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En cas de dissidence et de désaccord sur l'évaluation dans le cadre d'une opération canadienne de fusion et acquisition visant une société ouverte, la [traduction] « seule règle véritable » est que le tribunal doit tenir compte de toutes les preuves pertinentes pour déterminer la juste valeur. Il en ressort concrètement que les procédures d'évaluation sont très discrétionnaires et fortement tributaires de la situation.
Cela dit, des décisions récentes démontrent que les tribunaux ont tendance à accorder beaucoup d'importance au prix de l'opération par rapport à d'autres facteurs. La décision de la Cour suprême de la Colombie-Britannique (la « Cour ») dans l'affaire Michalowski v Gold Flora (en anglais) en est l'exemple le plus récent .
Voici les principaux points à retenir :
- La décision fait une distinction entre les fusions d'égaux, où la [traduction]« valeur implicite » peut représenter la valeur relative plutôt que la juste valeur, et les mises aux enchères, qui visent à maximiser la valeur. Il a été conclu que l'opération ressemblait plus à une mise aux enchères, bien que les actionnaires de l'acheteur détenaient 51 % de la nouvelle entité, contre 49 % pour les actionnaires de la société visée.
- La Cour a évalué la juste valeur des actions des dissidents à 0,9847 $ US l'action, soit le prix implicite de l'opération annoncé publiquement par la société visée. Elle n'a pas considéré le cours des actions de la société visée à la date d'évaluation – soit de seulement 0,17 $ US l'action – comme indicateur de la juste valeur pour plusieurs raisons, notamment puisqu'elle considérait que les actions se négociaient dans un marché inefficient (c.-à-d. un marché qui ne reflétait pas la valeur réelle des actions).
- La Cour a accordé de l'importance : 1) à la valeur pour l'acheteur du fait que la société visée était cotée en bourse et qu'il pourrait donc à accéder à du financement par actions et par emprunt; et 2) au fait que le prix implicite de l'opération était indiqué dans les documents déposés auprès des autorités en valeurs mobilières par la société visée, ce qui laissait entendre que les parties ne jugeaient pas cette valeur comme étant trompeuse. La Cour a également mentionné à plusieurs reprises le [traduction] « travail d'évaluation » de la société visée et de l'acheteur dans deux avis sur le caractère équitable obtenus par la société visée pour cette opération.
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Structure, prix de l'opération et cours des actions
La société visée était une société de cannabis négociant ses actions à la Cboe Canada et sur le marché OTCQX (la « société visée »). L'acheteur était une société de cannabis à capital fermé (l'« acheteur »). L'opération a été réalisée au moyen d'un plan d'arrangement (l'« arrangement ») en vertu de la loi sur les sociétés par actions de la Colombie-Britannique (la Business Corporation Act; la « Loi »).
Contexte de l'arrangement
Le conseil d'administration de la société visée a entamé un processus stratégique en juillet 2022 (le « processus stratégique ») et retenu les services de conseillers financiers externes. Une importante prospection du marché a été effectuée pour trouver des parties à une fusion éventuelle. Ce sont 24 parties qui ont été identifiées, et la moitié d'entre elles ont été contactées. Plusieurs ententes de non-divulgation ont été signées, notamment avec l'acheteur.
À compter de novembre 2022, l'acheteur a présenté plusieurs propositions d'acquisition à la société visée, ce qui a incité le conseil d'administration de celle-ci à former un comité spécial (le « comité spécial »). La première proposition de l'acheteur visait une fusion dans le cadre de laquelle ses actionnaires détiendraient 70 % de la nouvelle société, contre 30 % pour les actionnaires de la société visée. Pour la deuxième proposition, ces chiffres devenaient 57,5 % et 42,5 %, respectivement. Finalement, les parties ont convenu d'une fusion où les actionnaires de l'acheteur détiendraient 51 % de la nouvelle société, contre 49 % pour les actionnaires de la société visée. Celle-ci a publié l'arrangement en février 2022, et le communiqué de presse indiquait, notamment, que la valeur de l'opération s'élevait à 1,50 $ US l'action pour l'acheteur, et à 0,9847 $ US l'action pour la société visée.
