La Cour du Québec a récemment rendu une des rares décisions concernant l'affichage des marques de commerce et la conformité à la Charte de la langue française (la « Charte ») et au Règlement sur la langue du commerce et des affaires (le « Règlement »).
Contexte de l'affaire
Dans l'affaire Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Gestion Hôtel Drummond inc., 2024 QCCQ 7639, la défenderesse, une entreprise québécoise qui opère une chaine d'hôtels sous la bannière « Times », a été déclarée coupable d'avoir contrevenu à la Charte et au Règlement en affichant à l'extérieur de son établissement les mots «HOTEL» sur une façade et «TiMES» sur une autre. Elle a été condamnée à une amende de 1500$.
Points saillants de la décision
- Enregistrement des marques en français et en anglais : Une marque de commerce peut être en anglais uniquement dans l'affichage public et de la publicité commerciale si aucune version française de la marque n'a été déposée1. En l'espèce, la défenderesse n'a pas pu bénéficier de cette exception puisqu'elle était autorisée à utiliser à la fois la marque enregistrée « TIMES HOTEL » (LMC1091666), mais également sa version française « TIMES HÔTEL » (LMC971667).
- Majuscules et accents circonflexes : Puisque la marque « TIMES HÔTEL » est enregistrée en français, la défenderesse devait l'utiliser telle quelle, avec toutes ses caractéristiques, y compris les accents. L'argument de la défenderesse selon lequel les accents circonflexes ne sont pas requis sur les lettres majuscules en français n'a pas été retenu par la Cour.
- Critère de la vue d'ensemble : La Cour a précisé que les mots « HOTEL » et « TiMES » affichés sur des façades différentes ne satisfont pas au critère de la vue d'ensemble. Pour bénéficier de l'exception permettant d'afficher une marque de commerce en anglais uniquement lorsqu'il y a une présence suffisante du français, les mots doivent être visibles simultanément dans le même champ visuel2. Cela signifie que les mots doivent être lisibles ensemble, à tout moment, sans que l'un soit caché ou séparé de l'autre.
- Acronyme non considéré comme une combinaison artificielle de lettres : La Cour a rejeté l'argument voulant que l'acronyme « TIMES » soit considéré comme une combinaison artificielle de lettres, ce qui aurait permis de contourner l'exigence d'affichage en français3. L'acrostiche proposé par la défenderesse, basé sur des mots français, n'a pas convaincu la Cour, qui a souligné que l'acronyme doit avoir une signification claire pour les utilisateurs et non seulement pour les dirigeants.
Leçons à tirer pour les commerçants
Bien que la jurisprudence demeure relativement limitée en matière d'application précise des règles d'affichage et de publicité prévues par la Charte et son Règlement, la décision Gestion Hôtel Drummond et quelques autres rendues par la Cour du Québec nous offrent un aperçu de la façon dont les nouvelles dispositions de la Loi 96 seront mises en œuvre par l'Office québécois de la langue française et les tribunaux. En effet, ces décisions nous permettent de dégager certaines erreurs à éviter ainsi que de bonnes pratiques à adopter :
- Vérifiez les versions enregistrées de vos marques : À compter du 1er juin 2025, une marque en anglais ne peut être affichée seule que si aucune version française ne se trouve au registre des marques de l'OPIC.4
- Respectez le critère du même « champ visuel » : Pour bénéficier de l'exception permettant l'affichage à l'extérieur d'un immeuble en anglais s'il y a une présence suffisante du français (à compter du 1er juin 2025, une nette prédominance du français est requise), les éléments doivent être visibles simultanément dans un même champ visuel.5
- Assurez la conformité des inscriptions françaises: L'utilisation de mots bilingues ou anglophones devenus courants en langue française pourrait ne pas être conforme aux obligations en matière d'affichage6. Dans l'affaire Salon de quilles international, la Cour a jugé non conforme l'affichage juxtaposant « Bowling » et « Salon de quilles », considérant que « bowling » n'était pas un mot francisé.7 De même, dans Gestion Hôtel Drummond, le mot « Hotel » sans accent circonflexe a été jugé insuffisant pour assurer une présence suffisante de français.
- Connaissez les exceptions permises: Dans l'affaire Québec St-Germain Transport, la Cour a permis l'usage exclusif du slogan anglais « Coast to Coast Services », car il s'agissait d'une marque reconnue, mais a rejeté l'exception invoquée pour « Class of 200 », qui n'a pas été considérée comme une « devise héraldique »8.
Conclusion
Avec l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions de la Charte survenue le 1er juin 2025 (introduites par la Loi 96), de nombreuses entreprises devront ajuster leurs pratiques d'affichage. Il est donc essentiel de s'y conformer dès maintenant afin d'assurer la conformité aux nouvelles exigences linguistiques.
Pour plus d'informations sur ces changements, consultez notre bulletin récent sur le sujet.
Footnotes
1. Règlement sur la langue du commerce et des affaires, art. 25, para. 4.
2. Règlement sur la langue du commerce et des affaires, art. 25.3, para. 2.
3. Règlement sur la langue du commerce et des affaires, art. 26.
4. Charte de la langue française, art. 51.1
5. Règlement sur la langue du commerce et des affaires, art. 25.3, para. 2.
6. Charte de la langue française, art. 58.
7. Québec (Procureur général) c. Salon de quilles international inc., 2006 QCCQ 1903, paras 22 à 29."
8. Québec (Procureur général) c. St-Germain Transport (1994) inc., 2006 QCCQ 7631, paras 7 à 10.
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