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5 March 2025

De nouvelles mesures pour lutter contre les faillites abusives en Suisse

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Schellenberg Wittmer Ltd

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Les pratiques abusives dans les procédures de faillite constituent depuis longtemps une préoccupation majeure...
Switzerland Insolvency/Bankruptcy/Re-Structuring

Principaux enseignements

  1. Le 1er janvier 2025, de nouvelles mesures visant à lutter contre les faillites abusives sont entrées en vigueur, introduisant des modifications de lois importantes, notamment le Code pénal, le Code des obligations, la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite, l'ordonnance sur le registre du commerce et la loi fédérale sur l'impôt fédéral direct.
  2. La réforme porte notamment sur l'application renforcée de l'interdiction d'exercer une activité commerciale, la nullité des ventes de manteaux d'actions, les règles sur l'opting-out, les droits des créanciers de droit public dans les procédures d'exécution forcée et l'amélioration de la coopération entre les autorités fiscales et les autorités des registres du commerce.
  3. Il est important de noter que la nouvelle loi codifie la nullité des ventes de manteaux d'actions, limite la renonciation au contrôle restreint aux seuls exercices futurs et permet désormais aux créanciers de droit public de poursuivre le recouvrement de leur créance par le biais d'une procédure de faillite au lieu d'une saisie.

1 Introduction

Les pratiques abusives dans les procédures de faillite constituent depuis longtemps une préoccupation majeure pour les autorités et les acteurs économiques en Suisse. Des cas récurrents révèlent comment certaines personnes exploitent les failles du système pour se soustraire à leurs obligations financières. Un exemple typique consiste à déclarer la faillite d'une société pour la libérer des dettes existantes et des salaires impayés, puis à créer rapidement une nouvelle entité juridique, souvent en réembauchant les mêmes employés et en achetant à bas prix les actifs de l'entreprise en liquidation. Non seulement cette pratique nuit aux créanciers et fausse la concurrence, mais elle pèse également sur les finances publiques, notamment lorsque l'assurance chômage doit couvrir les salaires impayés.

Pour remédier à ces problèmes, la récente réforme législative, qui est entrée en vigueur le 1er janvier 2025, vise à combler les lacunes juridiques et à renforcer les outils de lutte contre ces abus. Bien que le droit suisse de la poursuite pour dettes et la faillite et le droit pénal prévoient déjà certaines voies de droit, des obstacles pratiques et juridiques ont souvent dissuadé les créanciers et les autorités d'intenter une action en justice. Si la lutte contre les abus est un objectif clé, la réforme a cherché à trouver un juste équilibre avec le principe selon lequel toutes les faillites ne résultent pas d'actes répréhensibles ou ne justifient pas des mesures restrictives.

Cette newsletter présente les principaux changements introduits par la réforme : i. extension du champ d'application de l'interdiction d'exercer des activités commerciales, ii. recherche de personnes physiques, iii. nullité des ventes de manteaux d'actions, iv. abrogation de l'opting-out rétroactif, v. droit des créanciers publics de requérir la continuation de la procédure de recouvrement par le biais d'une procédure de faillite, et vi. renforcement de la collaboration entre les autorités fiscales et les registres du commerce.

2 Les principales modifications apportées par la révision

2.1 Compétences et obligations de l'Office des faillites

L'article 13 de la Constitution fédérale suisse garantit la protection de la vie privée et englobe le droit au respect de la correspondance, des communications postales et des télécommunications.

En droit suisse, la liquidation des entreprises en faillite est généralement gérée par l'Office des faillites, qui fait partie de l'administration de l'État. L'Office des faillites est désormais habilité à demander aux prestataires de services postaux de lui donner accès aux envois postaux adressés au débiteur pendant la durée de la faillite et de les lui remettre. L'Office des faillites peut ouvrir les envois postaux qui lui ont été remis, sauf s'il est évident que leur contenu n'est pas important pour le traitement de la faillite. Le débiteur a le droit d'assister à l'ouverture du courrier.

