Quelques propos introductifs

La présente Newsletter de Monfrini Bitton Klein vise à offrir, de manière hebdomadaire, un tour d'horizon de la jurisprudence rendue par le Tribunal fédéral dans les principaux domaines d'activité de l'Etude, soit le droit pénal économique et le recouvrement d'actifs (asset recovery).

Sans prétendre à l'exhaustivité, seront reproduits ci-après les considérants consacrant le raisonnement juridiqueprincipal développé par notre Haute juridiction sur les thématiques suivantes: droit de procédure pénale, droit pénal économique, droit international privé, droit de la poursuite et de la faillite, ainsi que le droit de l'entraide internationale.

I. PROCÉDURE PÉNALE

TF 1C_160/2022 du 10 janvier 2023 | Refus de l'autorisation d'ouvrir une enquête pénale en raison de l'absence d'indices suffisants (art. 7 al. 2 let. b CPP)

  • Dans les faits, la Recourante, A. SA, a déposé une plainte pénale contre B., directeur de l'office des poursuites de Dübendorf, pour abus d'autorité(art. 312 CP) lors de la réalisation de deux immeubles qu'elle avait mis en gage. La Recourante estimait notamment que B. aurait dû lui reverser un certain montant, car celui-ci n'était plus nécessaire pour l'exécution forcée.
  • L'art. 7 al. 2 let. b CPP permet aux cantons de soumettre la poursuite pénale des membres de leurs autorités exécutives et judiciaires pour des crimes ou des délits commis dans l'exercice de leurs fonctions à l'autorisation d'une autorité non judiciaire ou judiciaire. Cette possibilité est ouverte aux cantons pour tous les membres de leurs autorités exécutives et judiciaires. En font également partie les employés communaux et donc aussi l'Intimé en tant que directeur de l'office des poursuites(consid. 2.1).
  • Afin d'octroyer ou non une telle autorisation, seuls les éléments pénaux doivent être pris en compte. Il est donc nécessaire qu'un minimum d'indices d'un comportement pénalement répréhensible soit apporté. Une erreur de l'autorité en cause n'implique pas automatiquement l'obligation d'accorder cette autorisation. Enfin, en cas de doute, le principe in dubio pro duriore impose d'autoriser la poursuite pénale (consid. 2.3).
  • Le Tribunal fédéral a estimé que malgré le fait qu'il fallait admettre un manquement aux obligations de la part de l'Intimé, les éléments et arguments du Recourant étaient insuffisants pour admettre un comportement pénalement répréhensible (consid. 3.3).
  • Le recours a dès lors été rejeté.

TF 6B_174/2022 du 12 janvier 2023 | Abus de l'appel joint formé par le Ministère public

  • Le Recourant a été mis en accusation pour diverses infractions notamment à la liberté, à l'intégrité physique et à la loi sur la circulation routière. Le tribunal régional du Jura bernois-Seeland a reconnu le Recourant coupable de certaines infractions et l'a acquitté pour le reste. Le Recourant a formé appel contre ce jugement. Le Ministère public du canton de Berne a dès lors déposé un appel joint et a notamment requis que le prévenu soit poursuivi pour mise en danger de la vie d'autrui, infraction qui ne figurait pas dans l'acte d'accusation.
  • La 2èmeChambre pénale de la Cour suprême du canton de Berne a partiellement admis ces deux recours en acquittant le Recourant pour certaines infractions, mais en le déclarant coupable de mise en danger de la vie d'autrui. Le prévenu a saisi le Tribunal fédéral.
  • Le principal grief soulevé par le Recourant est celui de la reformatio in pejus (art. 391 al. 2 CPP). Dans ce cadre, le Tribunal fédéral s'est penché sur la problématique de l'appel joint du Ministère public déposé dans le seul but de faire pression sur le prévenu. Bien que l'art. 381 al. 1 CPP n'exige pas du Ministère public qu'il puisse justifier d'un intérêt juridiquement protégé lors du dépôt d'un appel joint, notre Haute Cour considère qu'il y a lieu de se montrer particulièrement strict s'agissant de la légitimation du Ministère public à former un tel appel lorsque le dépôt de cet acte dénote une démarche contradictoire susceptible de se heurter au principe de la bonne foi en procédure. Il en va en particulier ainsi lorsque le Ministère public forme, sans motivation précise et en l'absence de faits nouveaux dont il entendait par hypothèse se prévaloir (art. 391 al. 2 CPP), un appel joint sur la seule question de la peine en demandant une aggravation, alors que ses réquisitions à cet égard avaient été intégralement suivies par l'autorité de première instance (consid. 4.2.2).
  • In casu, le Ministère public n'a ni expliqué pourquoi il avait précédemment renoncé à poursuivre le Recourant pour mise en danger de la vie d'autrui, ni les raisons qui l'ont poussé à déposer un appel joint au lieu d'un appel principal. Le Tribunal fédéral a ainsi considéré que la démarche du Ministère public consacrait un comportement contradictoire dans l'exercice de l'action publique et que la cour cantonale n'aurait pas dû lui reconnaître la légitimation pour former un appel joint (consid. 4.3).
  • Dès lors, le principe de l'interdiction de lareformatio in pejustrouvait pleinement application, ce qui empêchait la cour cantonale de condamner le Recourant pour mise en danger de la vie d'autrui et conséquemment, de prononcer une peine privative de liberté plus sévère qu'en première instance
    (consid. 4.3).
  • Le recours a donc été partiellement admis
    (consid. 7)