Au cours des négociations entre les parties, la société visée a reçu plusieurs offres concurrentes, y compris une offre entièrement au comptant de 0,40 $ US par action de la société visée. Le comité spécial a rejeté cette offre, puisqu'il estimait que la valeur de l'arrangement était plus élevée. Sa recommandation que la société visée donne suite à l'arrangement était en partie fondée sur deux avis sur le caractère équitable distincts qu'il avait obtenus (les « avis sur le caractère équitable »). Ces avis indiquaient que la contrepartie que les actionnaires de la société visée allaient recevoir était juste, d'un point de vue financier, pour ces derniers et contenaient les exonérations de non-responsabilité habituelles mentionnant qu'aucune évaluation de la société visée et de l'acheteur n'avait été effectuée. En présentant les avis sur le caractère équitable au conseil d'administration de la société visée, tous les conseillers financiers ont noté que l'arrangement représentait une prime de 226 % pour les actionnaires de la société visée par rapport au cours à ce moment-là.
Le groupe dissident
Des actionnaires détenant 84 % des actions de la société visée ont voté en faveur de l'arrangement. Un groupe d'actionnaires minoritaires (le « groupe dissident ») s'est opposé à l'arrangement et a exercé ses droits de dissidence conférés par la Loi et l'arrangement, ce qui a entraîné des procédures d'évaluation exigeant que la Cour établisse la [traduction] « valeur de paiement » des actions du groupe dissident, soit la « juste valeur » des actions à la « date d'évaluation » applicable . Il a été convenu que cette date était le 15 juin 2023, soit la veille de l'approbation par les actionnaires de la société visée de l'adoption de l'arrangement. Le cours des actions de la société visée lors de l'annonce de l'arrangement en février 2022 était de 0,27 $ US. À la date d'évaluation, il était de 0,177 $ US.
Arguments de l'acheteur relativement à l'évaluation
Fusions d'égaux
L'acheteur a soutenu que l'arrangement était correctement compris comme une [traduction] « fusion d'égaux », auquel cas une question clé est le ratio d'échange des actions qui établit la quote-part dans la société issue du regroupement entre les propriétaires des sociétés remplacées. L'acheteur affirmait que le montant de 0,9847 $ US par action annoncé publiquement ne représentait pas la juste valeur, mais bien une « valeur implicite » découlant du ratio d'échange des actions convenu et de la valeur estimée de 1,50 $ US par action de l'acheteur.
Valeur implicite dans une opération d'actions
L'acheteur a présenté un témoignage d'expert selon lequel une telle valeur réputée était nécessaire parce que le prix d'achat était payé en actions plutôt qu'au comptant, et parce que l'acheteur était une société fermée sans cours d'actions cotées en bourse. Il était donc inexact d'interpréter la « valeur implicite » de 0,9847 $ US par action de la société visée comme reflétant la valeur réelle ou la juste valeur des actions. L'acheteur soutenait que la « juste valeur » des actions était mieux représentée par leur cours à la date d'évaluation, qui était de seulement 0,17 $ US l'action. L'acheteur a contesté les allégations du groupe dissident selon lesquelles les actions de la société visée ne se négociaient pas sur un marché efficient.
Cours des actions et autres offres
L'acheteur s'est fié à une évaluation par un expert qui a déterminé que la juste valeur des actions à la date d'évaluation [traduction] était « autour » de 0,17 et 0,18 $ US. Pour en arriver à cette valeur, l'expert s'est basé sur les autres offres reçues par la société visée pendant le processus stratégique (y compris l'offre de 0,40 $ US l'action). L'acheteur soutenait qu'il n'était pas pertinent de se fier aux avis sur le caractère équitable puisque ceux-ci ne sont pas des avis de facto sur la valeur. Ils ne concluent pas non plus que la juste valeur des actions était de 0,9847 $ US.
Arguments du groupe dissident relativement à l'évaluation
Prix de l'opération annoncé
Le groupe dissident a soutenu que la valeur de paiement devrait être la même que le prix de l'opération, soit de 0,9847 $ US l'action, communiqué par la société visée à ses actionnaires, au public et aux autorités de réglementation lors de l'annonce publique de l'opération. Le groupe dissident soulignait que le processus stratégique ressemblait davantage à une vente aux enchères qu'à une fusion d'égaux et qu'il était plus important pour la société visée de maximiser la valeur que d'obtenir le meilleur ratio d'échange d'actions lors des négociations entre les parties.
Avis sur le caractère équitable
L'expert en évaluation du groupe dissident était d'avis que le prix de l'opération de 0,9847 $ US l'action était le résultat de négociations sans lien de dépendance entre des parties compétentes sans contrainte, et qu'il s'agissait donc d'un indicateur fiable de la juste valeur. L'expert considérait aussi que 0,9847 $ US par action constituait une estimation raisonnable de la juste valeur des actions de la société visée à la date d'évaluation. Selon cet expert, le cours des actions de la société visée à la date d'évaluation n'était pas représentatif de la juste valeur des actions, puisque ces dernières n'étaient pas négociées dans un marché efficient.
