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4 July 2025

G1/24 : la description d'un brevet doit être consultée pour interpréter les revendications… and so what ?

La Grande Chambre de recours de l'Office européen des Brevets (OEB) vient de rendre une décision portant sur l'interprétation des revendications d'un brevet européen.
France Intellectual Property

Le contexte

Conditions de délivrance d'un brevet européen et rôle de la clarté des revendications

Pour être délivré par l'OEB, un brevet européen doit satisfaire un certain nombre de conditions. En particulier, les revendications du brevet doivent être claires en elles-mêmes (article 84 CBE).

Le but de cette exigence est de fournir une sécurité juridique aux tiers, pour leur permettre de déterminer de manière fiable la portée du brevet, laquelle est justement conférée par les revendications (article 69 CBE).

Interprétation des revendications dans le cadre de procédures post-délivrance

La validité d'un brevet européen peut être contestée après sa délivrance via des procédures telles qu'une opposition devant l'OEB ou une action en nullité devant des tribunaux nationaux ou devant la Juridiction Unifiée des Brevets (JUB).

Dans de telles procédures post-délivrance, différents motifs peuvent être invoqués pour révoquer/annuler le brevet, notamment un défaut de nouveauté ou d'activité inventive de l'objet revendiqué. En revanche, le manque de clarté d'une revendication ne fait pas partie de ces motifs.

Dans ces procédures, la façon d'interpréter les revendications joue un rôle déterminant : en effet, selon que l'on interprète les revendications de manière large ou étroite, la conclusion sur la nouveauté ou l'activité inventive peut différer.

On pourrait penser qu'interpréter une revendication ne devrait pas poser de difficultés étant donné que l'OEB a vérifié que les revendications étaient claires avant de délivrer le brevet.

Toutefois, malgré l'examen réalisé par l'OEB, des termes ambigus peuvent subsister dans des revendications de brevets européens délivrés. A cet égard, nous observons que les examinateurs de l'OEB sont loin d'être aussi sévères et rigoureux que les examinateurs d'autres offices (notamment américains et chinois), surtout en ce qui concerne la clarté des revendications dépendantes, souvent examinées avec un niveau d'attention inférieur par rapport aux revendications indépendantes.

L'interprétation de termes ambigus dans des procédures post-délivrance suscite généralement des difficultés importantes.

L'affaire T0439/22 : point de départ de la décision G1/24

Dans l'affaire T 0439/22, qui est à l'origine de la présente décision, une Chambre de recours s'est demandé comment interpréter l'expression « feuille rassemblée » (gathered sheet) revendiquée dans le brevet EP3076804. Le titulaire prétendait qu'il fallait lui attribuer le sens communément utilisé dans le domaine considéré, auquel cas l'invention serait nouvelle ; l'opposant estimait qu'il fallait plutôt utiliser la définition de ce terme fournie dans la description du brevet, de portée plus large, auquel cas l'invention ne serait pas nouvelle.

Au fil des années, des divergences ont émergé dans le corpus de décisions antérieures prises par des Chambres de recours à ce sujet. Les Chambres de recours n'étaient pas d'accord entre elles sur la base légale applicable pour interpréter les revendications (article 84 vs article 69 CBE) et sur les conditions dans lesquelles la description et les dessins sont utilisables pour interpréter les revendications.

C'est en raison de ces divergences que la Chambre de recours de l'affaire T 0439/22 a décidé d'interroger la Grande Chambre de recours.

