- ProcÉdure pÉnale
TF 6B_170/2024* Étendue des droits de la partie plaignante en procédure simplifiée [p. 3] |
TF 7B_1173/2024 Motif de récusation pour cause de relation amoureuse entre un procureur et une juge agissant dans la même cause [p. 6] |
TF 7B_438/2024 Violation du principe de célérité [p. 7] |
TF 7B_294/2023 Défaut de compétence pour ordonner la levée des scellés [p. 8] |
TF 6B_840/2024 Notification d'une citation à comparaître à un détenu dans un établissement pénitentiaire [p. 10] |
TF 6B_696/2023* Qualité pour recourir au Tribunal fédéral du Ministère public [p. 11] |
- Droit pÉnal Économique
Escroquerie, abus de confiance, gestion déloyale, diminution effective de l'actif au préjudice des créances et créance compensatrice dans le cadre d'un projet immobilier [p. 13] |
- Droit international privÉ
- |
- Droit de la poursuite et de la faillite
TF 5A_446/2024* Admissibilité de la réalisation d'un gage immobilier engagée contre une succession non partagée [p. 15] |
TF 4A_436/2024* Inclusion d'une créance hypothécaire dans une poursuite sans mention exacte et mainlevée définitive refusée pour une créance hypothécaire garantissant une créance de droit public [p. 18] |
TF 4A_637/2023* Violation du principe de l'identité entre l'entrepreneur général – signataire de l'acte authentique - et la tierce propriétaire du gage [p. 21] |
- entraide internationale
Quelques propos introductifs
La présente Newsletter de Monfrini Bitton Klein vise à offrir, de manière hebdomadaire, un tour d'horizon de la jurisprudence rendue par le Tribunal fédéral dans les principaux domaines d'activité de l'Etude, soit le droit pénal économique et le recouvrement d'actifs (asset recovery).
Sans prétendre à l'exhaustivité, seront reproduits ci-après les considérants consacrant le raisonnement juridique principal développé par notre Haute juridiction sur les thématiques suivantes: droit de procédure pénale, droit pénal économique, droit international privé, droit de la poursuite et de la faillite, ainsi que le droit de l'entraide internationale.
- PROCÉDURE PÉNALE
TF 6B_170/20241 du 15 novembre 2024 | Étendue des droits de la partie plaignante en procédure simplifiée (art. 360 CPP)
- Le 8 février 2014, A., B., («Recourants») et D. ont porté plainte pénale pour lésions corporelles simples, à la suite d'une altercation devant une discothèque de U. Le 19 février 2014, E. a également porté plainte pour des faits survenus la même nuit.
- Le 14 février 2014, le Ministère public valaisan («Ministère public») a ouvert une instruction pour lésions corporelles simples (Art. 123 CP) et agression (art. 134 CP) contre G., C. et inconnu.
- Le 9 avril 2014, l'instruction contre C. a été étendue à une infraction à la loi fédérale sur les armes («LArm») («Cause 1»).
- Le 8 mai 2014, le Ministère public a ouvert, notamment contre C., une instruction à la suite d'une bagarre survenue ce jour-là entre 3h10 et 3h45 devant une discothèque de V.
- Le 16 octobre 2014, F. a porté plainte contre C., notamment pour lésions corporelles («Cause 2»).
- Le 8 mai 2015, le Ministère public a prononcé une ordonnance de non-entrée en matière, une ordonnance de classement concernant la Cause 2 et une ordonnance pénale.
- Le 30 novembre 2016, le Ministère public a disjoint la procédure pénale ouverte contre C. dans la Cause 2 pour la joindre à celle ouverte à son encontre dans la Cause 1.
- Le 11 septembre 2020, C. a sollicité la mise en Suvre d'une procédure simplifiée.
- Le 1er décembre 2020, le Ministère public a prolongé le délai imparti à A. pour se prononcer sur la disjonction envisagée. Ce dernier n'a pas donné suite.
- Le 23 décembre 2020 dans la Cause 1, le Ministère public a disjoint la procédure contre C. de celle dirigée contre G. et H., indiquant qu'elle se poursuivrait en procédure simplifiée sous réserve de l'acceptation des parties à l'acte d'accusation.
- Le 6 janvier 2021, le Ministère public a rendu une décision d'ouverture de la procédure simplifiée («Cause 3»), impartissant un délai de dix jours aux parties pour présenter leurs prétentions civiles et indiquer les indemnités procédurales réclamées.
- Par lettre du 8 février 2021, le Ministère public a demandé aux parties plaignantes si dans la perspective d'une procédure simplifiée, elles acceptaient ou rejetaient l'acte d'accusation (art. 360 al. 2 CPP), document prévoyant notamment la condamnation de C. à 22 mois de peine privative de liberté avec sursis et renvoi des prétentions civiles au for civil.
- Le 9 février 2021, l'avocat de A. a indiqué au Ministère public que sa mandante rejetait l'acte d'accusation, en ce qu'elle considérait comme «indispensable que M. C. affronte la justice dans un procès mené en procédure ordinaire [et que cette dernière] soit à nouveau jointe à celle dirigée contre M. G.».
- Le 16 février 2021, B. s'est également opposé à la procédure simplifiée pour des raisons similaires à A.
- Le 24 février 2021, le Ministère public a répondu à B. et A. que leurs oppositions étaient inopérantes.
- Par acte d'accusation en procédure simplifiée du 6 octobre 2021, le Ministère public a transmis le dossier pour jugement au Tribunal du district de Sierre («Tribunal de district»).
- Par jugement du 31 janvier 2022, le juge du district a reconnu C. coupable d'agression, de lésions corporelles simples, de menaces, de violation de la LArm, de rixe et de lésions corporelles simples avec objet dangereux.
- Le 18 février 2022, les Recourants ont formé appel à la Cour pénale du Tribunal cantonal du Valais («Tribunal cantonal»).
- Par arrêt du 25 janvier 2024, le Tribunal cantonal a rejeté l'appel des parties.
- Les Recourants ont déposé un recours en matière pénale au Tribunal fédéral.
- Notre Haute Cour a commencé par examiner la recevabilité du recours en question (consid. 1).
