2021 s'annonce déjà comme une année propice à de nouveaux développements sur des sujets aussi passionnants que le principe d'égalité des parties dans la constitution du Tribunal arbitral et l'obligation de révélation applicable aux arbitres.

En effet, aux termes de cinq arrêts rendus entre la fin du mois de décembre 2020 et la mi-février 2021, la Cour d'appel de Paris s'est prononcée sur l'obligation de révélation de l'arbitre en réitérant des solutions classiques ou en adoptant, s'agissant de la chambre commerciale internationale de la Cour d'appel de Paris (CCIP-CA), une solution plus novatrice.

Sur l'application du principe d'égalité des parties dans la constitution du tribunal

Dans l'affaire Vidatel1, la société du même nom, demandeur au recours en annulation, soutenait que la Cour internationale d'arbitrage de la CCI avait violé la clause compromissoire, convenue avec ses coassociés, en désignant d'office les cinq arbitres. Elle alléguait en outre une violation du principe compétence-compétence.

A l'inverse, l'un des défendeurs, la société PT Ventures, considérait que le respect des termes de la clause compromissoire aurait conduit à une rupture d'égalité dans la mesure où le demandeur - qui était opposé à ses trois associés - se serait retrouvé dans une situation d'inégalité, face aux trois autres coassociés.

Avec pragmatisme, la CCIP-CA a retenu que l'application du principe d'égalité dans la constitution du tribunal arbitral s'analyse nécessairement de manière différente lors de la conclusion de la clause compromissoire et lors de sa mise en ouvre.

En particulier, elle considère que les modalités de désignations prévues par la clause n'étaient pas compatibles avec le principe d'égalité, auquel il peut être renoncé après la naissance du litige. Ce faisant, la CCIP-CA s'inscrit dans la lignée de la jurisprudence Dutco2 qui a consacré ce principe en droit français.

Ainsi, lorsque à la date du litige le demandeur est opposé à des défendeurs ayant des intérêts convergents, il apparait nécessaire d'écarter la clause compromissoire en application du principe d'égalité.

Plus encore, la CCIP-CA observe qu'en l'espèce, la CCI avait proposé, en vain, aux parties de trouver un accord quant à la constitution du Tribunal arbitral.

Dans ces circonstances, la CCIP-CA a considéré que la CCI pouvait légitimement intervenir dans la constitution du tribunal.

Au demeurant, cette interprétation semble conforme à l'esprit du nouvel Article 12(9) du Règlement révisé de la CCI selon lequel :

« Nonobstant tout accord conclu par les parties sur les modalités de constitution du tribunal arbitral, la Cour peut, dans des circonstances exceptionnelles, nommer chacun des membres du tribunal arbitral afin d'écarter un risque significatif de traitement injuste et inéquitable pouvant affecter la validité de la sentence ».

En outre, le demandeur soutenait que la CCI aurait violé le principe compétence-compétence en interprétant la clause d'arbitrage. La CCIP-CA a rejeté cet argument retenant qu'il s'agissait d'une difficulté concernant la constitution du tribunal arbitral, cadre dans lequel la CCI est autorisée à intervenir.

Sur l'étendue de l'obligation de révélation des arbitres

Pour mémoire, l'article 1456 du Code de procédure civile français impose aux arbitres une obligation continue de révélation qui ne cesse pas lors de leur désignation. Ils doivent en effet révéler tout élément de nature à remettre en question leur impartialité et/ou leur indépendance pendant tout l'arbitrage.

Comme nous l'énoncions, par cinq arrêts, la Cour d'appel de Paris s'est prononcée sur l'obligation de révélation qui s'impose aux arbitres.

Classiquement, aux termes des arrêts HOP !3, Soletanche4 et CWT5, la Cour d'appel de Paris s'est contentée d'adopter une approche traditionnelle en retenant que « l'arbitre doit ainsi révéler aux parties toute circonstance de nature à affecter son jugement et à provoquer dans l'esprit des parties un doute raisonnable sur ses qualités d'impartialité et d'indépendance, qui sont l'essence même de la fonction arbitrale ».

Elle a également rappelé que « le lien de confiance avec l'arbitre et les parties devant être préservé continûment, celles-ci doivent être informées pendant toute la durée de l'arbitrage des relations qui pourraient avoir à leurs yeux une incidence sur le jugement de l'arbitre et qui seraient de nature à affecter son indépendance ».

De manière plus originale, la CCIP-CA s'est engagée dans une approche plus novatrice de l'obligation de révélation qui conduira, en pratique, à se poser de nombreuses questions.

Dans l'arrêt Vidatel, la CCIP-CA était appelée à se prononcer sur le défaut de révélation de la part de deux arbitres :

  • D'une part, il était allégué que l'un des co-arbitres n'aurait pas révélé les liens qu'il entretenait avec l'actionnaire majoritaire de la société PT Ventures - la société OI ;
  • D'autre part, il était soutenu que le Président du Tribunal arbitral n'aurait, quant à lui, pas révélé que l'un des associés de son cabinet d'avocats avait été désigné administrateur d'une des filiales du groupe détenu par la société OI.