Les préposés aux faillites sont désormais tenus de dénoncer aux autorités de poursuite pénale tous les crimes et délits à poursuivre d'office, qu'eux-mêmes ou l'un de leurs subordonnés constatent dans l'exercice de leurs fonctions, ou qui leur sont signalés et qui peuvent constituer un cas suspect. Dans les mêmes conditions, toute personne agissant pour le compte de l'Office des faillites est également habilitée à signaler aux autorités de poursuite pénale les infractions qu'elle découvre et qui doivent être poursuivies d'office.

Cette obligation devrait permettre au ministère public d'être en mesure de poursuivre plus efficacement les crimes et délits commis au sein d'entreprises et entraînant leur faillite et, par conséquent, de permettre aux autorités pénales de prononcer des interdictions d'exercer des activités commerciales.

Les préposés aux faillites sont désormais tenus de dénoncer aux autorités de poursuite pénale tous les crimes et délits à poursuivre d'office

2.2 Elargissement du champ d'application de l'interdiction d'exercer des activités commerciales

L'un des principaux changements introduits par la réforme concerne l'élargissement du champ d'application de l'interdiction d'exercer une activité commerciale que le juge pénal peut ordonner en application de l'article 67a alinéa 2 du Code pénal suisse (CP). L'interdiction s'applique désormais explicitement non seulement aux fonctions exercées en tant qu'organe d'une personne morale ou d'une entreprise commerciale, mais aussi aux fonctions nécessitant une inscription au registre du commerce. Cela garantit que les personnes occupant des positions indépendantes importantes, telles que les directeurs, les directeurs de succursale ou les personnes ayant un pouvoir de signature ou agissant par procuration, sont incluses dans le champ d'application de l'interdiction.

Puisque l'interdiction vise toutes les activités indépendantes, elle englobe également les organes de fait qui ne sont pas officiellement inscrits mais qui agissent dans une capacité managériale. En élargissant l'interprétation de l'indépendance, la réforme vise à prévenir les abus potentiels de la part d'individus cherchant à contourner les restrictions

Pour faire respecter ces interdictions de manière efficace, l'Office fédéral du registre du commerce (OFRC) sera chargé de vérifier le respect de ces interdictions et de signaler les infractions suspectées aux autorités pénales. Le Service du casier judiciaire communiquera aussi périodiquement à l'autorité fédérale de haute surveillance du registre du commerce la liste de toutes les interdictions d'exercer pertinentes. L'amélioration de l'application des interdictions d'activité en application de l'article 67 CP offre une plus grande sécurité juridique aux entreprises et à toutes les autres parties prenantes, étant donné que les personnes soumises à ces interdictions seront radiées du registre du commerce.

2.3 Recherche de personnes physiques

La réforme améliore la possibilité de rechercher des personnes inscrites au registre du commerce par l'intermédiaire du site web de l'index central des raisons de commerce (Zefix). Les utilisateurs pourront obtenir des informations sur le rôle des personnes au sein des sociétés, ce qui permettra d'évaluer leur implication dans les sociétés, y compris celles qui font l'objet d'une procédure de faillite.

Une base de données centrale des personnes instaurée dans le cadre d'une révision du Code des obligations (CO) en 2017 sera utilisée pour rattacher les informations publiques sur les personnes physiques à leur rôle au sein des personnes morales. Le numéro d'assurance-vieillesse et survivants (AVS) servira d'identifiant de base pour une correspondance précise entre les registres cantonaux, sans toutefois être affiché publiquement.

Cette fonctionnalité vise à décourager les faillites abusives répétées en permettant une meilleure identification de ce type de schémas. Elle aidera également les autorités, y compris les tribunaux, à obtenir une vue d'ensemble des activités économiques d'une personne afin de faciliter la prise de décisions telles que le prononcé d'interdictions d'exercer une d'activité en vertu de l'article 67 CP

2.4 Nullité des ventes de manteaux d'actions

La réforme codifie une jurisprudence constante (et très ancienne, 1929 et 1938) du Tribunal fédéral concernant la vente de manteaux d'actions. Ce type de vente est défini comme la vente de droits de participation, permettant à l'acquéreur de se défaire d'une société qui n'a pas encore été dissoute légalement, mais qui a été liquidée économiquement. La société peut conserver dans son bilan certains actifs en espèces (liquidités, comptes bancaires) pouvant être utilisés pour fixer la valeur de marché des actions.