Les questions posées et les réponses fournies

Question posée Réponse fournie
1.  L'article 69(1), deuxième phrase, de la CBE et l'article 1 du Protocole sur l'interprétation de l'article 69 CBE doivent-ils être appliqués à l'interprétation des revendications de brevet lors de l'évaluation de la brevetabilité d'une invention au titre des articles 52 à 57 CBE ? Non. Les articles 69 et 84 de la CBE ne sont pas des bases légales pertinentes.
2. La description et les figures peuvent-elles être consultées lors de l'interprétation des revendications pour évaluer la brevetabilité et, si oui, cela peut-il être fait de manière générale ou seulement si la personne du métier trouve une revendication peu claire ou ambiguë lorsqu'elle est lue isolément ? La description et les figures doivent toujours être consultées lors de l'interprétation des revendications pour évaluer la brevetabilité.
3. Une définition ou une information similaire relative à un terme utilisé dans les revendications et explicitement fournie dans la description peut-elle être ignorée lors de l'interprétation des revendications aux fins de l'appréciation de la brevetabilité et, dans l'affirmative, dans quelles conditions ? Pas de réponse fournie, la question étant jugée irrecevable.

Conséquences de la décision G1/24

Consultation systématique de la description

La réponse à la question 2 devrait mettre fin à la pratique de certaines Chambres de recours consistant à ignorer purement et simplement la description et les dessins pour interpréter des revendications.

Dans sa décision, la Grande Chambre de recours ne fait pas mystère de sa volonté de s'aligner sur la jurisprudence de la JUB et des tribunaux nationaux. Sur le papier, cet alignement est bienvenu, car il renforce la cohérence globale du système juridique européen en matière de brevets.

Conséquences de l'absence de réponse explicite à la question 3

Pour justifier l'irrecevabilité de la question 3, la Grande Chambre de recours indique lapidairement que celle-ci est « incluse » (encompassed) dans la question 2. Autrement dit, la Grande Chambre de recours affirme qu'en répondant à la question 2, elle répond aussi à la question 3.

Ce raisonnement nous paraît difficilement compréhensible.

Sur le plan formel, la question 2 était générale, fermée, et portant sur la possibilité de consulter  (refer to) la description et les dessins dans leur ensemble pour interpréter des revendications. A contrario, la question 3 était une question plus précise, en partie ouverte, qui demandait des conditions pour ignorer (disregard) une définition fournie dans la description (ce qui suppose donc que l'on se place dans le cas où la description est « consultable »).

Même si le libellé de la question 3 n'évoque pas explicitement le conflit potentiel entre une définition contenue dans la description d'un brevet et une autre définition admise dans le domaine de l'invention considérée, il nous paraît clair que la Chambre de l'affaire T439/22 a posé la question 3 à la Grande Chambre de recours que cette instance suprême l'aide à résoudre ce conflit.

Force est de constater que la réponse apportée à la question 2 (aux paragraphes 14 à 21 de la décision G1/24) est entièrement silencieuse sur un tel conflit.

En définitive, la décision G1/24 n'apporte pas une aide explicite à la Chambre de l'affaire T0439/22. Au vu de la réponse à la question 2, nous savons d'ores et déjà que la définition de « feuille rassemblée » mentionnée dans la description du brevet EP3076804 devra être « consultée ». En revanche, compte tenu de l'absence de réponse à la question 3, il est difficile de prédire si cette définition devra être préférée à la définition (plus étroite) utilisée dans le domaine de l'invention.

Cela étant, il est possible que certaines Chambres interprètent à l'avenir la décision G1/24 de la façon suivante : puisque la Grande Chambre de recours suggère que sa réponse à la question 2 répond également à la question 3, cela veut forcément dire qu'il faut appliquer systématiquement une définition fournie dans la description pour interpréter les revendications. Autrement dit, « consulter la description » signifierait appliquer son contenu.

Conclusion

La décision G1/24 entérine la nécessité de « consulter » la description et les dessins d'un brevet pour interpréter ses revendications afin d'examiner leur validité.

Cette décision laisse toutefois les utilisateurs sur leur faim, car elle n'apporte pas de réponse explicite sur la manière de résoudre un conflit entre plusieurs définitions d'un terme revendiqué, l'une des définitions étant fournie dans la description.

Ceci est regrettable, car les divergences entre des Chambres de recours à ce sujet devraient continuer à prospérer.

The content of this article is intended to provide a general guide to the subject matter. Specialist advice should be sought about your specific circumstances.

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