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29 May 2025

Clauses d'« inconditionnalité » dans les F&A : le Delaware se prononce

Les clauses d'« inconditionnalité » (Hell or High Water) désignent un niveau d'engagement relatif aux efforts que l'on retrouve...
Canada Corporate/Commercial Law

Survol et principaux points à retenir

Les clauses d'« inconditionnalité » (Hell or High Water) désignent un niveau d'engagement relatif aux efforts que l'on retrouve seulement dans les opérations de fusion et acquisition. Le plus souvent liées à l'obtention d'approbations auprès d'autorités encadrant la concurrence, elles comportent généralement des obligations plus rigoureuses que d'autres engagements relatifs aux efforts que l'on voit souvent dans les fusions et acquisitions, comme les « efforts raisonnables sur le plan commercial ». Elles font aussi généralement l'objet de sérieuses négociations et, parfois, de différends.

Il est rare que les tribunaux se prononcent sur leur application, ce qui rend toute décision à leur sujet très importante. C'est pourquoi il vaut la peine de s'attarder, particulièrement dans le contexte des fusions et acquisitions canadiennes, sur la décision rendue en mars 2025 par la Cour de chancellerie du Delaware dans l'affaire Desktop Metal, Inc. v. Nano Dimension Ltd.1, qui aborde les clauses d'inconditionnalité.

Voici les principaux points à retenir :

  • Le tribunal a qualifié les clauses d'inconditionnalité de [traduction] « plus grand engagement qu'une partie à une opération de fusion et acquisition peut prendre dans une convention de fusion ».
  • Ces clauses font l'objet de vastes négociations, sont élaborées de manière très détaillée et sont adaptées selon l'opération. La clause d'inconditionnalité en question, de près de 700 mots, comprenait une exception détaillée qui prévoyait à son tour plus de dix exceptions. Le tribunal s'est penché sur les pratiques qui peuvent contrevenir à une clause d'inconditionnalité, comme une [traduction] « tendance à traîner de la patte et à faire marche arrière ».
  • Bien qu'il s'agisse d'une décision du Delaware, elle fait écho à plusieurs aspects de la jurisprudence canadienne en fusions et acquisitions. Premièrement, les tribunaux canadiens cherchent généralement à donner un sens distinct aux clauses rédigées sur mesure, notamment à la lumière du fondement factuel de l'opération. Deuxièmement, ils ont examiné les questions de bonne foi en rapport avec les engagements pour la période intérimaire, y compris les éléments de preuve des « regrets de l'acheteur » (buyer's remorse).
  • L'utilisation potentielle d'une clause d'inconditionnalité doit être soigneusement évaluée à la lumière de toutes les circonstances pertinentes. Les parties à une opération de fusion et acquisition pourraient envisager d'avoir recours à une indemnité de rupture inversée comme autre solution, que ce soit en raison de l'incertitude quant aux chances d'obtenir des approbations réglementaires dans des conditions raisonnables ou pour d'autres motifs.

Vous trouverez notre analyse dans les prochaines lignes. Pour en savoir plus sur les clauses d'inconditionnalité, nous vous invitons à consulter l'ouvrage de Fasken intitulé Private M&A in Canada: Transactions and Litigation (LexisNexis, 2024) 2. Pour découvrir d'autres ressources de Fasken relativement aux fusions et acquisitions, visitez notre Centre du savoir sur les marchés des capitaux et les fusions et acquisitions. N'hésitez pas à vous y abonner.

Résumé du différend

Le différend dans l'affaire Desktop Metal, Inc. découle du refus de l'acheteur de réaliser l'opération et de la demande d'exécution en nature présentée par la société cible.

L'acheteur est une société israélienne cotée au NASDAQ. La cible fabrique des imprimantes 3D à usage industriel qui produisent des composants spécialisés pour la défense antimissile et les capacités nucléaires. Les parties se doutaient donc que l'approbation du comité pour l'investissement étranger aux États-Unis (Committee on Foreign Investment in the United States; le « CFIUS »), un comité interagence qui examine pour des raisons de sécurité nationale les fusions susceptibles d'entraîner le contrôle étranger d'une entreprise américaine, serait nécessaire et qu'elles devraient probablement conclure un « accord de sécurité nationale » (national security agreement; un « NSA ») avec le gouvernement américain.

