ARTICLE
21 May 2025

Revue de la jurisprudence récente en droit de la construction au Québec – Le non-respect d'une procédure contractuelle de réclamation est-il fatal?

MT
McCarthy Tétrault LLP

Contributor

McCarthy Tétrault LLP provides a broad range of legal services, advising on large and complex assignments for Canadian and international interests. The firm has substantial presence in Canada’s major commercial centres and in New York City, US and London, UK.
Une série de décisions récentes rendues par les tribunaux québécois ont apporté de précieux enseignements quant aux conséquences du non-respect, par l'entrepreneur, de la procédure de réclamation prévue au contrat.
Canada Real Estate and Construction

Une série de décisions récentes rendues par les tribunaux québécois ont apporté de précieux enseignements quant aux conséquences du non-respect, par l'entrepreneur, de la procédure de réclamation prévue au contrat.

Bien que le non-respect d'une telle procédure soit en principe fatal à la réclamation de l'entrepreneur lorsque les termes employés sont clairs et contraignants aux yeux du tribunal, certaines décisions récentes ont établi des exceptions à ce principe.

Ainsi, comme nous le verrons plus bas, les tribunaux ont, en certaines circonstances, accordé des dommages-intérêts à l'entrepreneur malgré son non-respect de la procédure contractuelle de réclamation lorsqu'il a été démontré que (1) le donneur d'ouvrage a clairement renoncé à cette procédure, (2) le donneur d'ouvrage a contrevenu à son obligation d'information ou de collaboration envers l'entrepreneur, ou encore, (3) le donneur d'ouvrage a contrevenu à son devoir d'agir de bonne foi.

Le principe : les procédures de réclamation prévues au contrat doivent être suivies et leur non-respect est fatal à la réclamation de l'entrepreneur

Dans David S. Laflamme Construction inc.  c. Procureur général du Canada1, la Cour supérieure du Québec a réitéré le principe selon lequel la procédure de réclamation prévue aux documents d'appel d'offres doit être respectée pour que l'entrepreneur puisse s'en prévaloir.

Ainsi, dans cette affaire, puisque l'entrepreneur n'avait pas respecté cette procédure quant à certains volets de sa réclamation, ceux-ci ont été rejetés par la Cour supérieure :

« [120] Tout d'abord, puisque la cause d'action retenue est uniquement celle relative aux conditions de sol substantiellement différentes et non celle découlant du manquement à l'obligation de renseignement, les chefs de dommages 25, 28, 29, 35 et 45 à 48 sont inadmissibles en application de la décision du 22 janvier 2024 portant sur la recevabilité de ces dommages[74]. En effet, ces réclamations sont soumises aux prescriptions contractuelles en matière de délais de dénonciations qui n'ont pas été suivies et auxquelles, pour ces réclamations précises, TPSGC n'a pas renoncé. »

Comme il appert de cet extrait, la Cour supérieure ouvre néanmoins la porte à ce que le donneur d'ouvrage puisse renoncer à la procédure de réclamation prévue au contrat.

Les exceptions à ce principe :

a) La renonciation à la procédure de réclamation :

Dans une autre décision récente rendue dans l'affaire Rochette Excavation inc.  c. Zurich Compagnie d'assurances2, la Cour supérieure s'est penchée sur la renonciation par le donneur d'ouvrage à la procédure de réclamation prévue au contrat.

Bien qu'elle reconnaisse que le comportement du donneur d'ouvrage puisse constituer une renonciation à la procédure de réclamation prévue au contrat, la Cour supérieure précise que cette renonciation doit être « claire et non équivoque ».

Ainsi, malgré que dans cette affaire, le donneur d'ouvrage n'avait jamais, avant le dépôt de procédures judiciaires, soulevé le non-respect par l'entrepreneur de la procédure de réclamation, la Cour supérieure retient que l'entrepreneur n'a pas fait la preuve d'une telle renonciation :

 « [118]     En l'espèce, Rochette n'a pas démontré que Zurich a renoncé à son droit d'invoquer le délai de déchéance prévu à la clause 10.3 en « établissant que sa conduite […] permettait raisonnablement d'inférer l'abandon de ce droit »[81]. Cette prétention n'est pas étayée par une preuve prépondérante. »

La Cour supérieure ne précise pas en quelles circonstances le donneur d'ouvrage pourra être considéré avoir renoncé à la procédure de réclamation. Nous avons néanmoins recensé les cas de figure suivants en jurisprudence, dans lesquels le tribunal a conclu à une renonciation à la procédure contractuelle lorsque le donneur d'ouvrage :

  • approuve des factures pour des travaux supplémentaires en ne soulevant pas le non-respect de la procédure d'approbation3;
  • accepte de payer une partie du travail supplémentaire malgré le non-respect de la procédure de réclamation4;
  • répond à la réclamation du contractant, par exemple, en proposant un règlement, sans soulever le non-respect de la procédure de réclamation5;
  • n'exige pas de l'entrepreneur qu'il respecte le délai prévu au contrat et traite ses réclamations quant à leur mérite6.

Dans l'affaire David S. Laflamme Construction inc mentionnée plus haut, la Cour supérieure a conclu que la « modification définitive  d'un contrat par la renonciation n'est possible que si l'attitude est réitérée  et qu'elle vise à modifier définitivement le contrat  ».7 Elle a également reconnu qu'après avoir renoncé à son droit de se prévaloir des dispositions contractuelles encadrant le processus de réclamation, le donneur d'ouvrage peut rétablir l'application de ces dispositions après avoir donné un préavis raisonnable au contractant, en particulier dans le cas de contrats de construction échelonnés sur une longue période8.

b) Le manquement à l'obligation d'information

Également dans l'affaire David S. Laflamme Construction inc., la Cour supérieure s'est prononcée sur l'impact du non-respect de la procédure de réclamation lorsqu'il a été établi que le donneur d'ouvrage a contrevenu à son obligation d'information.

