Saisir les tribunaux pour un litige dans le domaine de la construction peut être un parcours long et difficile, mais le privilège grevant un bien immeuble peut-il réellement être suffisant pour protéger les droits de la partie demanderesse pendant toute la durée des procédures? Dans l'affaire1951789 Alberta Ltd. c. Britannia Block General Partnership Inc. («Britannia Block»), le juge J.R. Farrington, qui a été saisi des requêtes de la Cour du Banc du Roi de l'Alberta (la «Cour»), a rendu une décision susceptible d'avoir des répercussions importantes sur la stabilité et la pérennité d'un privilège pendant toute la durée des procédures judiciaires.
Contexte de l'affaire Britannia Block
La partie demanderesse a inscrit un privilège sur le terrain de la partie défenderesse, puis intenté des poursuites et déposé un certificat d'affaire en instance en juin2020.1 À la fin du mois de juillet2021, la partie défenderesse a obtenu une ordonnance par consentement visant à lever le privilège et le certificat d'affaire en instance en échange du dépôt d'une caution à titre de garantie d'un montant de 1595842,50$, comme le permet l'article48 de la Prompt Payment and Construction Lien Act (la «PPCLA»).2 La procédure depuis le dépôt de la garantie est quelque peu confuse, la Cour ayant noté qu'une demande de jugement sommaire avait été déposée, mais n'avait pas été entendue, et qu'il y avait un différend concernant la réponse aux questions.3 Par ailleurs, il n'est pas clair si des documents ont été produits ou si des questions ont été posées dans le cadre de la procédure d'interrogatoire préalable.
Cette décision découle de la demande présentée en juillet2024 par la partie défenderesse visant à obtenir la levée ou la réduction du montant de la garantie qu'elle avait constituée.4 Le juge Farrington a relevé deux avenues juridiques pouvant ouvrir la voie à la levée ou à la réduction de la sûreté.5
Premier motif: le bien-fondé de la cause
Tout d'abord, la Cour s'est penchée sur la question de savoir si les faits invoqués justifiaient une réduction du montant au vu du bien-fondé de la cause. La décision d'autoriser la caution à remplacer le terrain ayant été prise d'un commun accord, le bien-fondé n'avait pas encore été jugé. L'un des points en litige dans la demande de la partie demanderesse concernait la somme de 801576,27$ relative à une réclamation pour retard important.6 Le juge Farrington a souligné que, même si la jurisprudence a parfois reconnu la validité des réclamations pour retard dans le cadre de privilèges de construction, dans ce cas, la réclamation s'appuyait sur une preuve d'expert et pourrait ultimement être jugée fondée.7 Il a également précisé que l'inclusion de la réclamation pour retard dans le privilège ne relevait pas d'un abus de procédure8.
La Cour a fait remarquer que la question ne relevait pas de cette instance et que, en l'état des preuves, il n'y avait pas de fondement suffisant pour une réduction ou une levée de la sûreté9.
Deuxième motif: les dispositions de l'article46(2) de la PPCLA
Deuxièmement, pour déterminer si une réduction ou une levée pouvait être justifiée, la Cour a pris en compte les délais procéduraux et les préjudices invoqués par la partie défenderesse, notamment les coûts engendrés par le maintien de la sûreté. L'article46(1) de la PPCLA prévoit que, lorsqu'un certificat d'affaire en instance est enregistré sur un privilège, celui-ci continue d'exister jusqu'à la dernière des dates suivantes: a)la fin des procédures judiciaires; ou b)la radiation du certificat d'affaire en instance.10 Il convient de noter que l'article46(2) prévoit que, malgré les dispositions de l'article46(1), si aucun procès n'a eu lieu dans les deux ans qui suivent l'enregistrement du certificat, toute partie intéressée peut demander à la Cour de l'annuler et de lever le privilège.11 La Cour a estimé que la garantie constituée en vertu de l'article48 relevait de l'article46 de la PPCLA12.