Depuis plusieurs décisions célèbres, il est acquis en droit français que l'arbitre est dispensé de révéler des faits notoires au moment où il accepte sa mission, cette dispense étant contrebalancée par le devoir de curiosité qui pèse sur les parties au moment de sa désignation.

Il appartient aux parties de réaliser de véritables investigations et elles ne peuvent donc pas reprocher à un arbitre de ne pas avoir révéler des faits largement connus et facilement accessibles.

Ceci étant, cette limite ne trouve plus à s'appliquer lorsque l'arbitre a accepté sa mission. Une fois désigné, il appartient à l'arbitre de révéler toute circonstance de nature à affecter son indépendance.

A ce sujet, la CCIP-CA rappelle ici la solution classique déjà adoptée dans l'arrêt Dommo Energia6 qui s'inscrit pleinement dans la lignée de la jurisprudence Technimont7 en retenant que :

« Les faits notoires sont entendus comme ceux qui recouvrent les informations publiques aisément accessibles que les parties ne pouvaient manquer de consulter avant le début de l'arbitrage, cette dispense cesse une fois que l'instance arbitrale est en cours ».

En particulier, la CCIP-CA a retenu qu'étaient facilement accessibles et notoires les informations publiées dans la revue spécialisée et très largement connue dans le monde de l'arbitrage, Global Arbitration Review (GAR).

Ce faisant, elle considère que l'accès payant à des informations ne constitue pas un frein à ce que les faits qui y sont relayés soient qualifiés de notoires, ni ne décharge les parties de leur devoir de curiosité.

De manière particulièrement intéressante, la CCIP-CA tente également de donner aux arbitres des outils de nature à déterminer l'étendue de leur obligation de révélation.

Considérant l'imprécision de l'article 1456 du Code de procédure civile français s'agissant de l'étendue du devoir de révélation8, les juges ont retenu qu'il était pertinent de se référer aux recommandations établies par la CCI et, en particulier, celles contenues dans la « Guidance Note on Conflict Disclosure by Arbitrators » de 20169 qui dresse des exemples concrets.

A cet égard, si la référence aux notes établies par la CCI se révèle pratique et pragmatique tant elle permet de donner des outils concrets, elle conduit à relativiser l'application de cette solution à d'autres cas d'espèce dans la mesure où ces notes n'ont, par principe, pas vocation à s'appliquer aux procédures d'arbitrage initiées sous l'égide d'autres institutions ou ad hoc.

Plus particulièrement, la CCIP-CA retient que :

« En dehors de ces cas caractérisant des causes réputées objectives, l'arbitre est dispensé de déclaration sauf à devoir révéler les circonstances qui, bien que non visées dans cette liste, peuvent être de nature à créer, dans l'esprit des parties, un doute raisonnable sur son indépendance, c'est à dire un doute qui peut naître chez une personne placée dans la même situation et ayant accès aux mêmes éléments d'information raisonnablement accessibles.

Pour être caractérisé ce doute raisonnable doit résulter d'un potentiel conflit d'intérêts dans la personne de l'arbitre, qui peut être soit direct parce qu'il concerne un lien avec une partie, soit indirect parce qu'il vise un lien d'un arbitre avec un tiers intéressé à l'arbitrage. A cet égard, lorsque le potentiel conflit d'intérêts est seulement indirect, l'appréciation du doute raisonnable dépendra notamment de l'intensité et la proximité du lien entre l'arbitre, le tiers intéressé et l'une des parties à l'arbitrage » (§§ 118 et 119).

Ce faisant, la CCIP-CA utilise le critère du « doute raisonnable » créé par la jurisprudence Neoelectra10 en le détournant cependant pour l'utiliser non plus comme critère justifiant l'annulation de la sentence mais comme élément justifiant le déclenchement de l'obligation de révélation.

Dans ces conditions, les juges retiennent que le défaut de curiosité des parties révèle que « ces circonstances n'étaient pas non plus de nature à créer, dans son esprit, comme dans celui d'une partie placée dans une même situation ayant eu accès aux mêmes éléments d'information raisonnablement accessibles, un doute raisonnable sur l'indépendance de l'arbitre » (§129).

On ne peut que s'interroger sur la pertinence de ce développement de la CCIP-CA qui revient, in fine, à inverser la charge de l'obligation d'information : il n'appartient plus aux arbitres de révéler des informations, mais aux parties de rechercher activement toute information susceptible de jeter un doute sur l'indépendance des arbitres.

En effet, la CCIP-CA reproche en définitive à la requérante de n'avoir pas - sur la base des principes de célérité et de loyauté procédurale - avisé immédiatement la CCI.