Décision de la Cour relativement à l'évaluation
Droit applicable
La Cour a conclu que « la seule règle véritable » dans les procédures d'évaluation consiste à examiner tous les éléments de preuve qui pourraient être utiles et les facteurs particuliers en cause, et donc que la valeur attribuée aux actions au moyen du plan d'arrangement n'est qu'une des multiples preuves à considérer. Voici quelques autres preuves à considérer [traduction] :
l'historique des sociétés de l'opération, le cours des actions sur le marché public, l'évolution et la formulation du plan d'arrangement et la valeur des actions qui y est indiquée, et les opinions sur la valeur exprimées par les témoins experts appelés par les requérants et les défendeurs.
Processus de vente
La Cour a donné raison au groupe dissident sur le fait que le processus stratégique ressemblait beaucoup plus à une mise aux enchères qu'à une fusion d'égaux typique. Elle a souligné que, bien que la quote-part dans la société issue du regroupement était de 51 % et 49 % pour les parties respectives, la proposition initiale de l'acheteur visait une répartition de 70 % et 30 %. En plus, les preuves n'ont pas pu démontrer que les parties se concentraient sur le ratio d'échange des actions lors des négociations. Elles révèlent plutôt que la société visée mettait l'accent sur la maximisation de la valeur et que la valeur des actions était une mesure de cette maximisation. Par exemple, dans la convention d'arrangement, la société visée a maintenu son droit d'accepter une [traduction] « proposition supérieure » reçue avant la clôture de l'arrangement.
Valeur réelle contre valeur implicite
La Cour a rejeté l'argument de l'acheteur selon lequel la valeur de 0,9847 $ US annoncée par la société visée était seulement une [traduction] « valeur implicite » visant simplement « à illustrer » la « part du gâteau » de la société visée. La Cour a déterminé que cette valeur était « pertinente », puisqu'elle a été déterminée par des négociations sans lien de dépendance dans un marché ouvert et libre, et a été étayée par une vérification diligente importante des deux parties. Elle a noté que l'évaluation des actions de l'acheteur (1,50 $ US) et des actions de la société visée (0,9847 $ US) annoncée par cette dernière était comprise dans les documents qu'elle a déposés auprès des autorités en valeurs mobilières et ne pouvait donc pas, selon la loi, être trompeuse. L'évaluation des actions de l'acheteur avait des conséquences juridiques puisqu'elle déterminait le ratio de conversion auquel les débentures convertibles de l'acheteur seraient échangées pour les actions de l'acheteur.
Un marché de négociation inefficient
La Cour a donné raison au groupe dissident sur le fait que les actions de la société visée ne se négociaient pas sur un marché efficient. Elle est arrivée à cette conclusion puisque des preuves indiquaient que la valeur des actions de la société visée n'avait pas été influencée par des nouvelles pertinentes à ce sujet, ce qui suggère que leur prix n'avait pas été déterminé par des investisseurs avertis. La Cour a souligné que ces actions se négociaient sur un marché hors cote aux États-Unis (ce qui exige un courtier) plutôt que dans un marché boursier centralisé entièrement accessible comme le NASDAQ. En ce qui concerne la liquidité, qui a été considérée comme un facteur important pour évaluer si l'activité de négociation permettait de déterminer la juste valeur, la Cour a noté que, bien que le pourcentage du flottant de la société visée était de 78,6 %, 51 % de ces actions étaient détenues par des initiés de la société visée, et que la diminution du flottant laissait supposer une liquidité moindre. La Cour a également conclu que la juste valeur comprend une prime de contrôle et que le fait que les actions de la société visée ne se négociaient pas sur un marché efficient signifiait que cette prime n'avait pas été prise en compte dans le cours des actions.
Encaisse et accès aux marchés des capitaux
La Cour a conclu que la société visée possédait une valeur importante pour la fusion, non reflétée par le cours des actions, notamment en raison de son encaisse de 80 000 000 $ et de son statut de société cotée en bourse. Alors que la société visée était riche en liquidités, l'acheteur en avait [traduction] « peu », et sa dette était « importante ». Devenir une société ouverte offrait à l'acheteur un [traduction] « meilleur accès » au financement par actions et par emprunt ainsi qu'une porte d'entrée pour les marchés des capitaux, sans les coûts et les risques associés à la réalisation de son propre premier appel public à l'épargne (PAPE). Le fait que la société visée soit cotée en bourse constituait un [traduction] « atout important » pour l'acheteur, ce qu'il avait souligné à plusieurs reprises aux investisseurs après l'annonce de l'arrangement.
