Dans Atlantic Sea Cucumber Ltd. (Re), la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse (« la Cour »), siégeant en matière de faillite, a refusé d'accorder priorité à une sûreté invoquée par une société liée au débiteur, et ce, malgré l'existence d'une garantie antérieurement consentie. Le litige opposait le syndic de faillite au créancier judiciaire Weihai Taiwei Haiyang Aquatic Food Co. Ltd. (« WTH »), qui contestait la validité de la sûreté revendiquée par Atlantic Golden Age Holdings Inc. (« AGAH »), une société sous contrôle commun avec la débitrice, Atlantic Sea Cucumber Ltd. (« ASC »).
Le litige trouve son origine dans un prêt consenti en 2018 par AGAH à sa société liée, ASC, aux termes d'un document contractuel téléchargé en ligne, non rédigé par avocat et signé — selon les témoignages — « littéralement sur la table de la salle à manger ». Ce document prévoyait une avance de 2,174 M $, décrite de façon sommaire comme étant garantie par les « immeubles, terrains et équipements » de la société. Or, cette sûreté n'a été ni enregistrée auprès des registres appropriés, ni rédigée conformément aux exigences du Personal Property Security Act1. L'avance initiale a néanmoins été remboursée en totalité avant la fin de l'année 2020.
Entre 2020 et 2023, AGAH a versé de nouvelles avances à ASC, notamment en réponse aux pressions exercées par certains créanciers. Puis, au mois de mars et avril 2023 — soit quelques semaines avant le dépôt par ASC d'un avis d'intention de faire une proposition sous Loi sur la faillite et l'insolvabilité (« LFI ») —, AGAH a fait enregistrer une hypothèque mobilière et une convention de sûreté générale, cette fois rédigées par avocat. Ces actes visaient une gamme élargie d'actifs, incluant notamment des biens incorporels et futurs, tels que les créances clients, les licences de pêche, les droits contractuels et les marques de commerce. C'est précisément cet enregistrement tardif — effectué au bénéfice d'une société liée et peu avant l'insolvabilité — qui fut contesté par le créancier judiciaire WTH. Celui-ci soutenait qu'une telle opération, réalisée dans l'année précédant l'ouverture de la faillite, constituait un traitement préférentiel prohibé au sens de l'article 95 LFI, en ce qu'elle avait pour effet de favoriser indûment AGAH en sa qualité de créancier entretenant un lien de dépendance avec la débitrice ASC.
I. Qualification juridique des avances : dette ou investissement en capital?
Avant de se prononcer sur la validité de la sûreté consentie, la Cour a d'abord été appelée à qualifier la nature juridique des sommes avancées par AGAH, afin de déterminer si celles-ci constituaient une dette véritable ou un apport en capital. Pour trancher cette question, elle s'est appuyée sur le test dit objectif-subjectif, tel qu'établi dans l'affaire U.S. Steel Canada2 et confirmé par la suite dans Re Organic Garage3. L'application de ce cadre d'analyse a conduit la Cour à conclure que les avances consenties à ASC présentaient les attributs d'une dette– ouvrant ainsi droit à une réclamation prouvable au sens de la LFI – plutôt que ceux d'un apport aux capitaux propres. À cet égard, la Cour rappelle qu'un apport en capital ne peut être assimilé à un prêt que si deux conditions cumulatives sont satisfaites :
(1) l'existence d'une réelle attente de remboursement;
(2) le caractère raisonnable de cette attente, eu égards aux circonstances de l'affaire. En l'espèce, ces deux conditions étaient satisfaites. Les parties avaient manifesté une volonté explicite de remboursement, lequel est d'ailleurs intervenu dans son intégralité. Les sommes avancées avaient été comptabilisées comme une dette dans les états financiers et traitées comme tel par les deux parties. De plus, AGAH ne détenait aucune action ordinaire d'ASC, et le remboursement des sommes versées n'était subordonné ni à la performance financière de la société débitrice, ni à une quelconque participation au capital. Dans ces circonstances, la Cour a conclu qu'il s'agissait d'une « transaction régulière» au sens de l'article 137 LFI4, et ce, malgré l'existence d'un lien de dépendance entre les parties.
II. Opposabilité de la sûreté non publiée au syndic
Au-delà de la qualification des avances, la Cour devait également se prononcer sur la portée et l'opposabilité de la sûreté, compte tenu de son absence de publication. Bien qu'elle reconnaisse que la sûreté initialement consentie en 2018 était valide entre les parties, la Cour constate qu'aucune formalité n'a été accomplie pour la publier ou la rendre opposable aux tiers, la qualifiant ainsi de sûreté imparfaite au sens de la LFI. De surcroit, sa portée se limitait strictement aux biens désignés, soit l'équipement existant en date du 2 janvier 2018.
Par ailleurs, la Cour a rejeté la prétention d'AGAH selon laquelle les actes enregistrés en 2023 – soit l'hypothèque mobilière et la convention de sûreté générale – ne faisaient que donner forme à la sûreté consentie en 2018. Elle conclut plutôt qu'il s'agissait de nouvelles sûretés, consenties alors qu'ASC était déjà insolvable, dans le but manifeste de renforcer la position de créancier garanti d'AGAH avant l'ouverture de la faillite. La qualification retenue par la Cour est déterminante : considérant que ces sûretés avaient été constituées au profit d'une société liée dans les douze mois précédant l'évènement initial de faillite, elles ont été déclarées inopposables au syndic, en application de l'article 95 LFI.
III. Portée et effets juridiques des nouvelles sûretés de 2023
La Cour s'est également interrogée sur la possibilité que les sûretés enregistrées en 2023 aient pu avoir pour effet de « ranimer » la sûreté consentie en 2018, notamment en l'étendant aux avances additionnelles versées par AGAH après avoir obtenu le remboursement complet du prêt initial. Cette hypothèse soulevait la possibilité d'un rattachement rétroactif de nouvelles dettes à une convention de sûreté antérieure.
