Fidèle à son héritage européen continental, le Canada dispose d'un solide régime de protection des droits moraux. Notamment, les créateurs ont un droit inaliénable de revendiquer la création de leur Suvre et d'en protéger l'intégrité, et ce, malgré toute cession des droits économiques. Ceux-ci sont reconnus au Canada par la Loi sur le droit d'auteur (« Loi ») depuis 1931 et furent consacrés à maintes reprises dans des arrêts de la Cour suprême du Canada par le passé1.
Dans la décision Lavigne (Valmedia) c. 9061-6632 Québec inc., 2021 QCCQ 13322, la division des petites créances de la Cour du Québec, sous la plume du juge Choquette, rappelle aux utilisateurs de contenu les sanctions qui s'imposent en cas de violation des droits moraux. La Cour offre ici une interprétation des paramètres qui encadrent la modification de photographies publiées dans un journal.
Dans cette affaire, le demandeur Emmanuel Lavigne, qui est un photographe professionnel, conteste l'utilisation que la défenderesse, Journal Accès, a faite de trois de ses photographies. Emmanuel Lavigne allègue que Journal Accès a violé ses droits d'auteur et ses droits moraux.
La Cour établit d'abord sans surprise que les photographies sont des Suvres protégées par le droit d'auteur au sens de la Loi et qu'une autorisation est nécessaire afin de les reproduire. Une licence régit toutefois les parties, permettant à Journal Accès de diffuser les photographies, mais oblige que toute reproduction de celles-ci soit accompagnée du logo du demandeur Lavigne. Il n'y a donc pas de violation de droit d'auteur puisque Journal Accès avait l'autorisation pour publier les photographies. Toutefois, la Cour semble ignorer que le retrait du logo du demandeur place Journal Accès en défaut contractuel. En effet, le droit d'attribution, aussi appelé le droit de paternité de l'Suvre, est un droit moral reconnu qui permet à un auteur d'être identifié et de revendiquer la création de son Suvre. En l'espèce, ce droit faisait l'objet d'une obligation spécifique et agréée entre les parties. Il est donc intéressant de noter que la décision n'intervient pas sur les recours contractuels qui découleraient autrement de la licence elle-même.
De ce fait, notant que le demandeur Lavigne n'a cédé aucun de ses droits moraux dans ses Suvres, la question pertinente pour la Cour est celle de savoir s'il y a eu violation des droits moraux. Le demandeur souligne que ses Suvres ont été altérées par des changements de cadrage et de couleur, et par l'ablation du crédit sur les photographies. Il allègue que cela constitue une violation de ses droits moraux.
La Cour détermine que le recadrage et le très subtil changement de couleur effectués pour les fins de publication ne sont pas une violation du droit à l'intégrité. Le demandeur n'a pas su convaincre la Cour que ces modifications, isolément ou cumulativement, sont faites de manière préjudiciable à son honneur ou sa réputation, tel que le requiert l'article 28.2 de la Loi pour conclure à la violation du droit de l'intégrité de l'Suvre.
Par contre, l'ablation du crédit sur les photographies est préjudiciable au demandeur. En vertu de l'article 14.1 de la Loi, l'auteur de l'Suvre a en effet le droit d'en revendiquer sa création. La mention qui se trouvait sur les photographies du demandeur permettait de le reconnaitre lors de la diffusion de son Suvre. En retirant ce crédit, le Journal Accès l'a privé de cette reconnaissance.
La Cour conclut donc que le demandeur a droit à des dommages pour compenser cette violation. Il a choisi de demander les dommages-intérêts préétablis, prévus à l'article 38.1 de la Loi. Pour faciliter son exercice, la Cour se réfère aux facteurs non exhaustifs de l'article 38(5) de la loi pour déterminer le montant approprié. La Cour considère notamment le comportement des parties avant l'instance et la proportionnalité. Puisque le demandeur ne démontrait aucune ouverture avant l'instance, contrairement à la défenderesse, et considérant le contexte non commercial de l'utilisation faite par la défenderesse, la Cour conclut que 400 $ représente un montant approprié.
La Cour refuse cependant d'ordonner à la défenderesse de publier des excuses. Elle rappelle qu'elle n'a pas compétence pour émettre des ordonnances de nature injonctive, ce pouvoir étant réservé à la Cour supérieure du Québec.
Ce qu'il faut retenir de cette décision :
- Des modifications mineures, comme un recadrage ou une modification de couleur, qui sont non préjudiciables, ne constituent pas une violation du droit à l'intégrité;
- L'auteur de l'Suvre a le droit d'en revendiquer la création et l'Suvre ne devrait pas être modifiée pour que cette revendication soit effacée sans le consentement de l'auteur;
- Démontrer une ouverture lors des négociations pourrait être profitable si la cour a à trancher sur des dommages préétablis;
- Bien que paraissant symbolique en l'espèce, la Loi prévoit que les dommages préétablis peuvent monter jusqu'à 5000 CAD pour une violation à des fins non commerciales, et 20 000 CAD pour une violation à des fins commerciales.
Cette décision est utile pour rappeler que le droit d'auteur canadien comporte un régime de protection des droits moraux qui est étonnamment robuste. Pour toutes questions à cet égard, Fasken dispose de toute l'expertise requise pour vous assister en la matière.
Footnote
1 Voir notamment Théberge c. Galerie d'art du Petit Champlain inc., 2002 CSC 34 et Robinson c. Cinar, 2013 CSC 73
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