- Le Tribunal fédéral a rappelé que, même en l'absence de légitimation au sens de l'art. 81 al. 1 LTF, la partie recourante peut invoquer une violation de ses droits de partie, équivalant à un déni de justice formel, à condition que ces griefs soient séparables du fond (« Star Praxis ») (consid. 1.3).
- Les Recourants ont soutenu que leur droit procédural de s'opposer à l'acte d'accusation en procédure simplifiée (art. 360 al. 2 et 3 CPP) avait été violé. Le Tribunal fédéral a estimé que ce grief était recevable, car il portait sur les droits de la partie plaignante en procédure simplifiée. De ce fait, le Tribunal fédéral a retenu que la qualité pour recourir était donnée (consid. 1.3).
- Devant notre Haute Cour, les Recourants ont invoqué l'établissement manifestement inexact des faits ainsi qu'une appréciation arbitraire de leurs oppositions, car le Tribunal cantonal aurait l'art. 360 al. 2, 3 et 5 CPP (consid. 2.3).
- Selon l'art. 360 CPP, la partie plaignante dispose d'un droit de s'opposer à l'acte d'accusation. En revanche, l'étendue de ce droit n'est pas délimitée; il n'apparait ainsi pas clairement quels aspects de l'acte d'accusation, elle peut contester (consid. 2.5).
- Par ailleurs, à ce jour, le Tribunal fédéral n'a pas tranché la question de l'étendue du droit de la partie plaignante de s'opposer à l'acte d'accusation en procédure simplifiée au sens de l'art. 360 al. 2 et 3 CPP. Ainsi, il existe un conflit doctrinal sur le point de savoir si la partie plaignante peut s'opposer à l'acte d'accusation sans indiquer les motifs et sur n'importe quel élément de celui-ci (consid. 2.6.1 ss).
- Le courant doctrinal le plus restrictif limitent l'opposition aux prétentions civiles, tandis que la doctrine majoritaire, ainsi que le Tribunal pénal fédéral, considèrent que l'opposition de la plaignante peut porter sur les aspects de l'acte d'accusation qui touchent à ses droits et à propos desquels elle disposerait, en procédure ordinaire, d'un intérêt juridique au recours. Cependant, elle ne peut en aucun cas contester la sanction, ou les infractions commises aux dépens d'autres parties plaignantes. Dans un tel cas, l'opposition est inopérante et irrecevable (consid. 2.6.2).
- L'interprétation téléologique de l'art. 360 CPPcommande d'examiner l'esprit et l'intérêt protégé de cette disposition: soit préciser les contenus de la transaction judiciaire passée entre le prévenu et le ministère public, mais également, donner à la partie plaignante un droit d'opposition, à s'assurer que ses droits soient respectés (consid. 2.6.4).
- Sur ce plan, il convient de noter que la procédure simplifiée est une procédure qui permet d'abréger la procédure pénale ordinaire afin d'assurer l'économie de procédure et le principe de la célérité. De ce fait, accorder un droit de veto absolu à la partie plaignante irait donc à l'encontre de cet objectif. Si, par ailleurs, la thèse de l'opposition libre et sans motif devait être retenue, elle donnerait un pouvoir immense à chaque partie plaignante, rendant l'aboutissement d'une procédure simplifiée pratiquement illusoire (consid. 2.6.4).
- Dès lors, il faut donc retenir que l'opposition du plaignant ne peut porter que sur les aspects de l'acte d'accusation qui touchent à ses droits, plus particulièrement en lien avec les prétentions civiles ou les infractions sous-tendant, dites prétentions. Une telle interprétation assure un juste équilibre entre la sauvegarde des intérêts de la partie plaignante et le but d'économie de procédure (consid. 2.6.4).
- L'interprétation systématique ne conduit pas à un autre résultat (consid. 2.6.5).
- Au vu de ce qui précède, notre Haute Cour a retenu, sous l'angle de l'art. 360 al. 2, 3 et 5 CPP, que l'opposition de la partie plaignante contre l'acte d'accusation dressé en procédure simplifiée est possible uniquement pour les aspects de l'acte d'accusation qui touchent ses droits, soit en particulier les prétentions civiles ou les infractions retenues, mais en aucun cas sur la question de la peine, de la mesure prononcée ou les infractions commises aux dépens d'autres plaignants (consid. 2.6.6).
- In casu, les Recourants avaient indiqué rejeter l'acte d'accusation au motif qu'ils estimaient indispensable que C. affronte la justice dans un procès mené en procédure ordinaire et que sa cause soit à nouveau jointe à celle dirigée contre G. (consid. 2.7.1 cum7.2).
- Sur la base de ces faits, notre Haute Cour a donc retenu qu'aucun des deux Recourants n'avaient contesté des aspects de l'acte d'accusation susceptibles d'avoir une incidence sur leurs droits, ou prétentions civiles, telles que la qualification des infractions à titre d'exemple (consid. 2.7.4).
- Partant, le recours a été rejeté.
TF 7B_1173/2024 du 19 décembre 2024 | Motif de récusation pour cause de relation amoureuse entre un procureur et une juge agissant dans la même cause (art. 56 CPP; art. 29 et 30 Cst.)
- Depuis 2021, une instruction pénale est dirigée contre A. («Recourant»), pour plusieurs infractions. Depuis 2022, l'instruction est menée par C., procureure au Ministère public de l'État de Fribourg («Ministère public»).
- («Juge intimée»), juge au Tribunal des mesures de contrainte de l'Etat de Fribourg («TMC»), a ordonné la détention provisoire du Recourant le 10 septembre 2022, avant de remplacer cette mesure par diverses mesures de substitution le 27 septembre 2022. Alors que le Recourant a été interpellé en violation des mesures de substitution le 15 août 2024, le procureur de permanence, D., a notamment requis la révocation des mesures de substitution et la mise en détention provisoire pour une durée de trois mois.
- Le 16 août 2024, le TMC, cette fois-ci agissant par la juge E., a donné partiellement suite à la demande du procureur D. en révoquant les mesures de substitution et plaçant le Recourant en détention provisoire pour une durée de 10 jours.
- Le 2 septembre 2024, à la demande de la procureure C., la Juge intimée a prolongé la détention provisoire du Recourant jusqu'au 25 novembre 2024.
