L'intelligence artificielle (IA) révolutionne de nombreux secteurs, et les directions juridiques n'échappent pas à cette transformation. De la justice prédictive à la gouvernance des données personnelles, l'IA promet de rendre le droit plus accessible et efficace, tout en soulevant des questions éthiques et des défis juridiques.
Cet article explore les conséquences de l'IA dans la pratique du droit, en mettant en lumière les enjeux éthiques, les défis juridiques et les opportunités qui en découlent, en s'appuyant sur les recommandations récentes en matière de confidentialité des données.
Les opportunités offertes par l'intelligence artificielle dans le droit du numérique
Vers une justice plus accessible et prédictive
L'IA permet une meilleure accessibilité au droit grâce à des outils capables de simplifier et d'automatiser des tâches juridiques fastidieuses. Des logiciels d'analyse juridique peuvent, par exemple, évaluer le montant d'une pension alimentaire ou estimer les probabilités de succès d'une procédure judiciaire sur la base de données statistiques issues de décisions de justice. Des bases de données en ligne et des logiciels sont capables d'effectuer des analyses juridiques ou encore de rédiger des actes juridiques basiques. La justice prédictive, qui s'appuie sur des algorithmes d'IA, offre aux avocats et magistrats la possibilité de rationaliser des décisions judiciaires en analysant des tendances issues de milliers de décisions judiciaires passées. Cela permet de réduire l'aléa judiciaire et de favoriser l'harmonisation de la jurisprudence.
Optimisation des processus contractuels et de la gouvernance numérique
L'IA simplifie également la gestion des contrats numériques. Grâce à des technologies telles que le traitement automatique du langage naturel (NLP), il est désormais possible de générer et d'analyser des contrats complexes en un temps record. La conception et l'exploitation des solutions de Big Data impliquent des obligations respectives des parties en matière de sécurité, gestion des accès, confidentialité et réversibilité. Ces outils permettent aux entreprises de minimiser les risques juridiques et de rationaliser leurs relations contractuelles. De plus, l'introduction de systèmes d'IA dans la gouvernance numérique, notamment pour la gestion des données personnelles, contribue à renforcer la conformité avec les réglementations, comme le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD). Les solutions d'IA peuvent ainsi garantir une meilleure sécurité et confidentialité des données en automatisant les audits de conformité et en identifiant les pratiques à risque. Les concepteurs d'algorithmes et les utilisateurs qui traitent des masses de données personnelles seront tenus par les règles de la privacy by design et de la privacy by default" (article 25 du RGPD).
Les enjeux éthiques liés à l'utilisation de l'IA dans le droit
Respect des droits fondamentaux et prévention des discriminations
L'utilisation de l'IA dans le droit soulève des préoccupations relatives aux droits fondamentaux. La Commission européenne pour l'efficacité de la justice (CEPEJ) a adopté une charte éthique qui souligne l'importance de respecter les principes de non-discrimination, de transparence et de protection des droits des individus dans les systèmes judiciaires utilisant l'IA (Charte éthique). Cette charte pose en principe que le recours à l'IA doit se faire de manière responsable, dans le respect des droits fondamentaux des individus. Un des principaux risques identifiés est celui des biais algorithmiques, qui peuvent renforcer les discriminations existantes. À la manière d'un biais cognitif, des données biaisées utilisées pour entraîner un système d'IA pourraient conduire à des décisions juridiques partiales. La CNIL insiste sur le fait que les concepteurs doivent mettre en œuvre des mécanismes pour détecter et corriger ces biais afin de garantir une IA éthique et digne de confiance. Les jeux de données d'entraînement doivent être pertinents, représentatifs, exempts d'erreurs et complets.
