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4 December 2024

Les impacts de la victoire de Donald Trump sur le Canada

La relation que le Canada entretient avec les États-Unis est à ce point fondamentale que chaque élection chez nos voisins du Sud entraîne des conséquences inévitables pour notre pays, et particulièrement pour notre économie.
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La relation que le Canada entretient avec les États-Unis est à ce point fondamentale que chaque élection chez nos voisins du Sud entraîne des conséquences inévitables pour notre pays, et particulièrement pour notre économie. Alors que les Américains viennent de choisir leur 47e président, traçons un portrait des enjeux et des opportunités qui nous attendent au cours du prochain mandat de Donald Trump.

En tant qu'ancien ambassadeur du Canada aux États-Unis, j'ai eu le privilège d'être aux premières loges pour constater les liens profonds qui unissent nos deux pays. J'ai également pu observer à quel point cette relation multidimensionnelle et asymétrique demeure, et de loin, la plus importante pour nous. Elle a un impact sur TOUT ce que nous faisons. Notre niveau de vie dépend grandement de nos échanges commerciaux avec les États-Unis alors qu'environ 77 % de l'ensemble de nos exportations est dirigé vers le marché américain. Notre frontière est quant à elle franchie par plus de 300 000 personnes chaque jour de l'année.

Au cours de la récente campagne électorale américaine, le gouvernement canadien a mis en place une « Équipe Canada » composée de Kirsten Hillman (ambassadrice aux États-Unis), François-Philippe Champagne (ministre de l'Innovation, des Sciences et de l'Industrie) et Mary Ng (ministre du Commerce international, de la Promotion des exportations et du Développement économique). Ces derniers ont visité plusieurs villes américaines, cherchant à rencontrer ceux et celles, au sein des partis démocrate et républicain, appelés à jouer un rôle crucial dans la future administration. Cette approche non partisane visait avant tout à expliquer nos intérêts et à rappeler l'importance pour les États-Unis de la relation entre nos deux pays.

Transformer les défis économiques en opportunités

Maintenant qu'est connu le résultat de ce scrutin historique, que pouvons-nous faire de plus d'ici à ce que le président Trump soit assermenté et entre officiellement en fonction le 20 janvier 2025? Quelle devrait-être la stratégie du Canada pour transiger avec la nouvelle administration qui se dirige vers un plus haut niveau de protectionnisme?

Durant la campagne, Donald Trump a évoqué de nouveaux tarifs sur toutes les importations aux États-Unis. Passera-t-il de la parole aux actes? Se servira-t-il de la menace de ces tarifs comme outil de négociation dans d'autres dossiers? La baisse des impôts et des taxes promise par les républicains rendra-t-elle le Canada moins concurrentiel? Les irritants commerciaux tels que le conflit du bois d'Suvre et la gestion de l'offre persisteront-ils? Et comment se déroulera la révision de l'Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM/CUSMA) en 2026? Voilà autant de questions en suspens qui pourraient causer des turbulences économiques chez nous en frappant de plein fouet des secteurs comme l'aéronautique, l'automobile, l'aluminium, le bois, l'agriculture et les produits alimentaires.

Bien que constituant un défi de taille dont il ne faut pas minimiser les contrecoups, l'imposition de tarifs par les États-Unis pourrait aussi se transformer en opportunité pour le Canada, et ce, en servant de catalyseur pour améliorer notre productivité par rapport aux autres pays. Nous avons un retard à rattraper dans ce domaine et les prochaines années seront déterminantes. Alors qu'une élection générale est à nos portes au Canada, le premier ministre Justin Trudeau se fait rassurant et se dit prêt à collaborer avec monsieur Trump. De leur côté, Pierre Poilievre et le Parti conservateur s'engagent à déployer certaines mesures pour préserver nos emplois au pays, dont des baisses d'impôt et l'annulation du plan libéral visant à augmenter la taxe carbone.

Un contexte géopolitique imprévisible et dangereux

Ces nombreux enjeux économiques surviennent dans une ère de changements majeurs sur la scène internationale. La conjonction et la gouvernance mondiale dans lesquelles nous vivons depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale en 1945 sont mises au défi par plusieurs pays, dont la Chine et la Russie. Pendant ce temps, le droit international est de moins en moins respecté, surtout dans les conflits militaires, à mesure que le pouvoir et l'influence des Nations Unies s'affaiblissent.

Trois grands conflits font présentement rage dans le monde. Celui entre Israël et le Hamas/Hezbollah, qui s'étend maintenant au Liban et à l'Iran, risque d'embraser tout le Moyen-Orient et, par conséquent, le prix du pétrole. Celui entre la Russie et l'Ukraine a déjà coûté la vie à des centaines de milliers de personnes et la baisse prévisible de l'aide américaine aux troupes de Volodymyr Zelensky fait craindre le pire en Europe. Finalement, la guerre civile au Soudan a entraîné la mort de centaines de milliers de citoyens et fait planer jusqu'à l'Éthiopie la menace de la pire famine depuis 1968. Tout ça sans oublier la tension grandissante entre la Corée du Nord et la Corée du Sud, ainsi qu'entre la Chine et Taïwan. Alors que ces conflits pourraient avoir des répercussions internationales, c'est sur cette toile de fond que nous devrons faire évoluer notre relation avec les États-Unis.

Comme si ce n'était pas suffisant, l'implantation rapide de l'intelligence artificielle et les changements climatiques devront être pris en compte dans nos rapports avec les autres États. À ce sujet, Donald Trump prévoit abolir une partie des réglementations environnementales en vigueur aux États-Unis. Cette décision controversée créerait une disparité importante entre nos deux pays, ce qui aurait comme effet de rendre nos entreprises moins concurrentielles puisque soumises à des normes plus strictes.