Or, la Cour a expressément rejeté cette possibilité et a plutôt conclu que la preuve versée au dossier ne permet ni d'élargir l'objet de la convention de 2018, ni d'y rattacher les avances subséquentes. De l'avis du tribunal, la sûreté initiale avait été pleinement « épuisée » dès le remboursement intégral du prêt qu'elle garantissait. Par conséquent, bien que les avances ultérieures puissent, en elles-mêmes, constituer des dettes valides entre les parties, elles ne bénéficiaient d'aucune sûreté préexistante. En l'absence d'un lien juridique clair avec la convention initiale, les sûretés enregistrées en 2023 doivent être considérées comme distinctes et autonomes, et demeurent assujetties aux exigences de publication prévues par la LFI.
IV. Déférence judiciaire et pouvoir de révision à l'égard des décisions du syndic
Enfin, la Cour rejette l'idée selon laquelle elle devrait se rallier à l'opinion juridique externe obtenue par le syndic à l'appui de la validité des sûretés. Bien que rédigée par des conseillers juridiques expérimentés, cette opinion reposait, selon le juge Balmanoukian, sur des hypothèses inexactes, notamment quant à la solvabilité d'ASC au moment de la constitution des sûretés de 2023. Une lecture attentive révèle que les conclusions du syndic et des avocats reposaient sur des fondements viciés en fait et en droit. La Cour refuse donc d'y accorder quelque déférence que ce soit.
Cette absence de déférence s'explique par la nature juridique des questions en litige. Si le syndic de faillite bénéficie généralement d'un respect certain dans l'exercice de son « jugement commercial » — notamment lorsqu'il évalue des réclamations ou prend des décisions de nature opérationnelle — ce respect n'est ni absolu ni inconditionnel. Ainsi, en s'appuyant sur l'analyse de la juge Ilchenko dans Re Organic Garage, la Cour rappelle que la norme de contrôle applicable aux décisions du syndic s'inscrit sur un continuum : les questions purement juridiques appellent un examen selon la norme de la décision correcte, tandis que les décisions fondées sur des considérations factuelles ou mixtes sont soumises à la norme de l'erreur manifeste et dominante.
En l'espèce, les questions soumises à la Cour relevaient essentiellement du droit : elles concernaient l'interprétation de la validité, de la portée et de l'opposabilité de sûretés entre sociétés liées, au regard de l'article 95 LFI. Par conséquent, aucune déférence ne s'imposait à l'égard des conclusions du syndic. Par ailleurs, selon la Cour, l'opinion externe sur laquelle le syndic s'était appuyé comportait plusieurs réserves importantes, se limitait à une analyse documentaire des actes de 2023 et faisait abstraction de faits essentiels, notamment ceux relatifs à l'application de l'article 95 LFI et à l'état réel d'insolvabilité d'ASC au moment de la constitution des sûretés. Devant ces lacunes, la Cour a refusé d'accorder quelque poids à cette évaluation, réaffirmant que la déférence judiciaire cède le pas lorsque des questions de droit sont en cause5.
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La décision Atlantic Sea Cucumber Ltd. (Re) rappelle avec force qu'en matière de faillite, la légitimité d'une créance ne suffit pas : encore faut-il que la sûreté soit rédigée avec rigueur, dûment publiée et constituée dans les délais prescrits. À défaut, même une intention honnête peut se heurter à l'ordre public de la LFI. Comme l'écrit le juge en ouverture de sa décision: « The internet is a lousy lawyer » - une formule évocatrice des dangers bien réels associés à une approche improvisée du droit des sûretés. À ce titre, cette décision constitue un avertissement sans équivoque aux praticiens : les relations financières entre sociétés liées doivent obéir aux mêmes exigences formelles que celles régissant les rapports entre tiers, faute de quoi les garanties mises en place pourraient être écartées précisément au moment où leur opposabilité devient cruciale pour assurer la priorité du créancier garanti.
Enfin, la décision met également en lumière l'importance de la déférence judiciaire et du pouvoir de révision exercé par les tribunaux à l'égard des décisions du syndic. Si ce dernier bénéficie généralement d'un respect certain dans l'exercice de son jugement commercial, cette déférence connaît des limites dès lors que des questions de droit sont en jeu. En refusant de s'en remettre à une opinion juridique externe fondée sur des prémisses erronées, la Cour réaffirme que l'analyse judiciaire indépendante demeure essentielle pour préserver l'intégrité du processus de faillite et assurer une application rigoureuse des principes de la LFI.
Footnotes
1 Personal Property Security Act, S.N.S. 1995-96, c. 13, https://novascotia.ca/just/regulations/regs/ppsgen.htm en ligne.
2 Re US Steel Canada Inc., 2016 ONCA 662.
3 Re Organic Garage, 2025 ONSC 2476.
4 Ajournement de réclamations relatives à des transactions : 137(1) Le créancier qui, avant la faillite du débiteur, a conclu une transaction avec celui-ci alors qu'il existait un lien de dépendance entre eux n'a pas droit de réclamer un dividende relativement à une réclamation née de cette transaction jusqu'à ce que toutes les réclamations des autres créanciers aient été satisfaites, sauf si la transaction était, de l'avis du syndic ou du tribunal, une transaction régulière.
5 Il convient de préciser qu'aucun reproche n'a été formulé quant à la neutralité ou à l'intégrité du syndic, la déférence reposant sur la présomption qu'il agit de bonne foi et conformément à ses obligations professionnelles – ce qui n'était pas contesté en l'espèce.
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