En outre, la Cour a souligné que, bien que les privilèges soient une protection efficace pour des réclamations autrement non garanties, ils engendrent des coûts importants pour la partie défenderesse – qu'il s'agisse de la perte d'usage financier du bien, des sommes consignées au tribunal ou des primes versées pour constituer une caution (dans le cas qui nous occupe, environ 100000$ au moment de l'audience).13 De plus, elle a statué qu'une partie qui fournit une garantie ne peut être tenue de prendre en charge indéfiniment les coûts qui en découlent.14 En contrepartie de la protection offerte par le privilège, cette partie est en droit d'exiger que les recours soient exercés avec diligence15.
Le raisonnement de la Cour dans l'affaire Britannia Block
Tenant compte des circonstances propres à cette affaire, la Cour a jugé qu'il convenait de libérer la garantie du privilège en vertu de l'article46, et a ordonné la poursuite des procédures à titre de réclamation non assortie de garantie16.
De plus, elle a observé que l'affaire avait «largement dépassé le délai de deux ans» et qu'elle était loin d'être prête à être jugée.17 Citant l'affaire 1361556 Alberta Ltd. c. Ristorante Cosa Nostra Inc.,18elle a noté que, même s'il n'est pas obligatoire, le délai de deux ans prévu à l'article46(2) représente un objectif à atteindre, dont le non-respect peut entraîner des conséquences, même si elles sont discrétionnaires.19 Par ailleurs, comme cela a été le cas dans l'affaire Ristorante, il appartient au titulaire du privilège de justifier les délais, a rappelé la Cour, précisant que, sans être lourde, cette obligation ne peut être ignorée.20 Dans sa décision, le juge Farrington ne fait état d'aucune justification fournie par la partie demanderesse concernant le délai, ce qui laisse croire qu'aucune explication n'a été présentée.
Points essentiels à retenir pour les parties à une action fondée sur un privilège de construction
Cette décision rappelle aux parties qui revendiquent un privilège de construction qu'elles doivent faire avancer activement leur recours dans les meilleurs délais. Elle constitue également une mise en garde importante pour les professionnels du droit appelés à intervenir dans ce domaine, qui est souvent source d'erreurs.
Dans les faits, les privilèges sont souvent invoqués dans le cadre de litiges complexes en matière de construction nécessitant la divulgation de documents et des interrogatoires. Or, dans l'affaire en question, il semblerait que ces étapes n'aient pas eu lieu. En fait, la PPCLA ne les prévoit pas expressément dans les procédures relatives aux privilèges. Plus précisément, l'article53(3)(f) de la PPCLA stipule qu'un interrogatoire ne peut avoir lieu sans ordonnance judiciaire. Il n'est toutefois pas rare que les parties procèdent à l'interrogatoire sans avoir obtenu l'ordonnance nécessaire. Il est également fréquent que les privilèges soient enregistrés pendant qu'un arbitrage est en cours, ce qui entraîne le plus souvent la suspension des procédures judiciaires (de manière formelle ou informelle) en faveur de l'arbitrage. Selon l'auteur, toute partie revendiquant un privilège de construction aurait avantage à solliciter de manière proactive ce type d'ordonnance et à veiller à ce que tout délai soit dûment déclaré et justifié auprès du tribunal.
Si vous avez besoin d'aide pour régler un litige relatif à un privilège de construction, que vous fassiez partie des parties demanderesses ou défenderesses, l'équipe Construction et infrastructures de MillerThomson peut vous conseiller de manière stratégique et pratique. Nos professionnels vous accompagneront et veilleront à la protection de vos droits.
Footnotes
1 Ibid., par.17.
2 RSA 2000, c P-26.4 [PPCLA].
3 Britannia Block, par.17.
4 Ibid., par.2.
5 Ibid., par.3.
6 Ibid., par.4.
7 Ibid., par.7.
8 Ibid., par.9.
9 Ibid.
10 PPCLA, art.46(1).
11 Ibid, art.46(2).
12 Britannia Block, par.15.
13 Ibid., par.16.
14 Ibid.
15 Ibid.
16 Ibid., par.22.
17 Ibid., par.18.
18 2021 ABQB157 [Ristorante],
19 Ibid., par.19.
20 Ibid., par.21, citation de l'affaire Ristorante, par.36.
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