Lorsqu'une société étrangère est victime d'une fraude et tombe en faillite, des liens avec la Suisse peuvent exister de plusieurs façons. Si la société étrangère a été victime d'infractions commises par ses organes, il est possible que ces organes aient utilisé des comptes en Suisse en leur nom pour détourner des fonds de la société ou pour blanchir ceux-ci. Il est également envisageable que la société dispose elle-même d'actifs sur des comptes en son nom en Suisse qu'il faudra rapatrier dans la procédure de faillite étrangère.

Dans un contexte international de fraude, de nombreuses procédures pourront donc être nécessaires en Suisse non seulement pour établir les éventuelles responsabilités des personnes morales et physiques, mais surtout pour récupérer autant de fonds que possible, afin de réduire le dommage causé. Il s'agira, par exemple, de procédures civiles et pénales visant les banques suisses et leurs employés lorsqu'ils ont participé à la fraude ou au blanchiment de son produit, ou qu'ils ont du moins contribué à l'aggraver.

En principe, la reconnaissance des décisions de faillite prononcées à l'étranger entraîne la mise en œuvre d'une procédure de faillite ancillaire sur la fortune du failli située en Suisse, appelée « faillite ancillaire ». Toutefois, depuis 2019, il est possible d'obtenir une renonciation à la faillite ancillaire en l'absence de créanciers privilégiés suisses, ce qui confère à l'administration de la faillite étrangère des pouvoirs plus importants en Suisse.

Distinguer précisément les compétences des parties potentiellement impliquées (société étrangère en faillite, administration de la faillite étrangère, administration de la faillite ancillaire) s'avère une question d'autant plus importante que le droit pénal suisse connait une infraction dont le contenu est susceptible de restreindre les démarches entreprises par l'administration de la faillite étrangère en Suisse. Il s'agit de l'article 271 al. 1 du Code pénal suisse (CP) qui incrimine notamment le fait de procéder sur le territoire suisse pour un État étranger à des actes qui relèvent des pouvoirs publics. Des actes des administrations étrangères en Suisse pourraient dès lors être constitutifs de l'infraction à l'article 271 CP si elles devaient user de pouvoirs qui ne lui incombent pas selon le droit suisse. 

I. Action contre un débiteur devant les tribunaux civils

Lorsque la société étrangère en faillite a été victime d'une fraude et qu'elle souhaite agir en Suisse contre un débiteur pour recouvrer des biens qui se trouvent en Suisse, se pose la question de savoir qui de la société faillie, l'administrateur de la faillite étrangère ou encore l'administrateur de la faillite ancillaire suisse peut agir devant les tribunaux civils. Cette question se pose notamment lorsque la société en faillite veut agir contre une banque suisse pour sa responsabilité potentielle dans la fraude dont elle a été victime.

Tout d'abord, il y a lieu de souligner que le principe de territorialité s'applique dans le droit suisse des faillites. Cela a pour conséquence que les décisions de faillite et les mesures applicables en cas d'insolvabilité prononcées à l'étranger n'ont donc en principe aucune conséquence directe sur le territoire suisse.

Déterminer ensuite si l'administration de la faillite étrangère peut saisir des biens en Suisse s'apprécie selon le droit international privé suisse, soit la Loi fédérale sur le droit international privé (LDIP).

Avant la reconnaissance, il ressort des arrêts du Tribunal fédéral que l'administrateur de la faillite étrangère aurait uniquement le droit de requérir la reconnaissance du jugement de faillite étranger ainsi que des mesures conservatoires. La casuistique fédérale a d'ailleurs précisé dans ce contexte que l'administration de la faillite étrangère n'avait de toute évidence pas le droit de procéder à des actes de poursuite en Suisse, d'intenter une action contre un prétendu débiteur du failli ou de produire une créance dans la faillite du débiteur en Suisse. La raison de cette limitation du droit d'ester en justice est que les actes mentionnés contourneraient le système conçu par la LDIP qui vise, entre autres, à privilégier les créanciers domiciliés en Suisse.

Cependant, même lorsque le jugement de faillite étranger est reconnu en Suisse, la LDIP et la jurisprudence du Tribunal fédéral limitent aussi fortement la marge de manœuvre de l'administration de la faillite étrangère en Suisse. Nous pouvons retenir les quatre hypothèses d'action suivantes :

  • Premièrement, l'administration de la faillite étrangère peut agir conformément aux compétences expresses prévues par la LDIP, notamment intenter à certaines conditions l'action révocatoire prévue aux articles 285 ss de la Loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite (LP) (art. 171 LDIP).