Avis sur le caractère équitable et évaluation
La Cour a mentionné à plusieurs reprises le « travail d'évaluation » de la société visée et de l'acheteur dans les avis sur le caractère équitable. Elle a noté que le premier avis utilisait [traduction] « de nombreuses méthodes d'évaluation reconnues », y compris une analyse de la valeur du cours des actions et une approche fondée sur la valeur actualisée des flux de trésorerie. De même, elle a jugé que le deuxième avis était essentiel pour affirmer que l'évaluation de 1,50 $ US des actions de l'acheteur se situait dans une fourchette raisonnable de résultats d'évaluation. La Cour a souligné que la société visée s'était fiée sur ces avis et le « travail d'évaluation » entrepris par les conseillers financiers pour les préparer en vue d'approuver l'arrangement. Cela dit, la décision ne clarifie pas l'importance accordée par la Cour à ces avis.
Commentaires additionnels et principaux points à retenir
La Cour a déterminé que la juste valeur était de 0,9847 $ US par action, conformément à la position du groupe dissident, et a par le fait même démontré que : 1) les tribunaux canadiens tendent à accorder beaucoup d'importance au prix d'une opération par rapport à d'autres facteurs; et 2) la nature des procédures d'évaluation de fusions et acquisitions de sociétés ouvertes au Canada est hautement discrétionnaire et dépend de chaque situation. Cela dit, il y a d'autres points à retenir de cette décision :
- Cette affaire sert d'avertissement. Les droits de dissidence sont essentiels dans les échanges d'actions, surtout lorsque l'acheteur est une société fermée. La décision souligne la nécessité d'être prudent dans l'attribution d'une valeur à l'acheteur et d'un ratio d'échange qui donne une valeur élevée à la société visée par rapport à son cours le plus récent. Elle met également en évidence l'importance stratégique de la condition de clôture relative aux droits de dissidence. S'il est difficile de prévoir le cours des actions et la liquidité de la société issue du regroupement, la probabilité que les actionnaires préfèrent utiliser leurs droits de dissidence et recevoir un montant au comptant égal au prix de l'opération plutôt qu'à la contrepartie en actions risque d'augmenter.
- En concluant que le processus de vente s'apparentait davantage à une mise aux enchères qu'à une fusion d'égaux, la Cour a accordé de l'importance au droit de la société visée prévu par l'arrangement d'accepter une « proposition supérieure » subséquente. Toutefois, une telle clause est omniprésente dans les arrangements de fusions et acquisitions de sociétés ouvertes au Canada, y compris les fusions d'égaux, et reflète la nécessité pour les administrateurs de la société visée de se conformer à leurs responsabilités fiduciaires en cas de réception d'une proposition supérieure. Il convient également de noter que la Cour n'a pas examiné de façon importante la valeur probante à accorder à l'offre concurrente (qui était beaucoup moins élevée) de 0,40 $ US reçue par la société visée.
- Le traitement des avis sur le caractère équitable par la Cour demeure incertain. D'une part, la Cour y fait référence à plusieurs reprises, ainsi qu'au « travail d'évaluation » effectué lors de leur préparation. D'autre part, elle a reconnu qu'ils contenaient les exonérations de non-responsabilité habituelles indiquant expressément qu'ils ne comprenaient aucune évaluation officielle de la société visée et qu'ils ne devraient pas être interprétés en ce sens. Il est possible que la Cour ait considéré les avis sur le caractère équitable, qui étaient fondés sur le prix de l'opération, comme une preuve supplémentaire que les parties estimaient que ce prix reflétait la juste valeur.
- Le différend était quelque peu inhabituel. Habituellement, dans les procédures d'évaluation de fusions et acquisitions de sociétés ouvertes, les actionnaires dissidents affirment que la juste valeur est supérieure au prix d'opération. Dans cette affaire, ils soutenaient que le prix de l'opération était supérieur, et la société visée estimait que la juste valeur était beaucoup plus basse que le prix de l'opération. Cela a posé un défi immédiat pour la société visée. Quoi qu'il en soit, les participants au marché peuvent trouver un certain réconfort dans la décision : peu importe les circonstances inhabituelles, le prix de l'opération a encore une fois fait augmenter la juste valeur dans une procédure de dissidence.
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