Depuis des décennies, le Tribunal fédéral considère que les transactions impliquant de telles sociétés sont nulles. Selon la Haute Cour, ce processus doit être assimilé à une liquidation de la société, suivie d'une nouvelle constitution. Un tel transfert est considéré comme nul (art. 19 CO) en raison de l'illégalité de l'opération, étant donné qu'elle contrevient à certaines dispositions légales ; en effet, le but du transfert est de contourner les dispositions légales obligatoires concernant la liquidation et la création de sociétés, ce qui constitue un abus de droit. Une société dissoute doit être radiée et ne peut plus poursuivre aucun autre objectif ; en particulier, elle ne peut pas entreprendre de nouvelles activités qui ne sont pas liées au processus de dissolution et de liquidation. Malgré cette jurisprudence établie et la nullité du transfert, la pratique de l'achat et de la vente de manteaux d'actions persiste, allant jusqu'à être annoncée en ligne ou dans les journaux. Les acheteurs et les vendeurs s'engagent dans ces transactions pour éviter les coûts de liquidation et d'inscription d'une nouvelle société, en bénéficiant d'économies d'impôts et de temps. En outre, les acquéreurs peuvent exploiter le nom et la réputation préexistants de la société. Il convient de mentionner que la nullité du transfert de participations dans ce type de sociétés n'était jusqu'à présent pas visée par le Code des obligations : lors de l'adoption d'une réforme du Code des obligations en 1928, le législateur a avait décidé de ne pas modifier la loi à cet égard et de s'en remettre aux autorités du Registre du commerce pour lutter contre de tels transferts.

Cette mesure vise à empêcher l'utilisation frauduleuse de sociétés inactives

Par conséquent, pour contrer les montages organisés impliquant ce type de sociétés, la réforme codifie (avec un changement important) la jurisprudence du Tribunal fédéral en déclarant explicitement nul tout transfert d'actions de sociétés qui ne sont plus opérationnelles, qui n'ont pas d'actifs disponibles et qui sont surendettées, comme le précise le nouvel article 684a CO. La même règle s'applique aux sociétés à responsabilité limitée en vertu de l'article 787a CO. Curieusement, l'Assemblée fédérale a ajouté une nouvelle condition à la définition déjà ancienne du transfert de participations dans des sociétés inactives (non prévue par le Conseil fédéral dans le projet de loi transmis à l'Assemblée fédérale), à savoir le surendettement de la société. Le surendettement est défini à l'art. 725b CO comme la situation où le passif est supérieur à l'actif. Cet ajout est difficilement compréhensible car il peut être considéré comme une reconnaissance générale de la validité du transfert de participations dans des sociétés inactives, ce qui n'est certainement pas souhaitable et va à l'encontre de principes bien établis du droit des sociétés.

En vertu de la nouvelle règle, les registres du commerce doivent demander des états financiers actuels et signés s'ils soupçonnent qu'un transfert d'actions ou de parts sociales implique une société inactive. Si la société ne fournit pas les documents demandés ou si les comptes présentés confirment les soupçons, le registre du commerce refusera d'enregistrer le transfert (pour les sociétés à responsabilité limitée) ou tout changement connexe, tel qu'une modification du but, du siège ou du nom de la société.

Cette mesure vise à empêcher l'utilisation frauduleuse de sociétés inactives à des fins personnelles et à garantir que les actions de ces sociétés ne puissent pas être transférées pour contourner les obligations légales ou les créanciers.

En exigeant uniquement une application prospective, la nouvelle règle garantit que les audits portant sur des exercices financiers achevés ne puissent pas être contournés rétroactivement

2.5 Abrogation de l'opting-out rétroactif

Tant dans l'ancienne que dans la nouvelle loi, les sociétés qui n'emploient pas plus de dix personnes à temps plein peuvent se soustraire à un contrôle restreint (opting-out) avec l'accord unanime des actionnaires. Toutefois, en vertu de la nouvelle législation, les déclarations d'opting-out ne produisent leurs effets que pour les exercices futurs, de sorte que les sociétés ne peuvent plus se soustraire rétroactivement au contrôle restreint pour les années antérieures.