  • Deuxièmement, l'administration de la faillite étrangère bénéficie de pouvoirs particuliers d'actions en cas de renonciation à la procédure de faillite ancillaire (art.174a LDIP).

  • Troisièmement, l'administration de la faillite étrangère peut agir lorsqu'elle est au bénéfice d'une cession des droits de la masse en faillite ancillaire selon les modalités prévues à l'article 260 LP. En effet, dès que l'administrateur de la faillite étrangère a demandé la reconnaissance du jugement de faillite étranger et que la faillite ancillaire est ouverte, l'administration de la faillite ancillaire a la possibilité de poursuivre la créance pour la masse de la faillite ancillaire. Si tant l'administration de la faillite ancillaire que les créanciers colloqués renoncent à faire valoir leur droit, l'administrateur de la faillite étrangère peut requérir l'application de l'article 260 LP qui lui donnera alors la possibilité d'introduire l'action.

  • Quatrièmement, l'administration de la faillite étrangère pourrait mener un procès en Suisse lorsque les valeurs patrimoniales visées ne se situent pas sur territoire helvétique. Les hypothèses d'une action en Suisse par une administration de la faillite étrangère en l'absence de valeurs patrimoniales situées sur territoire helvétique semblent rares, mais la jurisprudence fédérale évoque à titre d'exemple une action qui serait fondée sur une élection de for.

Selon le Tribunal fédéral, si l'on accordait à l'administration de la faillite étrangère les mêmes pouvoirs qui compètent à l'administration de la faillite suisse, et en particulier celui d'ouvrir action directement contre le prétendu débiteur suisse du failli, l'admission (éventuelle) de l'action en paiement aurait pour effet de soustraire des actifs aux créanciers admis à l'état de collocation de la faillite ancillaire, ce qui serait clairement contraire au sens et au but du système instauré par la LDIP.

Partant, lorsque des actifs se situent en Suisse et que le jugement étranger de faillite a été reconnu, le recouvrement d'une créance peut avoir lieu par les voies suivantes :

  • par l'administration de la faillite ancillaire, qui remettra le produit net aux liquidateurs étranger une fois l'état de collocation étranger reconnu ;
  • par l'administration de la faillite étrangère en cas de renonciation à la faillite ancillaire selon l'article 174a LDIP ;
  • par l'administration de la faillite étrangère en cas de cession de la créance en sa faveur selon l'article 260 LP et dont le produit lui sera remis une fois l'état de collocation étranger reconnu.

Ainsi, le droit suisse adopte une approche restrictive s'agissant des pouvoirs qu'une société étrangère faillie victime d'une fraude détient pour récupérer des biens situés en Suisse dans la cadre d'une procédure civile. Elle ne peut pas elle-même agir directement en Suisse contre son débiteur, puisque cette compétence incombe en principe à l'administration de la faillite ancillaire. Quant à la masse en faillite étrangère représentée par son administrateur, elle est drastiquement limitée dans ses pouvoirs d'action en empruntant la voie « classique » prévue par la LDIP (soit la reconnaissance du jugement étranger ainsi que l'ouverture subséquente d'une faillite ancillaire), mais dispose tout de même d'options plus innovantes telles que la requête de cession des droits de la masse ou alors la renonciation à la faillite ancillaire suisse lesquelles lui offrent une plus ample marge de manœuvre et de contrôle.

II. Participation de la société étrangère en faillite dans une procédure pénale en Suisse

En sus de l'action civile en Suisse, la société victime de fraude aura un intérêt à participer à d'éventuelles procédures pénales en Suisse ouvertes contre les tiers ayant commis des infractions à son encontre. Une telle participation lui permettra en effet d'accéder aux éléments de preuve récoltés par le Ministère public lesquels pourraient s'avérer essentiels à l'établissement de son dommage.

En droit suisse, la qualité de partie à une procédure pénale donne accès à différents droits, dont notamment le droit d'être entendu prévu à l'article 107 du Code de procédure pénale suisse (CPP) qui comprend le droit de consulter le dossier, de participer à des actes de procédure, de se faire assister par un conseil juridique, de se prononcer au sujet de la cause et de la procédure et de déposer des propositions relatives aux moyens de preuves.

A teneur de l'article 104 al. 1 CPP, la partie plaignante est considérée comme une partie à la procédure pénale et dispose donc de ces droits procéduraux.

