Quelques propos introductifs

La présente Newsletter de Monfrini Bitton Klein vise à offrir, de manière hebdomadaire, un tour d'horizon de la jurisprudence rendue par le Tribunal fédéral dans les principaux domaines d'activité de l'Etude, soit le droit pénal économique et le recouvrement d'actifs (asset recovery).

Sans prétendre à l'exhaustivité, seront reproduits ci-après les considérants consacrant le raisonnement juridique principal développé par notre Haute juridiction sur les thématiques suivantes : droit de procédure pénale, droit pénal économique, droit international privé, droit de la poursuite et de la faillite, ainsi que le droit de l'entraide internationale.

I. PROCÉDURE PÉNALE

TF 1B_162/20221 du 17 février 2023 | Non-entrée en matière sur une décision de refus à l'égard d'une demande de nouvelle expertise (art. 393 al. 1 let. a, 394 let. b CPP)

  • Dans le cadre d'une procédure pour homicide volontaire, le Recourant a fait l'objet d'une expertise médicolégale. L'expert a diagnostiqué un trouble lié à une consommation multiple de substances psychotropes, un syndrome de dépendance ainsi qu'un trouble dissociatif de la personnalité.
  • Le Recourant a demandé qu'une nouvelle expertise soit effectuée au motif que la première était inexacte et que tous les acteurs de la procédure se basaient sur ce document, ce qu'il prétendait être dommageable à ses intérêts. Sa requête a été rejetée par le Ministère public. La Beschwerdekammer in Strafsachen de l'Obergericht du canton de Berne n'est pas entrée en matière sur le recours du Recourant. Ce dernier a donc contesté cette non-entrée en matière devant le Tribunal fédéral.
  • Conformément à l'art. 393 al. 1 let. a CPP, le recours en matière de procédure pénale est recevable entre autres contre les décisions et les actes de procédure du Ministère public. Il est en revanche exclu contre le rejet de demandes de preuves par ce dernier, si la demande peut être répétée sans préjudice juridique devant le tribunal de première instance (art. 394 let. b CPP). Un tel préjudice est admis lorsqu'il existe un risque concret de destruction ou de perte de moyens de preuve pertinents (consid. 3.3).
  • In casu, une menace concrète de perte de preuves a été expressément niée par le Recourant. Ce dernier s'est certes plaint de l'expertise, mais n'a pas étayé plus en détails ses arguments. Il n'a en particulier pas demandé le retrait du rapport d'expertise du dossier (art. 141 al. 5 CPP), son amélioration (art. 198 CPP) ou la récusation de l'expert (art. 56 ss CPP) (consid. 3.5).
  • Le Tribunal fédéral en a conclu qu'il n'existait aucun élément objectif permettant de conclure que l'expertise médico-légale et psychiatrique était inexacte ou inexploitable (consid. 3.5).
  • Par conséquent, le recours a été rejeté.

TF 1B_477/2022 du 7 mars 2023 | Respect du délai pour le dépôt du recours (art. 396 CPP) – absence de coïncidence entre la date du recommandé et le sceau postal