Défense, immigration et autres dossiers à surveiller

Dans un premier temps, je m'attends à ce que les pressions des États-Unis pour que le Canada accroisse sa participation dans la sécurité et la défense de l'Amérique du Nord soient plus intenses. Nous nous ferons régulièrement rappeler que nous sommes un des quelques pays de l'OTAN qui n'a pas encore atteint le seuil des 2 % de son produit national brut accordés à la défense. Même s'il remet ouvertement en question la pertinence de cette organisation, Donald Trump est allé jusqu'à déclarer que les pays qui ne contribuent pas à un juste niveau au budget de l'OTAN ne devraient plus profiter de la protection de l'Alliance transatlantique.

Au moment où la Russie et la Chine portent une plus grande attention à l'Arctique, le Canada aurait de la difficulté à protéger seul cette région et à y défendre sa souveraineté. Depuis trop longtemps, la succession des gouvernements à Ottawa a pris pour acquis que les États-Unis viendraient à la défense du Canada si notre sécurité était menacée. Mais ce n'est plus le cas. Les Américains ne veulent plus endosser le rôle de gendarmes du monde et sont à la recherche d'un meilleur équilibre dans la gestion de cette responsabilité.

Sur le plan des ressources naturelles, le Canada est perçu comme étant trop lent à traiter l'émission des permis pour le développement de ses activités minières, une situation qui décourage les investisseurs américains. La politique de l'eau potable sera également à surveiller. Dans un avenir rapproché, le partage de l'eau en Amérique du Nord pourrait devenir un enjeu sensible. Sachant que le Canada est détenteur de 20 % des réserves d'eau potable au monde, ce sujet s'annonce explosif.

Finalement, le dossier de l'immigration, des demandeurs d'asile et des réfugiés prendra sans aucun doute de plus en plus d'importance dans notre relation avec les Américains. Tout récemment, par exemple, on a enregistré une forte augmentation du nombre de réfugiés qui entrent aux États-Unis par le biais de notre frontière : les Mexicains et les Indiens en particulier, mais d'autres nationalités aussi. Déjà au fait de cette réalité, le Congrès américain s'en est plaint au gouvernement canadien et la nouvelle administration pourrait bien accentuer la pression. De plus, le plan de déportation massive de 10 millions d'immigrants illégaux soutenu par Donald Trump pourrait entraîner un mouvement migratoire important vers le Canada. Cela surviendrait dans un contexte où nos dirigeants cherchent à diminuer les seuils d'immigration permanente au pays et à juguler l'entrée massive de demandeurs d'asile qu'on a connue au cours des dernières années.

Une campagne mouvementée qui aura déchiré les Américains

Malgré l'importance de cette élection, aux États-Unis mais aussi dans le reste du monde, nous avons malheureusement assisté à une campagne extrêmement clivante qui a amené la société américaine à remettre en question ses propres valeurs. C'était peut-être la campagne la plus populiste d'aussi loin qu'on se souvienne. La victoire sans équivoque du candidat républicain de 78 ans sur la démocrate Kamala Harris, 60 ans, facilitera cependant son second mandat. Ayant obtenu une majorité au vote populaire et au collège électoral, Donald Trump sera de retour à la Maison-Blanche plus fort et déterminé que jamais. Le Parti républicain aura également le contrôle de la Chambre des représentants et du Sénat, et exercera une influence considérable sur la Cour suprême.

Le Canada devra donc une fois de plus négocier avec l'administration de monsieur Trump, qui a adopté des positions contradictoires pendant la campagne. Reste à voir quel sera le niveau d'influence de ses fidèles collaborateurs qu'il a choisis comme garde rapprochée. On pense notamment à Elon Musk, le richissime homme d'affaires derrière SpaceX, Tesla et le réseau social X, qui dirigera le département de l'efficacité gouvernementale après avoir activement contribué à la campagne républicaine. Pour l'évolution de la relation Canada–États-Unis, le Canada devra entamer des discussions avec plusieurs des personnes nommées récemment, dont Marco Rubio (secrétaire d'État), Howard Lutnick (secrétaire au Commerce) et Tom Homan (à la tête de l'agence responsable du contrôle des frontières et de l'immigration).

Au bout du compte, les politiques qu'entend mettre en place monsieur Trump laissent planer beaucoup de doutes chez les principaux partenaires commerciaux des États-Unis, dont évidemment le Canada. Notre pays détient en revanche un atout majeur puisque les Américains comptent sur nos exportations (électricité, matières premières et minéraux stratégiques en tête) pour assurer leur développement économique.

Une relation gagnante-gagnante pour nos deux pays

Lorsque j'ai quitté Washington à l'automne 2000, avant d'amorcer mon mandat à Paris, je trouvais que nous, les Canadiens, avions beaucoup de chance d'avoir les Américains comme voisins du sud : le pays le plus riche et le plus puissant de la planète. Je pensais également que les États-Unis avaient, eux aussi, énormément de chance d'avoir le Canada comme voisin du nord : un pays riche, plutôt paisible, socialement très développé, bref toujours l'un des meilleurs du monde. Je le crois encore profondément.

La relation entre le Canada et les États-Unis a toujours été gagnante-gagnante pour nos deux pays et elle le demeurera. C'est pourquoi, peu importe les défis à relever, je suis confiant que nous réussirons, comme nous l'avons toujours fait par le passé, à trouver des solutions qui permettront à nos nations respectives de prospérer et de collaborer, dans le respect de leurs différences.

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