Souhaitant obtenir une certitude, la cible a négocié une clause d'inconditionnalité exigeant que l'acheteur [traduction] « prenne toutes les mesures nécessaires » pour obtenir l'approbation du CFIUS. Comme elle craignait de ne pas disposer de suffisamment de liquidités pour se rendre à la clôture, la cible a aussi convenu avec l'acheteur qu'il déploierait des [traduction] « efforts raisonnables » pour réaliser l'opération dès que possible.

Au départ, tout se passait bien en ce qui concerne l'obtention de l'approbation du CFIUS. Puis, après un changement de contrôle au sein de la société acquéreuse, les ennuis ont commencé. Le deuxième actionnaire en importance de l'acheteur, qui s'opposait vivement à l'opération, a lancé une course aux procurations après l'approbation de l'opération par le conseil d'administration et a promis d'y mettre fin. À la suite d'une course aux procurations favorable pour l'actionnaire et de la reconstitution du conseil, l'acheteur a considérablement ralenti son rythme de travail lié aux négociations du NSA, qui étaient bien entamées. Il souhaitait notamment renégocier certains points déjà réglés.

La clause d'inconditionnalité

Voici le libellé des sections pertinentes de la clause [traduction] :

[L'acheteur prendra] toutes les mesures nécessaires pour recevoir l'approbation du CFIUS en vue de permettre la clôture de l'opération. Il devra notamment fournir toutes les garanties qui peuvent être requises, demandées ou imposées par le CFIUS, y compris la conclusion d'un accord d'atténuation, d'une lettre d'assurance, d'un accord de sécurité nationale, d'un accord de procuration, d'un accord de fiducie ou de tout autre accord ou arrangement similaire, en relation avec l'activité ou les actifs de la [cible] [...] (Nous soulignons)

La clause prévoyait une exception au cas où le CFIUS exigerait que l'acheteur renonce au « contrôle » de plus de 10 % de la cible, en fonction des revenus. Cette exception permettait d'éviter que le CFIUS oblige l'acheteur à céder le contrôle d'une partie de la cible, par exemple en constituant une filiale isolée dont les administrateurs seraient nommés par le CFIUS.

Toutefois, les parties ont également convenu de limiter l'exception au cas où le CFIUS imposerait des mesures réparatoires. Ces exceptions à l'exception ne déclencheraient pas le seuil de 10 % et comprenaient des garanties d'approvisionnement, des modalités pour les contrats du gouvernement américain et des droits de surveillance et de vérification. Ces exceptions se fondaient sur des mesures réparatoires précédemment imposées à d'autres fusions par le CFIUS.

La décision de la Cour de chancellerie

En ce qui concerne les clauses d'inconditionnalité, le tribunal a noté ce qui suit [traduction] :

Parmi les concessions qu'un vendeur peut obtenir d'un acheteur à l'égard d'un engagement d'efforts raisonnables, les clauses d'inconditionnalité sont les plus « extrêmes ». Elles constituent le plus grand engagement à l'égard des approbations réglementaires qu'une partie à une opération de fusion et acquisition peut prendre dans une convention de fusion, d'où leur rareté.

Le tribunal a conclu que la négociation du NSA par l'acheteur ne satisfaisait pas à cette norme et qu'il avait plutôt eu [traduction] « tendance à traîner de la patte et à faire marche arrière », comme le démontrent ces pratiques de l'acheteur : 1) il a pris beaucoup de temps pour commenter les ébauches révisées, y compris, dans un cas, 38 jours; 2) il a réutilisé le libellé que le CFIUS avait déjà rejeté; 3) il a soulevé des préoccupations importantes au sujet de dispositions auxquelles il ne s'était pas opposé auparavant; 4) il n'a pas donné suite aux compromis proposés par le CFIUS; et 5) il n'a pas accepté les invitations du CFIUS pour discuter des préoccupations que l'acheteur a soulevées.

En ce qui concerne l'exception et ses exceptions, le tribunal a déclaré que, si l'on accepte [traduction] l'« interprétation large » de l'acheteur du terme « contrôle », il est possible que l'exception ait été déclenchée par deux conditions du NSA exigées par le CFIUS, même si l'acheteur n'a probablement pas réussi à démontrer que l'exception s'appliquait. Cependant, même si c'était le cas, le tribunal a conclu que ces restrictions étaient visées par les exceptions à l'exception. Il a également estimé que les délais de l'acheteur dans l'obtention de l'approbation du CFIUS constituaient un manquement à son obligation de déployer des efforts raisonnables pour réaliser l'opération dès que raisonnablement possible3.