On ne peut que s'étonner de cette solution qui semble contradictoire puisque l'obligation de révélation de faits notoires doit retrouver son plein effet à compter de la constitution du tribunal arbitral et les faits qui notoires, mais non révélés, auraient dû être rapportés à la CCI.

Enfin, qu'advient-il lorsque le fait est révélé en cours d'instance ou après le prononcé de la sentence ?

Dans le premier cas, les parties peuvent, en principe, solliciter la récusation dudit arbitre.

Ceci étant, lorsque la révélation intervient à un stade trop avancé de la procédure, on ne peut que s'interroger sur l'effectivité du droit à récusation dans la mesure où les parties peuvent hésiter à le mettre en ouvre afin de ne pas retarder le prononcé d'une sentence.

A titre d'illustration, dans les arrêts Hop ! et Soletanche, la Cour d'appel de Paris a considéré que, dans la mesure où les parties avaient appris en cours d'instance l'existence du fait et en avaient, soit expressément débattu et renoncé à solliciter la récusation de l'arbitre, soit s'étaient abstenues de la demander, elles ne pouvaient plus former une telle demande au stade du recours en annulation.

Une fois la sentence rendue, les parties disposent, en principe, de la possibilité de former un recours en annulation.

Dans ce cadre, par un arrêt Grenwich Enterprises Ltd.11, la CCIP-CA a jugé que les griefs de la requérante relatifs au défaut d'indépendance et d'impartialité de l'arbitre - qui reposaient sur des faits postérieurs à la clôture des débats et révélés qu'une fois la sentence arbitrale rendue - sont recevables dans le cadre du recours en annulation.

Cependant, la CCIP-CA a rejeté la demande formée à ce titre en retenant que :

  • D'une part, le défaut d'indépendance doit procéder d'une approche objective « consistant à caractériser des facteurs précis et vérifiables externes à l'arbitre susceptibles d'affecter sa liberté de jugement, tels que des liens personnels, professionnels et/ou économiques avec l'une des parties ». Or, il n'était pas établi en l'espèce ;
  • D'autre part, s'agissant de l'impartialité, celle-ci « suppose l'absence de préjugés ou de partis pris susceptibles d'affecter le jugement de l'arbitre, lesquels peuvent résulter de multiples facteurs tels que la nationalité de l'arbitre, son environnement social, culturel ou juridique ».

Elle précise également que « toutefois pour être pris en compte ces éléments doivent créer, dans l'esprit des parties, un doute raisonnable sur son impartialité de telle sorte que l'appréciation de ce défaut doit procéder d'une démarche objective ».

Ainsi, « si un tel doute peut le cas échéant résulter de la sentence elle-même, encore faut-il, dès lors que le contenu de la motivation de la sentence arbitrale échappe au contrôle du juge de l'annulation, que ce doute soit fondé sur des éléments précis quant à la structure de la sentence ou ses termes mêmes, qui laisseraient supposer que l'attitude de l'arbitre a été partiale ou à tout le moins seraient de nature à donner le sentiment qu'elle l'a été ».

Ces récentes décisions démontrent que les questions de l'obligation de révélation des arbitres et du doute raisonnable sont des sujets passionnants qui seront, à n'en pas douter, au cour de nouveaux développements dans les prochaines décisions.


1. CCIP-CA, 26 janvier 2021 -n° 19/10666.

2. Cass. Com., 7 janvier 1992 - n° 89-18.708 ; 89-18.726.

3. CA Paris, 19 janvier 2021 - n° 18/04465.

4. CA Paris, 15 décembre 2020 - n° 18/14864.

5. CA Paris, 12 janvier 2021 - n° 17/07290.

6. CCIP-CA, 25 février 2020 - n° 19/07575.

7. CA Paris, 12 février 2009, n° 07/22164 ; CA Paris, 12 avril 2016, n° 14/18884 ; Cass. Civ. 1ère, 19 décembre 2018.

8. Article 1456 al. 2 du Code de procédure civile français : « Il appartient à l'arbitre, avant d'accepter sa mission, de révéler toute circonstance susceptible d'affecter son indépendance ou son impartialité. Il lui est également fait obligation de révéler sans délai toute circonstance de même nature qui pourrait naître après l'acceptation de sa mission ».

9. Nous rappellerons également la publication, en janvier 2021, par la CCI de la Note révisée aux parties et aux tribunaux arbitraux sur la conduite de l'arbitrage (accessible en anglais à cet endroit : https://iccwbo.org/content/uploads/sites/3/2020/12/icc-note-to-parties-and-arbitral-tribunals-on-the-conduct-of-arbitration-english-2021.pdf).

10. Cass. Civ., 1ère, 10 octobre 2012 - n° 11-20.299.

11. CCIP-CA, 16 février 2021 - n° 18/16695.

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