TF 1B_209/2022 du 22 décembre 2022 | Refus de récusation d'un juge (art. 56 CPP)

  • Le fait pour un juge d'avoir, par le passé, traité des procédures concernant leRecourant de même que le fait, pour son épouse, d'avoir, soi-disant, ouvré pour une campagne de mobbing contre le Recourant, ne sont pas des motifs suffisants qui justifient la récusation du juge (consid. 3.2 et 3.4).

TF 1B_508/2022 du 16 décembre 2022 | Etablissement d'un profil d'ADN (art. 255 CPP) - proportionnalité (art. 10 al. 2 et 13 al. 3 cum 36 Cst.)

  • Afin d'élucider un crime ou un délit, il est possible de prélever un échantillon sur la personne accusée et d'établir un profil d'ADN (art. 255 al. 1 let. a CPP).
  • Le Tribunal fédéral a commencé par rappeler qu'une telle procédure n'est pas seulement possible pour élucider des infractions déjà commises et connues des autorités de poursuite pénale. Comme il ressort plus clairement de l'art.259CPP en relation avec l'art. 1 al. 2 let. a de la Loi sur les profils d'ADN, l'établissement d'un profil d'ADN doit au contraire permettre aussi d'identifier les auteurs d'infractions qui sont encore inconnues des autorités de poursuite pénale. Il peut s'agir de délits passés ou futurs (consid. 2.1).
  • L'art. 255 CPP ne permet toutefois pas le prélèvement et l'analyse de routine d'échantillons d'ADN en cas de soupçons suffisants. Le prélèvement des échantillons de comparaison corporels nécessaires à l'analyse de l'ADN, notamment un frottis de la muqueuse de la joue ou un échantillon de sang, et l'établissement ultérieur d'un profil d'ADN et son traitement par les autorités étatiques touchent respectivement au droit fondamental de l'intégrité corporelle ancré à l'art. 10 al. 2 Cst. et au droit à l'autodétermination en matière d'information selon l'art. 13 al. 2 Cst. Conformément à l'art. 36 al. 2 et 3 Cst., les restrictions des droits fondamentaux doivent reposer sur une base légale, être justifiées par un intérêt public et rester proportionnées. Ces conditions sont précisées à l'art. 197 al. 1 CPP, dont la lettre b requière l'existence de «soupçons suffisants» (consid. 2.2).
  • In casu, s'agissant de la condition de soupçons suffisants laissant présumer une infraction, l'instance précédente s'était ralliée à l'appréciation du Tribunal des mesures de contrainte qui, dans le cadre d'une procédure pour violences conjugales, s'était notamment fondé sur les déclarations accablantes de la victime (témoignant de multiples menaces ainsi que de violences physiques et psychologiques durant les douze dernières années), sur un fichier audio remis par cette dernière, sur le fait qu'elle avait quitté le domicile commun et sur son séjour dans un foyer pour femmes (consid.2.3).
  • L'instance précédente avait ainsi considéré qu'il existait des soupçons suffisants. Sur cette base, il fallait également supposer une tendance accrue à la violence de la part du Recourant et donc craindre d'autres actes de violence. Par conséquent, il était évident que l'établissement d'un profil d'ADN était susceptible d'influencer positivement, dans une certaine mesure, la propension présumée accrue du Recourant à la violence envers la victime ou, le cas échéant, envers une nouvelle partenaire
    (consid.2.3).