  • Par ordonnance du 19 mai 2022, le Juge de police de l'arrondissement de la Sarine a octroyé l'assistance judiciaire au Recourant en application de l'art. 132 al. 1 let. b CPP. Le 8 juillet 2022, la Chambre pénale du Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg a déclaré irrecevable le recours formé le 30 mai 2022 par le Recourant contre cette décision, en raison de son dépôt tardif.
  • Aux termes de l'art. 396 al. 1 CPP, le recours au sens des art. 393 ss CPP contre les décisions notifiées par écrit ou oralement est motivé et adressé par écrit, dans le délai de dix jours, à l'autorité de recours. Le délai est sauvegardé si l'acte est remis le dernier jour du délai à minuit. La preuve de l'expédition d'un acte de procédure en temps utile incombe à la partie, respectivement à son avocat. La date du dépôt d'un acte de procédure est présumée coïncider avec celle du sceau postal (consid. 2.1).
  • In casu, il n'est pas contesté que la décision du 19 mai 2022 ait été notifiée au Recourant le vendredi 20 mai 2022, si bien que le recours devait être déposée au plus tard le lundi 30 mai 2022, notamment auprès de la Poste suisse (consid. 2.2).
  • Au vu du suivi de l'envoi recommandé produit devant le Tribunal fédéral, le recours cantonal - dont l'enveloppe avec l'autocollant « R » et son numéro de référence figurait au dossier - a donc été déposé en respect de ce délai, soit le lundi 30 mai 2022 à 18h44 à la Poste à Genève (consid. 2.2).
  • Le Tribunal fédéral a par conséquent considéré que, dès lors que le Recourant avait utilisé un mode de procéder propre à apporter en principe la preuve de l'expédition en temps utile de son recours cantonal, l'autorité précédente ne pouvait pas, sous peine en particulier de faire preuve de formalisme excessif, se limiter à prendre comme référence la date du sceau postal apposé sur l'enveloppe (31 mai 2022); elle devait pour le moins interpeller le Recourant à cet égard, voire pouvait effectuer elle-même les vérifications nécessaires dès lors qu'elle disposait du numéro de référence du courrier recommandé (consid. 2.2).
  • Ainsi, le recours cantonal du 30 mai 2022 a été déposé en temps utile et l'instance précédente ne pouvait pas, sauf à violer le droit fédéral ou le droit d'être entendu du Recourant, déclarer ce recours irrecevable (consid.2.2).
  • Partant, le recours a été admis, l'arrêt attaqué annulé et la cause renvoyée à l'autorité précédente pour qu'elle vérifie la réalisation des autres conditions de recevabilité (consid. 3).

TF 1B_516/2022 du 9 mars 2023 | Cas d'admission de disjonction de procédures (art. 29 CPP)

  • Trois procédures pénales ont été ouvertes par le Ministère public vaudois.
  • La procédure P1 instruisait un cas de fausses déclarations faites par des employés afin de toucher des indemnités d'insolvabilité, qui ne visait pas le Recourant.
  • La procédure P2 visait le Recourant pour avoir annoncé des employés fictifs dans le cadre de la faillite de la société B. Sàrl afin de percevoir des indemnités d'insolvabilité de la part de la Caisse cantonale de chômage.
  • La procédure P3 a été ouverte à l'encontre du Recourant pour avoir, en sa qualité d'administrateur de fait de B. Sàrl, prélevé la part salariale des cotisations sociales dues par ses employés pour l'année 2014 sans l'avoir reversée à la Caisse cantonale vaudoise de compensation AVS.