- Le 1er octobre 2024 la Chambre pénale du Tribunal cantonal de l'État de Fribourg («Chambre pénale») a rejeté le recours du Recourant qui invoquait notamment la violation du principe de célérité et la nullité de la décision en raison de la violation du devoir de récusation de la Juge intimée.
- Le 4 novembre 2024, le Recourant a interjeté recours au Tribunal fédéral.
- Devant notre Haute Cour, le Recourant a notamment fait valoir une violation desart. 56 CPP, 29 et 30 Cst. Selon lui, les circonstances fonderaient une apparence de partialité de la Juge intimée, dès lors qu'elle serait en couple avec le procureur D. (consid. 5.1).
- Le Tribunal fédéral a rappelé que la garantie d'un tribunal indépendant et impartial instituée par les art.30 al. 1 Cst. et 6 par. 1 CEDH permet de demander la récusation d'un juge dont la situation ou le comportement est de nature à susciter des doutes quant à son impartialité. Seules les circonstances objectivement constatées sont prises en compte, les impressions personnelles des parties étant insuffisantes (consid. 5.2).
- En outre, les motifs de récusations sont concrétisés à l'art. 56 CPP. Selon la jurisprudence, un juge ne peut pas statuer sur des décisions d'une autorité lorsque son conjoint, en tant que chef ou suppléant, a donné des instructions pour l'élaboration de celles-ci (consid. 5.2).
- In casu, le Tribunal fédéral a constaté que le procureur D. et la Juge intimée formaient bel et bien un couple depuis de nombreuses années. Tous deux ont agi dans la même procédure : le procureur D. a demandé la révocation des mesures de substitution mises en place par la Juge intimée pour une durée de trois mois, laquelle a été accordée partiellement à hauteur de dix jours. Puis, cinq jours plus tard, la Juge intimée avait fait suite à la demande de prolongation de la détention préventive de trois mois formulée par la procureure C., laquelle s'était en partie fondée sur la demande de mise en détention du procureur D. Ces interventions croisées dans une affaire de privation de liberté, combinées à leur relation personnelle et à la proximité temporelle des ordonnances rendues par la juge E. et la Juge intimée et l'appréciation différente de ces deux magistrates au sujet de la durée de la détention du recours, sont de nature à faire naître des doutes légitimes sur l'impartialité de la Juge intimée (consid. 5.3 s.).
- De ce fait, le Tribunal fédéral a retenu que ces circonstances justifiaient de reconnaître à tout le moins objectivement l'apparence de prévention. (consid. 5.2 ss).
- Partant, le recours a été admis.
TF 7B_438/2024 du 4 décembre 2024 | Violation du principe de célérité (art. 5 al. 1 CPP, 29 al. 1 Cst. et 6 par. 1 CEDH)
- Le 17 octobre 2022, A. («Recourant»)a été arrêté pour des faits de brigandage (art. 140 CP) et a exécuté sa peine de manière anticipée, en attendant son renvoi en jugement. Il a été entendu le même jour par la police, puis les 18 octobre et 7 décembre 2022, par le Ministère public de la République et canton de Genève («Ministère public»). Il a reconnu les faits reprochés, expliquant les avoir commis pour financer sa consommation de drogue.
- Entre le 18 octobre et le 28 février 2023, le Recourant a demandé à plusieurs reprises, au Ministère public, une première expertise psychiatrique pour démontrer son état d'irresponsabilité au moment des faits. Ce n'est que lorsque la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève («Chambre pénale») a été saisie d'un recours pour déni de justice, le 29 juin 2023, que le Ministère public a, dans le cadre de ses déterminations, rendu une ordonnance refusant l'expertise, rendant le recours sans objet.
- Le 28 août 2023, le Recourant, invoquant de nouveaux éléments, a sollicité du Ministère public une seconde fois la mise en Suvre d'une expertise. Ce dernier n'a pas donné suite.
- Le 5 novembre 2023, le Recourant a formé un recours devant la Chambre pénale, pour déni de justice et violation du principe de célérité, en invoquant l'absence de décision du Ministère public sur la seconde demande d'expertise du 28 août 2023 et soulignant le délai supérieur à six mois séparant la première demande et l'ordonnance du Ministère public. Dans ses déterminations du 24 novembre 2023, le Ministère public a relevé qu'il aurait «pu confirmer son ordonnance du 3 mai 2023, ce qu'il regrett[ait de] n'avoir pas fait».
- Le 8 mars 2024 [sic], la Chambre pénale a rejeté le recours du Recourant, estimant en substance que les intervalles entre les demandes d'expertises et les réponses du Ministère public, bien que peu compréhensibles, n'étaient pas d'une durée véritablement choquante et la durée globale de l'enquête ne dépassait pas (encore) les limites admissibles.
- Le 12 avril 2024, le Recourant a interjeté recours au Tribunal fédéral, concluant notamment à ce que soient constatés le déni de justice du Ministère public et la violation du principe de célérité, et que soit ordonné au Ministère public de mettre en Suvre une expertise judiciaire sans délai.
- Le Tribunal fédéral a jugé irrecevable la conclusion visant à obtenir une expertise, la Chambre de recours étant uniquement fondée à examiner si le Ministère public avait répondu, respectivement avait tardé à répondre (consid. 1), et a rejeté le grief portant sur le déni de justice, en raison de l'absence d'intérêt juridiquement protégé du Recourant (consid. 2.).
- S'agissant du grief de la violation du principe de célérité, le Tribunal fédéral a d'abord rappelé que les 5 al. 1 CPP, 29 al. 1 Cst. et 6 par. 1 CEDH garantissent à toute personne le droit à ce que sa cause soit traitée dans un délai raisonnable et consacrent le principe de célérité (consid. 3.2).
- Selon la jurisprudence, ce principe est violé lorsque l'autorité ne rend pas une décision qui lui incombe de prendre dans le délai que la nature de l'affaire et les circonstances font apparaître comme raisonnable, eu égards à la complexité de l'affaire, à l'enjeu du litige pour l'intéressé, à son comportement ainsi qu'à celui des autorités compétentes. Il appartient en outre au justiciable d'entreprendre ce qui est de son pouvoir pour que l'autorité fasse diligence (consid. 3.2.1).