Points pratiques à retenir pour les F&A canadiennes

L'équivalent canadien de l'approbation du CFIUS est l'approbation en vertu de la Loi sur Investissement Canada, mais, lorsqu'elles sont utilisées dans les fusions et acquisitions au Canada, les clauses d'inconditionnalité sont habituellement employées en lien avec l'autorisation prévue dans la Loi sur la concurrence. On les voit le plus souvent dans des opérations impliquant des entités exerçant leurs activités dans des secteurs fortement réglementés tels que les télécommunications et les transports4, et peuvent parfois constituer une condition essentielle pour persuader le conseil d'administration de la société cible d'accepter l'opération ou de privilégier une proposition par rapport à d'autres (c.-à-d. une proposition où le prix est plus élevé, mais qui présente un risque réglementaire plus important). Les clauses d'inconditionnalité au Canada sont généralement fondées sur des principes. L'acheteur accepte de prendre toutes les mesures nécessaires pour obtenir les approbations réglementaires, sauf des dessaisissements qui seraient importants et défavorables à l'entreprise de l'acheteur ou de la cible.

Bien qu'il s'agisse d'une décision du Delaware, le jugement Desktop Metal, Inc. met en lumière plusieurs aspects notables des clauses d'inconditionnalité qui demeurent pertinents dans le contexte canadien.

  • Elles impliquent généralement un [traduction] « engagement accru » de la part de l'acheteur par rapport à d'autres niveaux d'efforts que l'on voit habituellement dans le cadre de fusions et acquisitions. Le tribunal les a qualifiées de « plus grand engagement qu'une partie à une opération de fusion et acquisition peut prendre dans une convention de fusion [...] ».
  • Elles peuvent faire l'objet de sérieuses négociations, être très détaillées et être adaptées selon l'opération. En l'espèce, la clause comptait près de 700 mots. Son exception et ses plus de dix exceptions à l'exception fondées sur des mesures réparatoires précédemment imposées à d'autres fusions par le CFIUS sont particulièrement intéressantes. Lorsqu'on allègue un manquement à l'obligation de prestation, le libellé précis de la clause sera vraisemblablement examiné à la loupe par le tribunal.
  • La décision donne des exemples de pratiques qui pourraient être contraires à un engagement d'inconditionnalité. Le tribunal a souligné que la « tendance à traîner de la patte et à faire marche arrière » de l'acheteur n'augurait rien de bon et qu'il n'apprécie pas qu'on [traduction] « modifie les règles du jeu » et présente des demandes pour la négociation qui s'écartent des conditions déjà acceptées.
  • La décision a été influencée par des considérations liées au [traduction] « changement d'idée » apparent de l'acheteur. Le tribunal a déclaré que l'acheteur aurait du mal dès le départ à convaincre quiconque qu'il avait fait tout ce qu'il pouvait, quoi qu'il arrive, pour obtenir l'approbation du CFIUS après la reconstitution de son conseil d'administration. Le tribunal a également noté que, [traduction] « après avoir obtenu leur rôle en promettant de faire échouer l'entente Desktop, les [nouveaux] membres du conseil semblaient déterminés à tenir cette promesse en faisant obstacle à l'obtention de l'approbation du CFIUS ».

Nous n'avons connaissance d'aucune jurisprudence au Canada interprétant une clause d'inconditionnalité dans un différend lié à une opération de fusion et acquisition5. Par contre, de nombreux tribunaux canadiens se sont penchés sur le sens d'autres engagements relatifs aux efforts comme les engagements à « faire de son mieux » (best efforts) ou à déployer des « efforts raisonnables sur le plan commercial6 » (commercially reasonable efforts), de sorte que ces expressions sont relativement bien définies. Les tribunaux canadiens ont également donné un sens distinct aux formulations hybrides, dont l'expression « efforts raisonnables conformes aux usages du commerce » (commercially reasonable best efforts), notamment dans le contexte des fusions et acquisitions7. Par conséquent, nous nous attendons généralement à ce qu'un tribunal canadien interprète différemment (et de façon à supposer des obligations plus rigoureuses) une clause d'inconditionnalité qu'un engagement formulé autrement, comme celui des « efforts raisonnables sur le plan commercial ». Cela dit, le libellé exact de la clause ainsi que le fondement factuel particulier de l'opération seraient probablement les facteurs les plus pertinents.