Cette modification comble une lacune qui permettait à certaines sociétés de se soustraire rétroactivement au contrôle après que les auditeurs aient détecté des problèmes, tels que le surendettement ou d'autres irrégularités. En exigeant uniquement une application prospective, la nouvelle règle garantit que les audits portant sur des exercices financiers achevés ne puissent pas être contournés rétroactivement.

En vertu de l'article 727a al. 2 CO modifié, l'opting-out n'est valable que s'il est notifié au registre du commerce avant le début de l'exercice. En outre, l'article 727a al. 2bis CO prévoit que les derniers comptes annuels de la société doivent être joints à la déclaration de renonciation.

Par exemple, si une société décide de renoncer au contrôle restreint au cours de l'exercice 2025, cette renonciation ne déploiera ses effets qu'à partir de l'exercice 2026. Les comptes de l'exercice 2025 et des exercices antérieurs doivent toujours faire l'objet d'un contrôle restreint. Cette modification accroît la transparence et empêche tout abus du mécanisme d'opting-out.

2.6 Droit des créanciers de droit public de requérir la continuation de la procédure de recouvrement de dettes monétaires par la voie de la faillite

Les procédures de recouvrement intentées à l'encontre d'une société inscrite au registre du commerce sont censées conduire à l'ouverture d'une procédure de faillite si le débiteur ne rembourse pas sa dette. Jusqu'à récemment, certains créanciers faisant valoir leurs créances (impôts, taxes, amendes dues à des créanciers de droit public et primes d'assurance accident obligatoire) à l'encontre d'un débiteur inscrit au registre du commerce n'étaient toutefois pas autorisés à demander la faillite du débiteur : ce régime avait été conçu afin de maximiser le remboursement de ces créanciers. Par conséquent, certains débiteurs remboursaient délibérément d'autres créanciers pour éviter la faillite, laissant les créanciers de droit public avec des saisies infructueuses.

Dans l'ensemble, cette modification devrait augmenter le nombre de faillites

La réforme introduit un changement important dans l'article 43 de la Loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite (LP) en permettant aux créanciers de droit public de demander l'ouverture d'une procédure de faillite. La réforme empêchera les sociétés insolvables d'accumuler de nouvelles dettes et de nuire à de nouveaux créanciers.

Dans l'ensemble, cette modification devrait augmenter le nombre de faillites ouvertes à l'encontre de sociétés surendettées ou insolvables, ce qui aura pour effet de renforcer la protection des créanciers.

2.7 Renforcement de la collaboration entre les autorités fiscales et les registres du commerce

La réforme introduit également une mesure importante visant à améliorer la collaboration entre les autorités fiscales cantonales et les registres du commerce. Selon le nouvel article 112 al. 4 de la Loi sur l'impôt fédéral direct (LIFD), si une personne morale ne remet pas ses comptes annuels conformément à l'article 125 al. 2a LIFD, l'administration fiscale doit en informer l'office du registre du commerce dans les trois mois suivant l'expiration du délai imparti à cet effet.

Cette disposition permet de s'assurer que les sociétés ne peuvent pas poursuivre leurs activités pendant de longues périodes sans tenir des états financiers adéquats, ce qui réduit la probabilité que des difficultés financières potentielles soient dissimulées. Si une société ne soumet pas ses comptes annuels à l'administration fiscale, elle est soupçonnée de ne pas avoir correctement tenu sa comptabilité. Cela conduit à se demander si la société remplit toujours les conditions requises pour ne pas faire l'objet d'un contrôle restreint (opting-out).

Dans les cas où une société a précédemment renoncé à un contrôle restreint, le registre du commerce doit exiger que la société renouvelle sa déclaration de renonciation au contrôle restreint ou nomme un réviseur si l'administration fiscale le lui notifie en vertu de l'article 112 al. 4 LIFD. Toutefois, si la société fait déjà l'objet d'un contrôle, une telle demande ne sera pas nécessaire.

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