- Il y a notamment un retard injustifié si l'autorité reste inactive pendant plusieurs mois, alors que la procédure aurait pu être menée à son terme dans un délai beaucoup plus court. Apparaissent comme des carences choquantes une inactivité de treize ou quatorze mois au stade de l'instruction ou encore un délai de dix ou onze mois pour que le dossier soit transmis à l'autorité de recours (consid. 3.2.2).
- In casu, notre Haute Cour a relevé que les actes d'enquête avaient consisté en l'audition du Recourant par le Ministère public les 18 octobre 2022, 17 décembre 2022, et 5 décembre 2023. En outre, à l'exception de l'audition du 5 juillet 2023, il n'y a eu aucun échange d'écriture ou acte d'instruction dans l'intervalle. De plus l'acte d'accusation, annoncé le 3 mai 2023, n'avait pas été dressé, et aucun élément ne justifiait une telle lenteur, d'autant que le Recourant était en détention (consid. 3.4.1).
- Le Tribunal fédéral a considéré que l'intervalle de près d'une année qui séparait les auditions du Recourant et l'absence de l'acte d'accusation, ne s'expliquait pas par la complexité de l'affaire.Au contraire, le Tribunal fédéral a constaté l'absence réelle de complexité de la cause, relevant que la procédure concernait deux coprévenus impliqués dans un unique brigandage, le Recourant avait de plus reconnu les faits dès les premières auditions. Par ailleurs, une célérité particulière était attendue du fait que le Recourant se trouvait en détention depuis le 17 octobre 2022 et l'était toujours au moment de la reddition de l'arrêt querellé (consid. 3.4.2).
- Les demandes d'expertise psychiatrique, considérées non justifiées par le Ministère public, n'avaient pas été traitées dans des délais appropriés, celui-ci ne s'était prononcé qu'après les deux recours pour déni de justice formés par le Recourant (consid. 3.4.2).
- En définitive, le Tribunal fédéral a conclu que, compte tenu de l'absence de complexité, du nombre limité d'actes d'instruction, des recours pour déni de justice et de la détention du Recourant, le principe de célérité était violé. Peu importe que les intervalles entre les auditions du Recourant étaient inférieurs à la durée d'inactivité sanctionnée par la jurisprudence (consid. 3.4.2).
- Partant, le recours a été partiellement admis et une violation du principe de célérité a été constatée.
TF 7B_294/2023 du 3 décembre 2024 | Défaut de compétence pour ordonner la levée des scellés (art. 248 aCPP)
- Le 13 mai 2019, le Staatsanwaltschaft de Zurich-Limmat («Ministère public») a déposé une demande de levée des scellés dans le cadre de la procédure pénale engagée contre A. («Recourant») pour infraction qualifiée à la LCR.
- Le 16 août 2019, le Bezirksgericht Zürich («Tribunal de district de Zurich»), en tant que tribunal des mesures de contrainte, a classé la demande de levée des scellés comme étant sans objet pour les pièces du véhicule et, a libéré celles-ci pour qu'elles soient utilisées par le Ministère public. Il a accepté la levée des scellés pour d'autres objets, notamment une voiture et deux appareils Race-logic pour utilisation dans l'enquête pénale en cours, après l'entrée en force de la décision. Le Tribunal de district de Zurich a également ordonné un tri des données figurant notamment sur iPhone X et un ordinateur, afin de respecter le secret professionnel de l'avocat.
- Le 3 octobre 2019, le Recourant a été invité à fournir le code de déverrouillage de son iPhone X, ce qu'il n'a pas fait.
- L'audience de tri a été fixée au 16 décembre 2019, puis reportée au 18 décembre 2019. Il a été constaté qu'un tri des données de l'iPhone X était techniquement impossible.
- Le 5 mai 2022, le Bezirksgericht Uster (« Tribunal de district ») a condamné le Recourant sur la base de l'acte d'accusation et a exigé la remise des objets saisis.
- Par ordonnance du 29 mars 2023, le Tribunal de district de Zurich informé le Ministère public qu'il mettait fin à la procédure de levée des scellés car devenue sans objet, en raison de l'impossibilité technique de consulter les données de l'iPhone X. Il l'a également ordonné la restitution au Recourant des différentes pièces à conviction séquestrées.
- Par décision du 25 avril 2023, le Tribunal de district de Zurich a rejeté la procédure de levée des scellés comme étant sans objet et a remis les pièces au Recourant, après l'entrée en force de la décision.
- Le Recourant a interjeté un recours auprès du Tribunal fédéral.
- Aux termes de l'art. 248 CPP (dans sa version applicable au 31 décembre 2023), si l'autorité pénale ne demande pas la levée des scellés dans les 20 jours, les documents et les autres objets mis sous scellés sont restitués à l'ayant droit (art. 248 al. 2 aCPP,). Si l'autorité pénale demande la levée des scellés, les tribunaux suivants statuent définitivement sur la demande dans le mois qui suit son dépôt: le tribunal des mesures de contrainte, dans le cadre de la procédure préliminaire (art. 248 al. 3 let. a aCPP) ; le tribunal saisi de la cause, dans les autres cas (art. 248 al. 3 let. b aCPP) (consid. 2.2.1).
- Le Tribunal fédéral a rappelé qu'une décision erronée est nulle lorsque le vice qui lui est imputable est particulièrement grave et manifeste ou du moins facilement reconnaissable et que la sécurité juridique n'est pas sérieusement menacée par l'acceptation de la nullité. Les motifs de nullité sont avant tout l'incompétence fonctionnelle et matérielle de l'autorité qui a pris la décision ainsi que des vices de procédure flagrants. (consid. 2.2.2).
- In casu, après que la transmission de l'acte d'accusation au tribunal de première instance, la compétence pour statuer sur la levée des scellés avait été transférée au Tribunal de district (art. 328 al. 1 CPP et art. 248 al. 3 let. b aCPP). Le Tribunal de district de Zurich, agissant comme tribunal des mesures de contrainte, n'était pas compétent au moment où il a pris sa décision du 25 avril 2023. Le fait que la levée des scellés n'ait pas pu être effectué jusqu'à cette date, en raison de difficultés techniques liées à l'iPhone X ne change rien. Ce défaut de compétence était particulièrement grave et aisément reconnaissable (consid. 2.3).