La Cour a rappelé que le non-respect de la procédure contractuelle de réclamation ne peut être invoqué par le donneur d'ouvrage à l'encontre de réclamations fondées sur son manquement à son obligation d'information :

« [53] La cause d'action fondée sur la transgression de l'obligation de renseignements peut engager la responsabilité du donneur d'ouvrage malgré une non-conformité aux délais contractuels d'avis. En effet, une telle faute serait susceptible d'avoir vicié la soumission de DSL dès le départ, puisqu'il y a lieu de croire que cette dernière n'aurait pas soumissionné au prix proposé si elle avait été au courant des informations additionnelles de conditions réelles de sol, de l'existence d'une fissure et de l'emplacement précis du roc, toutes connues par TPSGC. (…) »

c) La contravention à l'obligation de bonne foi

Dans une décision récente rendue dans l'affaire PG4 Construction Corp.  c. Énergir9 la Cour supérieure ajoute que le donneur d'ouvrage ne peut invoquer le non-respect par l'entrepreneur de la procédure de réclamation lorsqu'il a contrevenu à son devoir de bonne foi :

« [421] Le manque de bonne foi d'Énergir, qui s'est manifesté par son comportement non coopératif envers PG4 en cours d'exécution du Contrat, doit être sanctionné par une fin de non-recevoir qui l'empêche d'invoquer la procédure de réclamation contractuelle stipulée aux articles 18 et 26.2 des Conditions générales du Contrat comme moyen de défense à la réclamation.

[422] La conduite d'Énergir n'est pas conforme à son obligation d'agir de bonne foi en toutes circonstances[160].  Son comportement n'est pas exclusivement silencieux; Il est trompeur en ce qu'elle a incité PG4 à mettre en place des mesures d'accélération en lui laissant croire que tout allait être réglé plus tard. Ce comportement doit être sanctionné[161].

[423]  La fin de non-recevoir à l'application de la procédure contractuelle de réclamation est le remède approprié vu son défaut de respecter son devoir de cohérence et d'avoir abus de la confiance de PG4. »

Ainsi, dans cette affaire, l'entrepreneur s'est vu octroyer un montant de plus de quinze (15) millions de dollars en dommages-intérêts en lien avec les travaux additionnels visés par sa réclamation, et ce, même s'il avait été démontré qu'il n'avait pas respecté la procédure prévue au contrat et que le donneur d'ouvrage n'y avait pas renoncé.

La décision de la Cour supérieure fait présentement l'objet d'un appel et la Cour d'appel devrait donc à son tour se pencher sur cette exception.

Conseils pratiques

Le non-respect de la procédure de réclamation peut avoir des effets drastiques et priver l'entrepreneur de son droit de réclamer.

Pour l'entrepreneur, il est donc essentiel de documenter toute difficulté rencontrée (par exemple, des conditions de chantier différentes de celles indiquées dans les documents d'appel d'offres) et de s'assurer de respecter le délai de dénonciation prévu au contrat afin de préserver ses droits.

L'entrepreneur devrait également s'assurer de transmettre sa réclamation selon l'interprétation la plus conservatrice du délai prévu au contrat. En effet, dans l'affaire Rochette Excavation abordée plus haut, l'entrepreneur avait transmis sa réclamation dans les 120 jours du certificat de réception provisoire de l'ouvrage. Or, la Cour a conclu que la réception provisoire de l'ouvrage avait, dans les faits, eu lieu plusieurs mois plus tôt, et que sa réclamation ne respectait par conséquent pas le délai prévu au contrat.

Le donneur d'ouvrage devrait quant à lui, dès la réception d'un avis d'intention de réclamer, établir la date où la difficulté a été rencontrée pour déterminer si le délai a été respecté. Si le délai prévu au contrat n'a pas été respecté, il pourrait être judicieux d'en aviser l'entrepreneur par écrit. Le fait de ne pas soulever le non-respect de la procédure de réclamation pourrait en effet être interprété par les tribunaux comme une renonciation à cette procédure comme nous l'avons vu plus haut.

Footnotes

1. 2024 QCCS 4077

2. 2024 QCCS 1408

3. Société de cogénération de St-Félicien, société en commandite/St-Felicien Cogeneration Limited Partnership c. Industries Falmec Inc., 2005 QCCA 441, par. 83-88

4. Construction injection EDM inc. c. Procureure générale du Québec (Ministère des Transports du Québec), 2018 QCCQ 7060, par. 53-58

5. Québec (Procureur général)  c. Armand Sicotte & fils ltée, 1987 CanLII 536 (QC CA), p. 13

6. David S. Laflamme Construction inc. c. Travaux publics et services gouvernementaux Canada, 2024 QCCS 141, par. 92

7. Id., par. 96

8. Id., par. 95

9]. 2024 QCCS 4179, déclaration d'appel déposée le 18 décembre 2024

To view the original article click here

The content of this article is intended to provide a general guide to the subject matter. Specialist advice should be sought about your specific circumstances.

Mondaq uses cookies on this website. By using our website you agree to our use of cookies as set out in our Privacy Policy.

Learn More