  • Quant au Recourant, il a fait valoir que l'instance inférieure avait violé sa présomption d'innocence en concluant à une tendance à la violence uniquement sur la base des délits du cas d'espèce, sans mentionner d'autres indices importants et concrets. Le Recourant n'avait pas d'antécédents judiciaires. De plus, il n'était pas dans une nouvelle relation, ce qui rendait les hypothèses de l'instance précédente purement spéculatives (consid.2.4).
  • Le Tribunal fédéral a tout d'abord souligné qu'une analyse d'ADN pouvait également servir à des fins préventives. Si sa nécessité est justifiée uniquement par des présomptions d'infractions qui n'ont pas encore fait l'objet d'un jugement définitif, l'établissement d'un profil d'ADN ne viole pas le principe de la présomption d'innocence (art. 32 al. 1 Cst. et art. 6 ch. 2 CEDH), car l'acceptation d'une présomption d'infraction ne constitue pas en soi une condamnation préalable. Notre Haute Cour a souligné que l'arrêt entrepris ne contenait pas de constatations suggérant que le Recourant était coupable, n'engendrant ainsi aucune violation du principe de la présomption d'innocence (consid. 2.5).
  • En revanche, le Tribunal fédéral a considéré que les soupçons qui pesaient sur le Recourant se limitaient à des infractions commises dans le cadre de sa relation de longue date avec sa partenaire, dont il était désormais séparé. Le Tribunal des mesures de contrainte, dans le cadre de la procédure relative à la détention préventive, avait considéré qu'il y avait un risque de récidive, mais qu'une interdiction de contact et de périmètre était suffisante pour l'écarter. En outre, aucun élément ne permettait de conclure que le Recourant avait entamé une nouvelle relation. Il n'avait en outre pas d'antécédents judiciaires. Dans ce contexte, le Tribunal fédéral a trouvé qu'il était «extrêmement douteux» qu'après avoir ordonné une interdiction de contact et de périmètre, l'instance précédente ait encore pu considérer qu'il existait des indices importants et concrets de risque d'infractions futures
    (consid. 2.7).
  • Le Tribunal fédéral a ensuite retenu qu'en cas de délit futur, il ne s'agirait guère d'identifier l'auteur (art. 1 al. 2 let. a ch. 1 de la Loi sur les profils d'ADN), mais tout au plus de soutenir l'administration des preuves (art. 1 al. 2 let. a ch. 3 de la Loi sur les profils d'ADN). A cet égard, il n'y avait pas d'avantages déterminants à attendre d'une analyse d'ADN déjà effectuée à titre préventif. Si le Recourant devait effectivement être à nouveau soupçonné d'un délit similaire et s'il était possible de supposer à ce moment-ci que son profil d'ADN constituerait un moyen de preuve approprié (art. 139 al. 1 CPP), un tel profil pouvait encore être ordonné sans autre lors de cette procédure ultérieure. En conséquence, il n'était pas nécessaire de le réaliser dès la présente procédure «à titre préventif», raison pour laquelle l'atteinte aux droits fondamentaux qui en résultait était disproportionnée (consid. 2.8).
  • Partant, le Tribunal fédéral a admis le recours et annulé la décision entreprise en ordonnant au Ministère public - en tant qu'autorité d'instruction (art. 7 de la Loi sur les profils d'ADN) - de procéder à la destruction de l'échantillon, du profil d'ADN et de son inscription dans le système d'information sur les profils d'ADN (consid. 3).