- La décision du Tribunal de district de Zurich est donc nulle et non avenue (consid. 2.3).
- Partant, le recours a été admis.
TF 6B_840/2024 du 2 décembre 2024 | Notification d'une citation à comparaître à un détenu dans un établissement pénitentiaire (art. 85 ss CPP)
- Condamné en 2012 pour plusieurs infractions, le Recourant a demandé un nouveau jugement le 1er juillet 2024. Le 8 juillet 2024, le Président du Tribunal du IIIe arrondissement pour le district de Monthey («Président du Tribunal d'arrondissement») a rejeté la demande, la qualifiant de tardive et insuffisamment motivée, faute d'explications quant à l'absence du Recourant lors des débats en 2012.
- Le 23 juillet 2024, le Tribunal cantonal valaisan («Tribunal cantonal») a déclaré irrecevable le recours interjeté par le Recourant contre l'ordonnance du 8 juillet 2024, faute pour le Recourant d'avoir expliqué les raisons de son absence aux débats en 2012, et d'avoir contesté le défaut de motivation de sa demande sur ce point.
- Le 9 août 2024, le Tribunal fédéral a admis le recours, annulé la décision du 23 juillet 2024 et renvoyé la cause au Tribunal cantonal, exigeant qu'il examine la validité de la citation à comparaître avant toute discussion sur la justification de l'absence aux débats. Le 16 septembre 2024, statuant ensuite de ce renvoi, le Tribunal cantonal a une nouvelle fois rejeté le recours dans la mesure de sa recevabilité.
- Le 17 octobre 2024, le Recourant a interjeté un second
recours au Tribunal fédéral, en ce sens que sa
demande de nouveau jugement soit,
notamment, admise.
- Le Recourant a reproché au Tribunal cantonal d'avoir retenu de manière arbitraire qu'il avait personnellement refusé la notification de la citation à comparaître, alors qu'il était détenu au moment de cette dernière. Il a relevé à ce sujet que l'enveloppe figurant au dossier n'indiquait pas qui a refusé l'envoi. De plus, l'établissement de détention avait indiqué au Tribunal cantonal qu'il n'était plus possible de comprendre pourquoi l'envoi avait été retourné au tribunal de première instance. Les circonstances de ce renvoi demeuraient ainsi inconnues et il était arbitraire de conclure que le Recourant avait lui-même refusé la notification (consid. 7).
- Aux termes de l'art. 85 al. 4 CPP, lorsqu'un envoi expédié par lettre signature n'a pas été retiré dans les sept jours à compter de la tentative infructueuse de remise du pli, il est réputé notifié, si la personne concernée devait s'attendre à une telle remise. Pour ces envois, il existe une présomption réfragable que l'employé de La Poste a dûment déposé l'avis dans la boîte aux lettres ou la case postale du destinataire et que la date de distribution a été correctement enregistrée (consid. 7.1).
- Notre Haute Cour a rappelé que les agents pénitentiaires ne peuvent pas être considérés comme des employés du détenu destinataire d'un envoi ou comme une personne vivant dans le ménage commun au sens de l'art. 85 al. 3 CPP. De plus, le seul fait qu'il soit établi que le pli soit parvenu en main de l'agent pénitentiaire ne permet pas de conclure qu'il a atteint la sphère de puissance du prévenu et moins encore que l'intéressé en a eu une connaissance effective. Le Tribunal fédéral a ajouté que le refus de recevoir la notification, qui entraîne la fiction de celle-ci, ne doit pas être admise trop aisément; cela suppose un refus exprimé par le destinataire même de la notification (consid. 7.4).
- In casu, notre Haute Cour a considéré que cette présomption ne trouvait pas application, car en l'absence de tout indice contraire, il n'y avait pas lieu de retenir que l'employé postal n'avait pas effectué sa tâche conformément à ses obligations. De plus, l'employé postal n'avait pas eu de contact direct avec le détenu, n'ayant accès aux services postaux que par l'intermédiaire des services pénitentiaires.
- Toutefois, notre Haute Cour a précisé que cette présomption de fait (réfragable) ne permettait pas non plus de conclure que le Recourant avait reçu personnellement la notification et moins encore qu'il aurait instruit l'agent pénitentiaire de communiquer son refus de recevoir le pli à l'employé postal (consid. 7.2 ss).
- Le Tribunal fédéral a donc jugé qu'il ne pouvait pas y avoir de notification d'un mandat de comparution à une audience de jugement par simple remise au directeur d'un établissement de détention ou à un employé habilité (consid. 7.4).
- Par ailleurs, les juges de Mon-Repos ont indiqué que le mandat de comparution du 8 mai 2012 avait été adressé personnellement au Recourant sous le seul nom de «A.» ( art. 87 al. 4 CPP), alors qu'il était détenu sous le nom de «B.». Ainsi, ils ont considéré que même si l'agent de détention ayant réceptionné ce pli avait fait son travail conformément à ses devoirs, rien ne permettait de conclure qu'il connaissait ou devait personnellement connaître d'autres identités du Recourant ou que ce dernier l'aurait instruit personnellement de refuser l'envoi (consid. 7.5).
- Le Tribunal fédéral a rappelé que les circonstances concrètes dans lesquelles le pli a été retourné au Tribunal cantonal étaient inconnues. Le timbre «Zurück unbekannt verzogen» apposé, dont le dernier mot a été raturé, et l'indication «Annahme verweigert» cochée, suggérait que son auteur avait voulu exprimer que le destinataire du pli était inconnu. Ainsi, il n'était pas possible d'exclure qu'un employé du service pénitentiaire avait considéré le dénommé «A.» comme inconnu dans un lieu où il était détenu officiellement sous le nom «B.» et que la Poste avait dès lors considéré que la réception était refusée pour ce motif, sans que l'intéressé ait même eu connaissance d'un quelconque envoi (consid.7.5).
- Ainsi, le Tribunal fédéral a considéré que la conclusion de la première instance privait indûment le Recourant de son droit à être jugé en contradiction et était donc arbitraire (consid. 7.5).
