. L'arrivée ou le départ de nouveaux commanditaires, par exemple, pourrait entraîner des conséquences non désirées pour les partenaires impliqués.
Sociétés
D'un point de vue fiscal, les sociétés ne sont pas forcément la meilleure option : si un projet nécessite des investissements initiaux importants, il peut s'avérer fort difficile de compenser ces coûts au moyen d'autres revenus, ce qui retarde considérablement l'utilisation des attributs fiscaux générés.
Autres facteurs à considérer
Avant de déterminer la structure globale de l'arrangement avec prise de participation, il est essentiel d'évaluer les considérations commerciales susceptibles d'avoir une incidence importante sur la structure, notamment :
- Dans quels actifs du projet les nations autochtones pourront-elles envisager d'acquérir une participation?
- Les nations autochtones se verront-elles attribuer une participation prédéterminée, ou auront-elles la possibilité de souscrire à une participation équitable?
- Les nations autochtones auront-elles la possibilité d'augmenter leur participation (en rachetant des parts au propriétaire majoritaire ou à d'autres nations autochtones)?
- Quelles décisions exigeront un vote à la majorité, à la majorité qualifiée ou à l'unanimité?
- Les investisseurs autochtones seront-ils autorisés à « mettre en commun » (c.-à-d. regrouper) leur participation afin de respecter les seuils requis pour exercer leurs droits de gouvernance sur les questions importantes, notamment en ce qui concerne la nomination d'administrateurs et de dirigeants ou les droits de vote?
- La structure convenue nécessitera-t-elle une approbation réglementaire?
- Qui financera les différentes étapes du projet?
- Le financement sera-t-il sous forme de titres d'emprunt ou de capitaux propres?
- Des programmes de garanties d'emprunt sont-ils offerts? Le cas échéant, quelles seraient les garanties accordées?
- Les parties prévoient-elles réaliser des investissements à court ou à long terme?
- Des restrictions ou périodes de blocage s'appliquent-elles à certains investisseurs en ce qui concerne la vente de leur participation?
Il est essentiel, sur le plan fiscal, de tenir compte des éléments suivants :
- Le moment prévu de la mise en œuvre du projet (d'un point de vue fiscal);
- La possibilité d'intégrer la structure dans le cadre d'un roulement fiscal ou au moyen d'une structure de détention;
- La possibilité d'ajouter ou de retirer des commanditaires sans conséquences fiscales importantes;
- La possibilité de financer le projet sans limiter la prise de participation (compte tenu de l'alinéa 20(1)c), des RDEIF et des règles de capitalisation restreinte);
- La capacité de répartir les revenus et les pertes de façon raisonnable;
- Pour les sociétés en commandite, la capacité de suivre les enjeux liés au prix de base rajusté négatif et aux limites relatives à la fraction à risques;
- La surveillance efficace des impôts indirects;
- La surveillance de la règle générale anti-évitement et des règles relatives aux abris fiscaux, aux sociétés en commandite réputées et aux obligations d'information.
Conclusion
Avant d'envisager l'élaboration de projets d'infrastructure et d'énergie, les parties doivent analyser avec soin les conséquences potentielles des différentes structures en tenant compte de leurs avantages et inconvénients, tant juridiques que fiscaux. Aucune structure unique ne saurait convenir à tous les projets : chaque cas doit être structuré en fonction du contexte et des caractéristiques qui lui sont propres.
Ressources supplémentaires
- Bilan 2025 des tendances concernant les prises de participation autochtones au Canada
- Update on Trends in Indigenous Equity Investments in Canada (en anglais seulement)
- La prise de participation de groupes autochtones dans les projets d'énergie et d'infrastructure au Canada
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