II. DROIT PÉNAL ÉCONOMIQUE

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III. DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

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VI. DROIT DE LA POURSUITE ET DE LA FAILLITE

TF 5A_794/20221 du 9 janvier 2023 | Non-entrée en matière sur une plainte par l'autorité de surveillance

  • Une demande de sûretés selon l'art. 170 LIFD a été exigée du Recourant pour les impôts fédéraux directs des années 2005 à 2009 et 2010 à 2015 pour un montant total de CHF 65 millions en raison d'une mise en danger des droits du fisc et d'un domicile à l'étranger. Sur la base de celle-ci, différentes ordonnances de séquestre ont été rendues par la suite et exécutées par les offices des poursuites territorialement compétents.
  • Quelques années plus tard, une nouvelle ordonnance de séquestre a été rendue, puis exécutée. L'office des poursuites de la région de Maloja a été désigné comme office «lead » des poursuites et a procédé au séquestre des valeurs patrimoniales du Recourant dans toute la Suisse. Le Recourant a déposé un recours contre cette ordonnance de séquestre auprès du tribunal cantonal des Grisons qui l'a rejeté. L'instance cantonale a en particulier considéré qu'elle n'était pas compétente pour vérifier si l'office des poursuites «lead» choisi par l'autorité fiscale était légal. Elle a également estimé qu'il manquait une base légale lui permettant d'étendre son pouvoir de cognition en tant qu'autorité cantonale de surveillance et de combler ainsi une éventuelle lacune.
  • C'est donc contre cette décision que le Recourant a recouru auprès du Tribunal fédéral.
  • Le litige porte l'exécution d'un séquestre par voie d'entraide, et notamment sur la désignation, dans l'ordonnance de séquestre, d'un office des poursuites «lead» situé en dehors du canton de domicile du débiteur ainsi que sur l'absence de compétence en faveur de l'autorité cantonale de surveillance de pouvoir procéder à un examen complet sur la question du choix de cet office.
  • L'exécution d'une ordonnance de séquestre rendue sur la base d'une demande de sûretés pour les impôts fédéraux directs donne lieu à un recours
    (consid. 2).
  • Le Recourant a invoqué à l'appui de son argumentation la garantie de l'accès au juge (art. 29a Cst.) (consid. 2.3).
  • La garantie de l'accès au juge (art. 29a Cst.) confère un droit à ce qu'une autorité judiciaire effectue un contrôle complet des faits et du droit en cas de litige. Elle implique, en matière de surveillance dans les affaires de poursuite pour dettes et de faillite, que les tâches de l'autorité cantonale supérieure ou unique de surveillance soient confiées à un tribunal (consid. 2.3.1 et 2.3.2).
  • Notre Haute Cour a rappelé que si l'ordonnance de séquestre est complète et valable au sens de l'art. 274 LP, l'office des poursuites doit l'exécuter, sans examiner les conditions matérielles du séquestre. L'appréciation des objections correspondantes appartient au juge de l'opposition. Par conséquent, l'exécution par l'office des poursuites ne peut être refusée que dans la mesure où l'ordonnance de séquestre s'avère nulle (consid. 2.5).
  • In casu, la demande de sûretés de l'administration fiscale valant ordonnance de séquestre remplissait toutes les conditions de validité afin de permettre à l'office des poursuites d'exécuter correctement le séquestre (consid. 2.4).
  • Le Recourant a alors fait valoir que la voie de l'opposition de l'art. 278 LP n'était pas ouverte (art. 170 al. 2 LIFD) dans le cas présent. Cet argument n'a toutefois pas été retenu par Notre Haute Cour qui a considéré que cela n'impliquait pas encore que l'ordonnance de séquestre ne pût être revue par un tribunal (consid. 2.5.1).
  • Partant, il découle de la présente décision rendue par le Tribunal fédéral que dans le cadre d'un recours LP contre l'exécution d'un séquestre, la détermination de l'office des poursuites «lead» ne peut pas être examinée. La détermination de l'office «lead» lors de l'exécution du séquestre par voie d'entraide judiciaire incombe au tribunal ou à l'administration fiscale et doit être contestée par un recours contre l'autorisation de séquestre selon l'art. 278 al. 1 LP.
  • Le recours a donc été rejeté (consid. 3).

TF 5A_616/2022 du 18 janvier 2023 | Réduction de la rémunération de l'administration spéciale de la faillite

  • Le Tribunal fédéral a estimé que c'est à bon droit que l'autorité précédente a décidé de réduire la part de la rémunération d'un des liquidateurs de l'administration spéciale de la faillite au motif que ce dernier avait insuffisamment justifié son activité par le biais d'un «time sheet» contenant une liste chronologique des opérations effectuées, sans précision de l'identité des personnes s'y étant attelées ou différenciation selon la difficulté ou la nature des opérations en question. Le liquidateur avait de plus appliqué un tarif unique de CHF 280.-, y compris pour les prestations les plus simples ou relevant de l'activité typique de liquidation.Vu le défaut de précisions sur les personnes ayant effectué chacune des opérations et en l'absence de classification des opérations par catégorie, il fallait procéder à une réduction forfaitaire de la rémunération requise, un calcul précis de celle-ci sur la base d'un tarif horaire étant exclu (consid. 3).

TF 5A_873/2022 du 23 janvier 2023 | Signature électronique en fac-similé (art. 6 Oform)

  • L'autorisation d'apposer des timbres en fac-similé de l'art. 6 Oform s'applique également aux signatures numérisées.

TF 5A_67/2022 du 19 janvier 2023 | Droit de consulter le dossier (8a LP)

  • En matière de droit de consulter le dossier selon l'art. 8a LP, l'office des poursuites ou, en cas de plainte, l'autorité de surveillance, dispose d'un certain pouvoir d'appréciation. Le fait de ne traiter que les demandes écrites de renseignements plus détaillés sur une autre personne ne constitue notamment pas une violation du droit fédéral. Cela se justifie par le fait que l'accès au dossier représente une atteinte importante aux droits de la personnalité de la personne concernée (consid. 2.3.3).

V. ENTRAIDE INTERNATIONALE

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Footnote

1. Destiné à publication

The content of this article is intended to provide a general guide to the subject matter. Specialist advice should be sought about your specific circumstances.