- Partant, le recours a été admis.
TF 6B_696/20232 du 21 novembre 2024 | Qualité pour recourir au Tribunal fédéral du Ministère public (art. 81 al. 1 let. b LTF)
- Par jugement du 22 décembre 2021, le Tribunal de police de l'arrondissement de Lausanne a libéré B., C., D., E., A., F. et G. des chefs d'accusation de dommages à la propriété et de violation de domicile, au motif que la plainte pénale déposée par H. AG («Lésée») n'était pas valable. En revanche, il les a condamnés, à l'exception de G. pour contravention à l'art. 41 RGP, et G., notamment pour entrave aux services d'intérêt général.
- Le 22 novembre 2022, la Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal vaudois a rejeté l'appel du Ministère public vaudois («Recourant»), qui contestait l'invalidité de la plainte et l'acquittement des accusés.
- Le Recourant a interjeté recours au Tribunal fédéral.
- Le Tribunal fédéral a examiné si le Recourant, en qualité de Ministère public, avait qualité pour recourir au Tribunal fédéral afin de faire valoir la validité de la plainte pénale (consid. 1.2).
- Le Tribunal fédéral a rappelé que sur le plan cantonal, le Code de procédure pénale («CPP») règle la qualité pour recourir dans deux dispositions distinctes. L'art. 382 al. 1 CP dispose que toute partie qui a un intérêt juridiquement protégé à l'annulation ou à la modification d'une décision, soit qui est directement et immédiatement touchée dans ses droits propres, a qualité pour recourir contre celle-ci. En principe, la violation d'un intérêt relevant d'un autre sujet de droit est insuffisante pour créer la qualité pour recourir (consid. 1.2.1).
- De plus, l'art. 381 al. 1 CPP prévoit que le Ministère public peut interjeter recours tant en faveur qu'en défaveur du prévenu. Contrairement aux autres parties (art. 382 CPP), sa légitimation ne dépend pas de l'existence d'un intérêt juridiquement protégé à l'annulation ou à la modification de la décision (art. 381 CPP).
- In casu, le Tribunal fédéral a jugé que le Recourant avait assurément la qualité pour former appel sur la question de la validité de la plainte (consid. 1.2.1).
- Toutefois, la loi sur le Tribunal fédéral («LTF») règle la qualité pour recourir en matière pénale de toutes les parties, y compris du Ministère public, dans une seule disposition: l'art. 81 al. 1 let. b LTF. À la différence du CPP, cette disposition exige un intérêt juridiquement protégé même pour le Ministère public, qui n'est donc pas dispensé de l'exigence de la «Beschwer» (consid. 1.2.2).
- Selon la jurisprudence, l'intérêt juridiquement protégé du Ministère public découle du mandat de répression pénale qu'il exerce. En conséquence, il peut recourir devant le Tribunal fédéral sur tous les motifs desart. 95-98 LTF en lien avec l'action pénale (exercice ou question de droit matériel ou procédurale liée). Dans un certain nombre de cas, le Tribunal fédéral a jugé que le Ministère public ne disposait pas d'un intérêt juridique à recourir au sens de l'art. 81 al. 1 let. b in limine LTF (consid. 1.2.2).
- Notre Haute Cour a indiqué que lorsqu'une infraction n'est punie que sur plainte (art. 30 CP), cette dernière est une condition de l'ouverture de l'action pénale, respectivement de l'exercice de l'action. Celle-ci dépend exclusivement du lésé. Ainsi, le lésé doit être considéré comme le seul «maître» de l'exercice du droit d'action pénale et dispose donc seul de la qualité pour recourir au Tribunal fédéral pour faire admettre la validité de la plainte. Cette question ne touche ainsi pas un domaine de compétence du Ministère public ni des intérêts qu'il doit défendre, au sens de la jurisprudence relative à la qualité pour recourir du Ministère public, de sorte que ce dernier n'a pas la qualité pour recourir sur cette question (consid. 1.2.3).
- Le Tribunal fédéral a ajouté que dans l'hypothèse où la validité de la plainte aurait été admise en première instance, mais niée en deuxième instance et que, partant, le Recourant n'avait pas pris part à la procédure devant l'autorité précédente (art. 81 al. 1 let. a LTF), il devait se voir néanmoins reconnaître la qualité pour recourir au Tribunal fédéral (consid. 1.2.4).
- In casu, notre Haute Cour a jugé qu'il incombait à la Lésée de faire appel contre le jugement de première instance, puis de recourir au Tribunal fédéral pour contester le jugement confirmant l'invalidité de la plainte pénale, et cela, bien que le Recourant pouvait faire appel. Elle a ajouté que le Recourant n'avait pas d'intérêt juridiquement protégé à recourir au Tribunal fédéral, car cela revenait à se substituer à la Lésée et à agir pour le compte de celle-ci (consid. 1.2.5).
- Partant, le recours a été déclaré irrecevable.
- DROIT PÉNAL ÉCONOMIQUE
TF 6B_26/2024, 6B_41/2024 du 20 décembre 2024 | Escroquerie, abus de confiance, gestion déloyale, diminution effective de l'actif au préjudice des créances et créance compensatrice dans le cadre d'un projet immobilier (art. 138 ch. 1 al. 2 CP, 146 al. 1 CP, art. 164 ch. 1 al. 3 CP)
- En 2013, A. («Recourante») a confié à C.B., en qui elle avait confiance en raison des liens d'amitié réunissant leurs fils respectifs, CHF 470'000.- pour investir dans un projet immobilier de la société F. Sàrl, dont C.B et ses deux fils («Recourants») sont associés-gérants. Une convention sous seing privé est signée, prévoyant un retour sur investissement de CHF 185'000.-. Or, peu après, les Recourants ont invoqué rencontrer des difficultés administratives et ont renoncé aux projets. Malgré ses demandes de remboursement, la Recourante s'est vu restituer uniquement CHF 30'000.- et a déposé plainte pénale, se constituant partie plaignante au civil, le 25 juillet 2016. Plus tard, entre 2015 et 2018, les Recourants ont effectué de nombreux emprunts auprès de la société, et s'appropriant des biens, contre une simple inscription au débit de leurs comptes actionnaires, sachant qu'ils seraient dans l'incapacité de rembourser l'entier des sommes empruntées. Les Recourants ont continué de vider la société de sa substance en transférant certains actifs dans d'autres raisons sociales ou à des privés, avant de finalement remettre F. Sàrl, en état de faillite, à des hommes de paille. La faillite a finalement été prononcée le 12 février 2019.
