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L'intégration de l'intelligence artificielle (IA) dans les solutions de gestion des flottes permet un suivi toujours plus précis de l'usage des véhicules professionnels.
Entre optimisation des coûts et maîtrise de l'empreinte carbone, de nombreux acteurs mettent en avant des outils novateurs capables d'optimiser la maintenance, la sécurité et la rentabilité.
Mais derrière la promesse d'efficacité se dessinent des risques accrus en matière de protection des données personnelles et de transparence algorithmique.
De la gestion de flotte à la surveillance algorithmique : les nouveaux usages de l'IA
Les solutions proposées par certains prestataires, entreprises spécialisées en IA, constructeurs automobiles ou équipementiers, vont au-delà de la simple gestion logistique.
Elles deviennent de véritables assistants décisionnels.
Certaines plateformes exploitent aujourd'hui des IA génératives capables de conseiller un gestionnaire de flotte, notamment par l'analyse des coûts kilométriques, la détection des comportements de conduite à risque et la simulation de scénarios de transition énergétique.
Pour ce faire, les outils dédiés combinent IA prédictive, télématique et capteurs virtuels.
L'ensemble des données traitées permet d'identifier les conducteurs présentant un risque accru, les flottes consommant anormalement ou de détecter d'éventuelles fraudes de salariés.
Dans les grandes entreprises multisites, l'IA permet ainsi de concilier performance économique et bien-être des collaborateurs, en adaptant l'attribution des véhicules de service et/ou en simplifiant le suivi des entretiens.
Par un glissement vers la prédiction, un second objectif est affiché : évaluer la performance de la flotte automobile des entreprises clientes.
Cette démarche vise à anticiper les incidents mécaniques avant qu'ils ne surviennent ou à identifier des politiques de mobilité dont le coût s'avère excessif.
Progressivement, la mesure de la performance ne se limite plus à l'ensemble de la flotte. L'évaluation comportementale automatisée permet d'individualiser les analyses, ouvrant la voie à une surveillance continue.
Sans encadrement, ces outils peuvent se transformer en
instruments de contrôle individuel et non plus seulement de
prévention.
Il devient donc nécessaire de distinguer les instruments
dédiés au pilotage collectif de ceux qui
interfèrent avec la protection des données
personnelles du salarié.
Suivi des flottes et données personnelles : les limites imposées par le RGPD
En collectant et analysant des données issues des trajets ou du comportement de conduite, les entreprises endossent la qualité de responsables de traitement et les éditeurs de solution ont qualité de sous-traitant au sens du Règlement général sur la protection des données (RGPD).
Le RGPD encadre strictement le traitement de données de salariés, personnes vulnérables1, notamment en matière de géolocalisation. Le suivi systématique, continu ou à des fins de performance individuelle, est ainsi prohibé2. Un employeur ne peut suivre les déplacements d'un collaborateur qu'à des fins précises et pendant ses heures de travail.
Or, certaines solutions utilisant les capteurs du smartphone professionnel peuvent localiser de manière continue un salarié même lorsque son véhicule est à l'arrêt ou à usage privé.
Cette situation impose de garantir à chaque salarié la possibilité d'activer à tout moment un mode « privé » sur son appareil.
Compte tenu des conséquences impliquées par de telles solutions, leur recours nécessite, a minima :
- D'informer les salariés de manière claire et continue sur les finalités de la collecte ;
- De limiter la géolocalisation aux seules heures de travail et à des objectifs précisément fixés par la CNIL (gestion de la facturation des prestations de transport, sécurité des salariés et de la flotte, contrôle des ressources...) ;
- De mettre en place une politique d'habilitation, une sécurisation des échanges ainsi qu'une journalisation des accès aux données et des opérations effectuées ;
- D'effectuer, le cas échéant, une analyse d'impact (AIPD).
La prédiction comportementale, permise par certaines solutions, apparaît moins encadrée que la surveillance directe, mais introduit la mise en Suvre d'un profilage.