La question de savoir si la société étrangère en faillite peut être qualifiée de partie plaignante doit s'examiner au regard de plusieurs dispositions du code procédure pénale suisse.

A teneur de l'article 118 al. 1 CPP, est partie plaignante le lésé qui déclare expressément vouloir participer à la procédure pénale. Dans le cadre de la procédure pénale, le lésé peut soit demander la poursuite et la condamnation de la personne pénalement responsable, soit demander la réparation de son dommage, soit les deux (art. 119 al. 1 CPP).

La notion de lésé est donc essentielle en procédure pénale, puisque cette qualité est indispensable pour se constituer partie plaignante.

L'article 115 al. 1 CPP donne la définition de ce qu'est un lésé en droit suisse : toute personne dont les droits ont été touchés directement par une infraction. Pour être directement touché, celui qui prétend à la qualité de partie plaignante doit rendre vraisemblable le préjudice subi et doit en outre démontrer le rapport de causalité entre son dommage et l'infraction poursuivie. En particulier, lorsqu'une infraction contre le patrimoine est réalisée à l'encontre d'une société anonyme, seule celle-ci subit un dommage et peut donc prétendre à la qualité de lésé. Tel n'est pas le cas de ses actionnaires ou de ses ayants droit économiques.

Partant, lorsque la société tombe en faillite, la qualité de partie plaignante devrait lui échoir dans la mesure où il est démontré qu'elle a été directement lésée.

Sur cette question, nous pouvons nous référer à un arrêt rendu par la Chambre pénale de recours de Genève le 13 janvier 2017 qui traitait de la qualité pour recourir d'une banque lituanienne en faillite dont la qualité de partie plaignante était contestée.

Tout d'abord, il est rappelé par la Cour de Justice que les infractions dénoncées par la société étrangère en faillite – gestion déloyale et blanchiment d'argent – pouvaient être invoquées par celle-ci, puisqu'elle avait été directement lésée par les agissements reprochés.

Dans l'arrêt, l'administration de la faillite de la société lituanienne avait obtenu en Suisse la reconnaissance du jugement de faillite lituanien et l'ouverture d'une faillite ancillaire suisse, administrée par l'Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA). Cette dernière avait cédé, selon l'article 260 LP, à l'administrateur de la faillite étrangère, les droits que la masse de la faillite ancillaire avait renoncé à faire valoir.

Selon la Cour de justice, en dépit de la cession, la société étrangère en faillite conservait la qualité de lésée au sens de l'article 115 CPP et sa qualité de partie plaignante au pénal, selon l'article 118 al. 1 CPP. Elle restait donc une partie à la procédure et conservait son droit de soutenir l'accusation et un droit recourir contre l'ordonnance de classement rendue par le Ministère public.

Le droit suisse adopte donc une approche plus souple en procédure pénale qu'en procédure civile puisqu'il permet directement à la société étrangère en faillite qui est lésée, de se constituer partie plaignante au procès contre le tiers ayant commis des infractions à son encontre et de soutenir sa condamnation.

La société étrangère qui tombe en faillite peut donc agir par elle-même sans qu'il ne soit nécessaire d'obtenir l'accord ou la cession des droits par la masse en faillite ancillaire. Elle acquiert par ce biais des droits procéduraux qui pourraient se révéler avantageux, en particulier lorsqu'il existe des procédures parallèles en Suisse lesquelles nécessitent un apport de preuves.

Il sied de préciser que – même si la société étrangère en faillite a la qualité de partie plaignante au pénal - la capacité d'obtenir une réparation civile pour le dommage causé par l'infraction (que ce soit devant le juge pénal ou par une action civile séparée) devrait rester en mains de l'administration de la faillite ancillaire ou l'administration de la faillite étrangère (cf. supra II).

En conclusion, la faillite d'une société étrangère ayant des liens avec la Suisse est susceptible d'y déclencher de nombreuses procédures de nature administrative, civile ou pénale. Le droit suisse offre ainsi plusieurs voies de droit intéressantes pour obtenir réparation suite à une fraude.

La compétence des parties habilitées à intervenir dans ces différentes procédures et l'étendue de leur pouvoir – notamment la participation de la société étrangère ou des administrateurs de la faillite étrangère – dépendra du type de procédure et des circonstances spécifiques à chaque situation. Une coordination entre les différentes procédures et les nombreux acteurs, ainsi que l'établissement d'une stratégie de recouvrement s'avèrent donc cruciales pour en maximiser les effets.

Une version différente de cet article, en langue anglaise, a été publiée dans FIRE Magazine.

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