- La Recourante a formé recours contre le jugement du 24 avril 2023 de la Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal de Vaud en tant qu'il acquittait les Recourants des infractions d'escroquerie et d'abus de confiance. Les Recourants, dans un recours contre le même jugement et dont les procédures sont jointes, contestent essentiellement leur condamnation pour gestion déloyale qualifiée et diminution effective de l'actif au préjudice des créanciers.
- Le Tribunal fédéral a rappelé que l'infraction d'escroquerie, au sens de l'art. 146 al. 1 CP, consiste en une tromperie astucieuse; lors de laquelle l'auteur recourt à un édifice de mensonges, à des manSuvres frauduleuses ou à une mise en scène, ou donne de fausses informations dont la vérification n'est pas possible ou ne l'est que difficilement ou ne peut raisonnablement être exigée, ou l'auteur dissuade la dupe de vérifier ou prévoit que celle-ci renoncera à le faire en raison d'un rapport de confiance particulier. Il n'y a pas d'astuce si la dupe pouvait se protéger avec un minimum d'attention ou éviter l'erreur avec le minimum de prudence que l'on pouvait attendre d'elle (consid. 4.1.1).
- Or, in casu, l'opération projetée était bien réelle et avait été certifiée par l'intervention de la courtière en charge de la mise en vente des parcelles. Cette dernière avait par ailleurs informé la Recourante des risques liés à une telle opération, notamment en raison du prix de vente très élevé et du faible nombre de visites. Les Recourants n'ont pas recouru à une mise en scène ou menti au sujet de l'opération financière prévue en lui donnant de fausses informations. La Recourante n'a, enfin, pas cherché à se couvrir du risque de son financement en exigeant d'autres garanties, alors que sa banque l'avait rendue attentive aux risques liés à une telle opération cash (consid. 4.1.2).
- De ce fait, les juges de Mon-Repos ont retenu que l'infraction d'escroquerie n'était pas réalisée (consid. 4.1.2).
- Au sujet de l'abus de confiance, prévu à l'art. 138 ch. 1 al. 2 CP, le comportement délictueux consiste à utiliser la valeur patrimoniale contrairement aux instructions reçues en s'écartant de la destination fixée. Cette disposition ne protège pas la propriété, mais le droit de celui qui a confié la valeur à ce que celle-ci soit utilisée dans le but et selon les instructions données (consid. 4.2.1).
- In casu, la convention prévoyait que la Recourante percevrait CHF185'000.-, mais aucune mention n'était faite de la somme de CHF 470'000.-, ni même du mode de remboursement. Aucune pièce du dossier ne permettait de déterminer exactement quel usage devait être fait de la somme versée par la Recourante ni à quoi cet argent avait finalement servi. Il ne pouvait par conséquent reproché aux Recourants d'avoir utilisé l'argent à d'autres fins que celles prévues par les parties ou contrairement aux instructions reçues, puisque l'une et l'autre faisaient défaut, et les conditions de l'infraction d'abus de confiance n'étaient pas réalisées (consid. 4.2.2).
- L'infraction de gestion déloyale, au sens de l'art.158 CP, ne peut être commise que par une personne qui revêt la qualité de gérant, ce qui suppose un degré d'indépendance suffisant et un pouvoir de disposition autonome sur les biens administrés. Le comportement délictueux consiste à violer les devoirs inhérents à la qualité de gérant, par action ou par omission (consid. 6.1).
- L'infraction n'est consommée que s'il y a préjudice, ou encore par la mise en danger de celui-ci telle qu'elle a pour effet d'en diminuer la valeur du point de vue économique. Un préjudice temporaire est suffisant (consid. 6.1).
- In casu, le rapport d'investigation du 20 février 2020 a révélé que les engagements des Recourants envers la société avaient augmentés de CHF350'000.- en moins de trois ans, qu'ils menaient grand train, en abusant des frais de représentation à hauteur de plus de CHF 10'000.- mensuels chacun, et profitaient d'un nombre important de voitures haut de gamme, alors que ni la taille de la société ni la marche des affaires ne justifiaient de telles dépenses. Les Recourants ont ainsi appauvri la société par des prélèvements effectués sans aucune contrepartie, la vidant de sa substance et portant atteint à sa pérennité, et ce en connaissance de cause dès lors que le comptable de la société les instruisait chaque semaine et avait tenté à réitérée reprises d'attirer leur attention sur la situation de la société et les conséquences de ces retraits. Par ailleurs, les Recourant n'ont entrepris aucune action qui auraient permis à la société de ne pas tomber en faillite, telle que la vente des actifs, la réduction de leur salaire et le remboursement de leurs dettes. Partant, les conditions d'abus de confiance qualifiées sont réalisées (consid. 6.2.1).
- Dans un deuxième moyen, les Recourants ont fait valoir qu'il n'y avait pas de préjudice – et donc d'abus de confiance – dès lors que F. Sàrl aurait consenti à toutes les opérations par la voie de ses organes. Le Tribunal fédéral a rappelé que la Sàrl disposait d'une personnalité juridique propre (art.779 CO) de telle sorte qu'elle était titulaire autonome de son patrimoine comme le serait une société anonyme. Le patrimoine d'une telle société est également propre par rapport aux organes de la société, même dans le cas d'une société anonyme unipersonnelle, vis-à-vis de l'actionnaire unique qui la dirige en tant qu'unique administrateur. L'indépendance juridique de la personne morale par rapport à la personne physique qui la détient économiquement n'est qu'exceptionnellement rompue, par le biais de la théorie de la transparence (Durchgriff), soit lorsqu'il existe une identité économique et l'invocation de l'indépendance juridique de la personne morale sert à contourner des dispositions légales ou à violer les droits de tiers. La rupture de l'autonomie juridique de la société anonyme ne peut être envisagée dans le cas inverse: une personne physique qui se sert d'une personne morale doit se laisser opposer l'indépendance de cette dernière et ne peut se prévaloir d'une quelconque identité économique. Partant, le grief des Recourants a été rejeté (consid. 6.2.2).