  • Après avoir joint les trois procédures, le Ministère public vaudois a ordonné le 13 mai 2022 la disjonction de la procédure principale P1 des procédures P2 et P3. Cette décision était motivée par le fait que ces deux procédures étaient en l'état d'être jugées, ce qui n'était pas encore le cas de la procédure P1 dans laquelle des investigations complémentaires devaient encore être mises en Suvre et pourraient durer plusieurs mois.
  • Selon l'art. 30 CPP, si des raisons objectives le justifient, le Ministère public et les tribunaux peuvent ordonner la jonction ou la disjonction de procédures pénales. La disjonction de procédures doit rester l'exception. Cette mesure doit avant tout servir à garantir la rapidité de la procédure et à éviter un retard inutile. Constituent également des motifs objectifs un nombre élevé de coprévenus rendant la conduite d'une procédure unique trop difficile, une incapacité de comparaître de longue durée d'un des coprévenus - en fuite ou en raison d'une maladie - ou l'imminence de la prescription. Tel peut aussi être le cas si, en sus du stade de l'instruction - avancé pour certains des coprévenus -, le degré de participation des coprévenus n'est pas le même et qu'en conséquence, cela entraînera un renvoi en jugement devant des autorités différentes. En revanche, la volonté de mettre en Suvre une procédure simplifiée à l'égard d'un des coprévenus ou des raisons d'organisation des autorités de poursuite pénale - notamment quant à une compétence spéciale des autorités de poursuite - ne constituent en soi pas des motifs de disjonction (consid. 2.1).
  • In casu, le Tribunal fédéral a considéré que la disjonction avait été ordonnée à tort. Quand bien même le Recourant n'était pas prévenu de la procédure principale P1, il ne pouvait être fait abstraction du fait que les différents employeurs prévenus - dont le Recourant - semblaient avoir réalisé les infractions reprochées avec l'assistance ou par l'intermédiaire des mêmes individus, également mis en prévention dans la procédure principale P1. Or, l'instruction à leur encontre n'était a priori pas terminée (consid. 2.2).
  • En outre, en l'absence de toute indication quant à la nature des actes d'enquête encore envisagés dans la procédure principale P1, notre Haute Cour a retenu qu'on ne saurait dès lors exclure tout intérêt de la part du Recourant à participer aux éventuelles mesures d'instruction, en particulier sur les interactions en vue notamment de mettre en place le mode de procéder ayant abouti à l'obtention des indemnités a priori indues; ces éléments pourraient être propres à éclairer le rôle des uns et des autres, que ce soit à charge ou à décharge. L'intérêt de participer et/ou de pouvoir se déterminer sur de telles mesures valait d'autant plus que le Recourant contestait les accusations le concernant, lesquelles, à le suivre, reposeraient sur des affirmations mensongères (consid. 2.2).
  • Le Tribunal fédéral a également examiné si un autre motif - le principe de célérité - justifierait la disjonction ordonnée. Notre Haute Cour a constaté au jour de l'arrêt attaqué que le Ministère public ne se prévalait pas de l'atteinte de la prescription de l'action pénale eu égard aux chefs de prévention retenus contre le Recourant et celui-ci ne se trouvait pas en détention avant jugement. Le Ministère public n'avait par ailleurs donné aucune information sur la nature des mesures complémentaires à entreprendre, se limitant à soutenir sans autre démonstration qu'elles prendraient du temps (consid. 2.2).
  • Partant, le recours a été admis, l'arrêt attaqué réformé en ce sens que l'ordonnance ordonnant la disjonction de la procédure P1 de celles P2 et P3 était annulée ; la jonction de ces trois causes a été en l'état maintenue (consid. 3).

