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8 September 2025

Le législateur ignore la constitution à ses périls

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Delsol Avocats

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La Fairness Tax était un impôt distinct de 5,15% qui visait les grandes entreprises qui distribuaient des dividendes provenant de bénéfices imposables...
France Tax

1. La Fairness Tax

La Fairness Tax était un impôt distinct de 5,15% qui visait les grandes entreprises qui distribuaient des dividendes provenant de bénéfices imposables qui n'avaient pas été soumis au taux normal de l'impôt des sociétés en raison de la déduction de l'intérêt notionnel et/ou des pertes reportées de l'entreprise.

Malgré de nombreuses réserves émises en son temps par la section législation du Conseil d'Etat, le gouvernement avait persisté. La Cour constitutionnelle avait saisi la Cour de justice de l'Union européenne qui a jugé, notamment, que la Fairness Tax violait, dans certaines hypothèses, la directive mère-filiale (affaire C-68/15). Par décision du 1 mars 2018, la Cour constitutionnelle a donné le coup de grâce à cette taxe en annulant certaines dispositions du régime (Arrêt n° 24/2018).

Toutefois, la Cour constitutionnelle avait maintenu les effets de la Fairness Tax pour les années 2013 à 2017. La Fairness Tax était due pour ces exercices, sauf si la taxe se rapportait aux bénéfices perçus de filiales qui entraient dans le champ d'application de la directive mère-filiale et qu'elles ont redistribués à leur tour.

2. La Cour constitutionnelle

La Cour constitutionnelle belge est une institution relativement récente. Ce n'est que depuis quelques décennies qu'elle a le pouvoir d'apprécier si les lois fédérales et les décrets régionaux ou communautaires sont conformes à la Constitution belge.

Le contribuable peut saisir la Cour constitutionnelle par un recours en annulation introduit dans les six mois de la publication au Moniteur belge de la norme attaquée, mais le recours n'a pas d'effet suspensif. La cour connaît également de questions préjudicielles soumises par les cours et tribunaux.

La Cour est composée de douze juges, nommés à vie par le roi, basé sur la « double parité ». Les juges se répartissent par moitié entre les groupes linguistique français et néerlandais. Dans chaque groupe linguistique, la moitié des juges proviennent du monde parlementaire et la moitié du monde du droit (professeur de droit, magistrat à la Cour de cassation ou au Conseil d'État, ... ).

Quand ces juges doivent juger de la constitutionalité d'une mesure fiscale, ils ne regardent pas seulement la constitution, mais également les effets politiques et budgétaires d'une annulation. C'était « pour tenir compte des difficultés budgétaires et administratives et du contentieux judiciaire qui pourraient découler de l'arrêt d'annulation » que la haute juridiction avait maintenu les effets de la Fairness Tax pour le passé.

Cela est frustrant pour le contribuable qui avait introduit le recours en 2013 pour s'entendre dire, quatre ans plus tard, qu'il avait raison, que la taxe est inconstitutionnelle mais qu'il doit la payer quand même pour le passé.

3. Et le gouvernement ?

Entretemps, l'administration fiscale recouvre la Fairness Tax et le gouvernement défend sa taxe devant la Cour constitutionnelle. Les textes instaurant des taxes critiquées par le Conseil d'Etat sont souvent rédigés à la hâte, à l'issue d'une négociation d'un accord gouvernemental en méconnaissance des remarques du Conseil d'Etat. Si la taxe est confirmée, tant mieux, si elle est annulée, tant pis.

Le maintien des effets par la Cour constitutionnelle évite le déséquilibre du budget ; le gouvernement ne se fait donc pas trop de soucis sur les réserves émises par le Conseil d'Etat sur la compatibilité de la taxe avec la Constitution.

Mais le gouvernement a compris sa leçon, il ne doit pas donner des motifs pour une annulation par la Cour constitutionnelle. Lorsque la Cour avait jugé que la taxe sur les comptes-titres 1.0 était discriminatoire - et donc inconstitutionnelle - c'était en grande partie parce que l'objectif avoué du législateur était de poursuivre une politique fiscale équitable en taxant les plus fortunés. La aussi, la Cour avait annulé la taxe mais seulement pour l'avenir.

La taxe annuelle sur les comptes titres 2.0 n'avait plus de motifs autres que budgétaires.

4. Responsabilité extracontractuelle de l'Etat

On n'a pas encore fini avec la Fairness Tax. En effet, une société qui avait dû payer la taxe pour les années 2013 à 2017 a saisi la justice en invoquant une responsabilité de l'État belge dans sa fonction de législateur.

Dans un arrêt du 22 septembre 2023, la cour d'appel de Mons a fait droit à cette demande : « Il est établi que le préjudice de la société trouve sa cause dans la législation adoptée fautivement par le législateur ». L'État belge engage par conséquent sa responsabilité et la cour a condamné l'État à payer un peu plus de 100.000 euros de dédommagement à l'entreprise.

L'Etat belge a introduit un recours en cassation...

Cette affaire pourrait inspirer d'autres contribuables qui ont dû supporter un impôt alors que celui-ci a ensuite été annulé, mais sans effet rétroactif. Cependant, il faut noter que cette décision n'est pas suivie par d'autres cours et qu'elle va à l'encontre de la doctrine majoritaire.

Toutefois, si la section législation du Conseil d'Etat soulève certaines contrariétés à la Constitution, cela constituerait une base plus solide pour invoquer la responsabilité de l'État belge. Tout dépend du cas d'espèce et de la gravité de l'incompatibilité avec les principes constitutionnels ou européens.

On ne peut qu'espérer que cette jurisprudence incite le gouvernement tenir plus compte des critiques du Conseil d'État. La nouvelle exit tax pour les sociétés qui émigrent, a fait l'objet de nombreux commentaires de la section législation...

Si le gouvernement devient trop présomptueux, les recours en justice pourraient se multiplier.

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