Elle constitue dès lors un traitement automatisé de données, pouvant avoir un impact sur les personnes concernées. Dans ce cadre, il convient de rappeler que toute décision fondée exclusivement sur un traitement automatisé doit respecter des exigences :
- Base légale adaptée et respect des droits de la personne concernée en conséquence de ce choix ;
- Information transparente sur l'existence, la logique et les conséquences de la décision ;
- Le cas échéant, droit à l'intervention humaine pour toute personne affectée3.
L'enjeu n'est plus seulement une question de transparence, mais bien de conformité du modèle d'IA utilisé.
IA, scoring et notation des conducteurs : quelles obligations pour les employeurs ?
Les prestataires ayant recours à l'IA affichent leur conformité à des normes ISO ainsi qu'au règlement européen sur l'IA (IA Act).
En application de l'IA Act, la vigilance incombe aux employeurs utilisateurs de telles solutions : leur choix doit intégrer des critères de sécurité, de transparence et de supervision humaine4.
Si le recours à l'IA a des effets significatifs sur le salarié, il relève expressément de la catégorie des IA à haut risque5.
Les plateformes proposant un score de conduite ou une notation comportementale, lorsqu'elles sont utilisées pour prendre des décisions individuelles (par exemple sur l'affectation de véhicules), sont ainsi susceptibles d'entrer dans la catégorie des IA à haut risque au sens de l'IA Act.
Les entreprises utilisant de telles solutions devront donc :
- Documenter la logique de notation et ses critères;
- Garantir la possibilité d'un recours humain en cas de contestation ;
- Evaluer l'impact de ces décisions automatisées.
Vers une gouvernance éthique et conforme de la donnée de mobilité
Les dispositifs ci-avant décrits participent également à l'émergence d'un « jumeau numérique » du responsable de flotte et, indirectement, du conducteur.
Les données de trajet, de consommation ou de comportements permettent à l'IA de construire un double virtuel qui anticipe, simule et prédit.
Cette prédiction, reposant sur des modèles statistiques, n'est jamais totalement fidèle. Le conducteur réel peut diverger de son profil algorithmique.
Se pose alors la question de savoir qui est évalué : le salarié tel qu'il agit, ou celui que l'IA suppose qu'il est ?
Les directions des ressources humaines, souvent responsables des politiques de mobilité, se trouvent à la croisée de la transformation numérique et de la régulation.
Elles doivent concilier trois exigences :
- Optimiser les coûts et les émissions des flottes ;
- Protéger les droits des salariés en évitant la surveillance intrusive ;
- Assurer la conformité continue au RGPD et à l'IA Act.
La mise en place d'une charte interne de la donnée de mobilité et l'audit régulier des algorithmes utilisés deviennent indispensables.
IA et gestion de flotte : concilier performance, conformité et confiance
L'utilisation de l'IA dans la gestion des flottes automobiles place les ressources responsables de leur contrôle à la croisée de la transformation numérique et de la régulation éthique.
L'enjeu est de bâtir une confiance durable dans ces outils qui, loin de remplacer l'humain, visent à mieux piloter, mieux protéger et mieux accompagner les salariés mobiles de l'entreprise.
L'IA devient ainsi un copilote stratégique : elle assiste la décision sans s'y substituer.
Encore faut-il que ce copilote ne devienne pas le double numérique de l'humain qu'il soutient, au risque de masquer la réalité.
Le rôle des directions RH sera d'assurer que la technologie demeure au service de la performance collective, sans verser dans la surveillance individuelle.
Footnotes
1. Voir les directrices du G229 relatives à l'analyse d'impact relative à la protection des données (AIPD) et la manière de déterminer si le traitement est « susceptible d'engendrer un risque élevé » aux fins du règlement (UE) 2016/679
2. Voir la doctrine de la CNIL en matière géolocalisation des véhicules des salariés
3. Article 22 du RGPD
4. Articles 29 et 54 IA Act
5. Annexe III section(a) IA Act
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