De façon générale, nous nous attendons aussi à ce qu'un tribunal canadien examine les éléments de preuve concernant un changement possible de motivation d'une partie à l'opération relativement à l'exécution d'une clause d'inconditionnalité, comme il a été démontré par l'acheteur dans l'affaire Desktop Metal, Inc. De nombreuses décisions canadiennes rendues dans le contexte de différends relatifs à des fusions et acquisitions abordent des questions de bonne foi, notamment la preuve de « regrets de l'acheteur8 ». Encore une fois, cependant, il est difficile de généraliser et la jurisprudence confirme que l'analyse des tribunaux, de manière générale, dépend en grande partie de la situation.

Considérations additionnelles

L'utilisation potentielle d'une clause d'inconditionnalité doit être soigneusement évaluée à la lumière de toutes les circonstances pertinentes, particulièrement lorsque les chances d'obtenir les approbations nécessaires sont incertaines, que ce soit en raison de nombreuses mesures réparatoires demandées par un organisme de réglementation qui peuvent être difficiles ou impossibles à réaliser ou du risque d'un refus complet. Si l'opération est soumise à un examen de l'intérêt public et tombe sur le radar d'élus, l'incertitude peut être particulièrement élevée. Des considérations politiques peuvent alors s'ajouter.

Les parties à une opération de fusion et acquisition pourraient envisager d'avoir recours à une indemnité de rupture inversée comme autre solution, que ce soit en raison de l'incertitude quant aux chances d'obtenir des approbations réglementaires dans des conditions raisonnables ou pour d'autres motifs. L'indemnité serait payable par l'acheteur à la cible si les autorisations réglementaires ne sont pas obtenues dans un délai imparti. La prudence est tout de même de mise dans la rédaction de telles clauses, comme l'illustre un récent litige lié à une opération de fusion et acquisition en Alberta. Dans une décision rendue en 20259, la Cour d'appel de l'Alberta s'est fondée sur le libellé strict de l'entente en raison de preuves factuelles contradictoires concernant l'intention de la clause d'annuler la décision du tribunal de première instance. Cette décision ordonnait le paiement d'une indemnité de rupture inversée à la suite de l'échec de l'obtention de l'approbation des autorités américaines et canadiennes en antitrust et concurrence.

Footnotes

1 C.A. No. 2024-1303-KSJM (Del. Ch. 24 mars 2025) [Desktop Metal, Inc.].

2 Private M&A in Canada: Transactions and Litigation (LexisNexis, 2024), par. 5.04.En savoir plus

3 Étant donné que l'approbation du CFIUS était la seule condition à la clôture, et que le tribunal a considéré que les agissements de l'acheteur représentaient la seule raison pour laquelle elle n'avait pas été obtenue, le tribunal a ordonné une exécution en nature exigeant de l'acheteur qu'il conclue le NSA et réalise la fusion.

4 Par exemple : l'acquisition de Shaw Communications Inc. par Rogers Communications Inc., l'acquisition d'Astral Media Inc. par BCE Inc., l'acquisition de la Banque Canadienne de l'Ouest par la Banque Nationale du Canada, et l'acquisition de Manitoba Telecom Services Inc. par BCE Inc.

5 Pour obtenir plus de détails sur la jurisprudence américaine traitant des clauses d'inconditionnalité, voir Private M&A in Canada : Transactions and Litigation (LexisNexis, 2024), par. 5.04.En savoir plus

6 Private M&A in Canada : Transactions and Litigation (LexisNexis, 2024), par. 5.03. En savoir plus

7 Voir Private M&A in Canada : Transactions and Litigation (LexisNexis, 2024), par. 5.03[3]. En savoir plus

8 Voir Private M&A in Canada : Transactions and Litigation (LexisNexis, 2024), par. 5.06 et 6.09. En savoir plus

9 Chemtrade Electrochem Inc v Superior Plus Corporation, 2025 ABCA 31 (CanLII).

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