Transparence et contrôle humain
Un autre enjeu central est celui de la transparence des algorithmes. Les utilisateurs d'outils d'IA doivent pouvoir comprendre les mécanismes sous-jacents qui conduisent à une décision. Cela implique de rendre accessibles les méthodologies de traitement des données et de permettre des audits externes pour valider les modèles utilisés. Le contrôle humain demeure également indispensable. Le juge ou l'avocat ne peut être remplacé par un logiciel, car chaque affaire présente des spécificités qui nécessitent une appréciation humaine. Comme l'a rappelé le vice-président Jean-Marc Sauvé, « le propre de la justice est que chaque affaire soit examinée pour ce qu'elle est, avec sa part d'originalité et d'irréductible complexité ». Même dans un contentieux de masse ou très répétitif, l'expérience et la capacité personnelles et professionnelles des juges sont essentielles.
Les défis juridiques posés par l'intelligence artificielle
Responsabilité en cas de dommage causé par une IA
L'autonomie croissante de l'IA pose des défis majeurs en matière de responsabilité juridique. En cas de dommage causé par un système d'IA, il peut être difficile de déterminer qui du concepteur, de l'utilisateur ou de l'entité déployant l'outil doit être tenu responsable. Qui du concepteur ou de l'utilisateur devra être tenu pour responsable des fautes commises par l'IA ? Le projet de directive européenne sur la responsabilité en matière d'IA a été retiré car suscitait trop de débats et d'incertitudes juridiques. La Commission a également exprimé son souhait d'accélérer le processus législatif en matière de digital (Commission work programme 2025). Un programme qui n'est pas toujours en cohérence avec les opinions de certains acteurs du secteur qui dénoncent une surrèglementation paralysante.
Protection des données personnelles et conformité au RGPD
Les systèmes d'IA traitent souvent des données personnelles, ce qui les soumet aux exigences strictes du RGPD. Ces systèmes doivent garantir la confidentialité des données et permettre aux individus d'exercer leurs droits, notamment le droit d'accès, de rectification, d'opposition et d'effacement. La CNIL recommande d'adopter des mesures spécifiques pour limiter les risques d'atteinte à la vie privée, notamment en anonymisant les données ou en réduisant leur conservation au strict nécessaire. Les acteurs doivent s'efforcer de rendre les modèles anonymes et empêcher la divulgation de données personnelles confidentielles (Nouvelles Recommandations CNIL).
Perspectives et recommandations pour une IA responsable dans le droit du numérique
Renforcer la conformité et l'éthique des systèmes d'IA
Pour garantir une IA éthique et conforme, il est parfois impératif de réaliser des analyses d'impact sur les droits fondamentaux avant la mise en œuvre des systèmes d'IA. Ces analyses doivent identifier les risques pour les droits des individus et prévoir des mesures pour les atténuer. Ces analyses d'impact pourront prévenir les risques de violation de droits tels que la vie privée et la non-discrimination. De plus, les autorités publiques et les entreprises doivent investir dans la formation de juristes et d'experts multidisciplinaires capables de superviser le déploiement de ces technologies. Ces formations doivent notamment initier aux techniques de prompting et sensibiliser aux risques des outils intégrant de l'IA.
Encourager l'innovation tout en protégeant les utilisateurs
L'IA offre des opportunités considérables pour le droit du numérique, mais son développement doit être encadré par un cadre juridique clair et équilibré. Les recommandations récentes de la CNIL sur l'IA constituent un outil précieux pour les acteurs souhaitant innover tout en respectant les droits des utilisateurs. Par ailleurs, chaque entreprise devrait prendre en considération l'utilisation de l'IA par ses collaborateurs, même lorsque ces outils ne sont pas déployés en interne. La mise en place d'une charte informatique rigoureuse assortie de sanctions permet de se prévenir contre la fuite du savoir-faire et des secrets d'affaires. Dans l'idéal, cette charte sera assortie de mesures techniques et organisationnelles efficaces. La fonction juridique est invitée à travailler main dans la main avec la fonction responsable de la sécurité informatique de l'organisation.
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L'intelligence artificielle est à la fois une opportunité et un défi pour le domaine du droit du numérique. Si elle promet de rendre la fonction juridique plus accessible et efficace, elle soulève également des questions éthiques et juridiques complexes. Pour tirer pleinement parti de ces technologies tout en protégeant les droits fondamentaux, il appartient aux juristes, aux entreprises et aux régulateurs de collaborer pour développer une IA responsable et digne de confiance.
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