II. DROIT PÉNAL ÉCONOMIQUE

-

III. DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

TF 5A_78/2022 du 27 février 2023 | Reconnaissance d'un jugement étranger – absence de contradiction avec l'ordre juridique suisse (art. 34 CL)

  • La décision anglaise objet de cet arrêt faisait supporter la totalité des dépens à la belle-mère (Recourante) d'une partie à la procédure au motif que celle-ci, sans être partie à la procédure, avait financé le procès. Selon le Tribunal fédéral, cette décision n'est pas manifestement contraire à l'ordre public suisse selon l'art. 34 de la Convention de Lugano. En effet, le droit suisse connait la responsabilité solidaire, quel que soit le rôle de chacun (art. 50 CO) (consid. 4.1).
  • Dès lors, une telle décision peut être reconnue en Suisse.

IV. DROIT DE LA POURSUITE ET DE LA FAILLITE

TF 5A_428/20222 du 18 janvier 2023 | Demande de séquestre sur la base d'un jugement étranger – absence de conclusions concernant l'exequatur – principe de disposition (art. 58 al. 1 CPC)

  • Le Recourant a été condamné par les tribunaux français à payer à l'Intimé un montant d'une centaine d'euros. L'Intimé a requis un séquestre en Suisse à l'encontre du Recourant. Au dépôt de sa demande de séquestre, l'Intimé n'a formulé aucune conclusion formelle quant au prononcé de l'exequatur de la décision française.
  • Le Tribunal de première instance (« TPI ») a déclaré exécutoire en Suisse le jugement étranger. Le TPI a considéré que le séquestre ne pouvait être ordonné qu'après le prononcé de l'exequatur de la décision étrangère par le juge du séquestre, même en l'absence d'une requête spécifique sur ce point. Le Recourant a contesté cette décision devant la Cour de justice du canton de Genève, sans succès.
  • Le Recourant a invoqué pour l'essentiel la violation de l'art. 58 al. 1 CPC. Il a estimé que son créancier n'ayant pas demandé l'exequatur du jugement français lors de la requête de séquestre, le tribunal cantonal ne pouvait pas se prononcer sur cet objet (consid. 3.2).
  • Le Tribunal fédéral a rappelé que le séquestre de l'art. 271 al. 1 ch. 6 LP peut être requis soit en même temps que la constatation du caractère exécutoire du jugement « Lugano » par le dépôt de conclusions séparées mais simultanées, soit après la notification de la déclaration d'exequatur ou lorsque la décision d'exequatur est entrée en force. En d'autres termes, lorsqu'il demande un séquestre sur la base de l'art. 271 al. 1 ch. 6 LP, le créancier introduit simultanément deux requêtes, qu'il pourrait aussi déposer de manière séparée à condition d'obtenir en premier une décision favorable d'exequatur. En effet, le créancier peut, dans un premier temps, obtenir seulement la déclaration constatant la force exécutoire d'un jugement « Lugano » dans une procédure indépendante et unilatérale (art. 38 s. CL), puis, dans un second temps, le séquestre du chiffre 6 de l'art. 271 al. 1 LP (consid. 5.2.1.3).
  • Notre Haute Cour a ensuite ajouté que sur la base de l'art. 58 al. 1 CPC, le tribunal ne peut accorder à une partie ni plus, ni autre chose que ce qui est demandé, ni moins que ce qui est reconnu par la partie adverse. Les conclusions des parties doivent ainsi être suffisamment déterminées. Le principe de disposition n'interdit cependant pas au tribunal de déterminer le sens véritable des conclusions et de statuer sur cette base, plutôt que selon leur libellé inexact ou imprécis. Si le juge est lié par les conclusions des parties, encore faut-il préciser qu'il peut être amené à statuer sur la base de conclusions implicites. Les conclusions doivent en effet être interprétées selon le principe de la confiance, à la lumière de la motivation de l'acte. Le juge peut donc s'y reporter si les conclusions ne sont pas claires et nécessitent une interprétation (consid. 5.2.2).
  • Le Tribunal fédéral a conclu que même si le créancier omet de déposer des conclusions formelles séparées, il doit démontrer le caractère exécutoire du jugement « Lugano » que suppose l'existence d'un titre de mainlevée définitive. La déclaration sur la force exécutoire du jugement « Lugano » participe donc au but de l'institution dont il revendique l'application. Le créancier qui n'entend pas qu'il soit statué définitivement sur l'exequatur d'un tel jugement qu'il détient peut, au lieu de demander un séquestre au sens de l'art. 271 al. 1 ch. 6 LP avec déclaration d'exequatur simultanée, invoquer un autre cas de séquestre (en particulier celui du chiffre 4) et faire ensuite reconnaître la décision étrangère uniquement à titre préjudiciel dans la procédure de mainlevée définitive. Partant, le juge qui constate que le créancier invoque le cas de séquestre de l'art. 271 al. 1 ch. 6 LP, mais s'oppose à ce qu'il soit statué sur la question de l'exequatur doit certes se limiter à rejeter la requête de séquestre, sans préjuger du caractère exécutoire du jugement. En revanche, si une telle opposition n'est pas exprimée par le requérant, le juge qui statue sur l'exequatur, même sans conclusions formelles, tant dans le sens d'une admission que d'un refus, ne peut se voir reprocher une violation de l'art. 58 al. 1 CPC. D'ailleurs, dans une approche similaire, le Tribunal fédéral a admis que le juge qui a autorisé le séquestre, mais a omis de statuer expressément sur l'exequatur, a implicitement admis aussi les conclusions formulées à cet égard (consid. 5.2.3).
  • Le recours a donc été rejeté.

V. ENTRAIDE INTERNATIONALE

-

Footnotes

1. Destiné à publication

2. Destiné à publication

The content of this article is intended to provide a general guide to the subject matter. Specialist advice should be sought about your specific circumstances.