- Le Tribunal fédéral a ensuite analysé les arguments des Recourants contre leur condamnation pour diminution effective de l'actif au préjudice des créanciers (art. 164 ch. 1 al. 3 CP) et a relevé que cette disposition sanctionnait les cessions de valeurs patrimoniales à titre gratuit ou contre une prestation de valeur manifestement inférieure (cf. art. 286 LP). A l'exception des cadeaux usuels, toutes les libéralités, quels que soit le destinataire, entrent dans l'art. 164 ch. 1 CP. En outre, il s'agit d'une infraction de mise en danger concrète et il n'est pas nécessaire que les créanciers subissent des pertes (consid. 7.1).
- In casu, notre Haute Cour a retenu que les Recourants s'étaient appropriés des actifs de F. Sàrl pour leurs besoins personnels, ne lui laissant qu'une créance, tout en étant parfaitement conscients de l'état financier catastrophique de cette dernière. Plus encore, ils ont renoncé à prendre les mesures nécessaires pour redresser la situation et, pire encore, se sont débarrassés de la société en la cédant à des tiers «hommes de paille», vidée de toute substance. Les Recourants étaient informés de l'état financier de la société et étaient conscients du prononcé de la faillite et du préjudice qui serait causé aux créanciers (consid. 7.2.1).
- Par ailleurs, l'argument relatif à l'identité économique entre les Recourants et la société est vain dès lors que l'art. 164 CP protège les créanciers, et non les actionnaires ou leur patrimoine, ni celui de la société (consid. 7.2.2). Partant, les conditions de l'art. 164 CP étaient réalisées.
- Partant, le recours des Recourants a été rejeté.
- Droit international privÉ
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- DROIT DE LA POURSUITE ET DE LA FAILLITE
TF 5A_446/20243 du 21 novembre 2024 | Admissibilité de la réalisation d'un gage immobilier engagée contre une succession non partagée (art. 49 LP)
- Par réquisition de poursuite du 16 août 2022, D.Bank SA (« SA») a introduit une poursuite en réalisation d'un gage immobilier contre la «Unverteilte Erbschaft des E.A.________ sel. » («Succession non partagée de E.A. sel» ou «Communauté héréditaire de E.A. sel»).
- Le gage immobilier désigné était le bien-fonds U.Gbbl.-Nr. xxx («ImmeubleU. ») appartenant à la Succession non partagée de E.A. De plus, la réquisition de poursuite mentionnait, sous la rubrique «Erben», les deux fils du défunt.
- En septembre 2022, le Betreibungsamt («Office des poursuites») de Soleure a notifié le commandement de payer établi dans la poursuite n° yyy («Poursuite n° y») contre la Communauté héréditaire de E.A. sel au cohéritier B.A. («A.»), que l'Office des poursuites a par la suite considéré comme représentant de la succession.
- Le cohéritier A.A («Recourant»), qui n'était officiellement inscrit à aucune adresse, s'était également vu notifier le commandement de payer par voie édictale.
- Le 1er mars 2024, l'Office des poursuites a procédé à la vente aux enchères de l'Immeuble U.
- Par requête du 11 mars 2024, le Recourant a déposé une plainte auprès de l'Aufsichtsbehörde für Schuldbetreibung und Konkurs («Autorité de surveillance») du canton de Soleure contre l'adjudication de l'Immeuble U. à la société C. SA lors de la vente aux enchères du 1er mars 2024.
- Par décision du 25 juin 2024, l'Autorité de surveillance a rejeté la plainte.
- Le Recourant a donc interjeté un recours en matière civile auprès du Tribunal fédéral le 8 juillet 2024.
- Devant notre Haute Cour, le Recourant a premièrement contesté la surenchère qui avait été prononcée dans le cadre d'une poursuite en réalisation de gage immobilier engagée contre une succession non partagée (consid. 2).
- Au sens de l'art. 49 LP, aussi longtemps que le partage n'a pas eu lieu, qu'une indivision contractuelle n'a pas été constituée ou qu'une liquidation officielle n'a pas été ordonnée, la succession est poursuivie au lieu où le défunt pouvait être lui-même poursuivi à l'époque de son décès et selon le mode qui lui était applicable (consid. 2.1).
- Selon la jurisprudence, malgré l'absence de personnalité juridique de la succession non partagée, cette dernière a la qualité de partie dans une poursuite dirigée contre elle. Par conséquent, elle peut être poursuivie passivement (consid. 2.1).
- La capacité de poursuite passive du patrimoine successoral fixée par l'art. 49 LP répond à un besoin pratique et présente certains avantages. Notamment, elle permet au créancier d'agir, dans un cadre limité, lorsqu'il n'est pas encore clair qui est l'héritier (consid. 2.1).
- Lorsque la poursuite est dirigée contre une succession non partagée, les actes de poursuite sont notifiés au représentant désigné pour la succession (art. 65 al.3 LP) (consid. 2.2).
- Le commandement de payer notifié au représentant de la succession est valable même si le destinataire de la notification n'a pas informé les héritiers ou lescohéritiers de la poursuite. Ces derniers ne peuvent donc pas se plaindre de la poursuite (consid.2.2).
- La poursuite contre la succession s'effectue de la même manière que si le défunt était encore en vie. De ce fait, sa qualité de sujet de droit unique, qui a disparu avec le décès, est supposée subsister. Ainsi, il est admissible de poursuivre la succession en réalisation de gages (consid. 2.3).
- Le Tribunal fédéral a rappelé que lorsqu'il s'agit d'une dette successorale et que les héritiers sont solidairement responsables, le créancier successoral dispose de plusieurs possibilités pour faire valoir sa créance. Il peut soit poursuivre personnellement un seul, plusieurs ou chacun des cohéritiers ou alors la succession en tant que telle (consid. 2.4.2).
- Toutefois, si le créancier souhaite agir en vertu de l'art. 49 LP, il doit de préférence engager la poursuite contre la «Erbschaft», «Erbmasse», « Nachlass», «Hinterlassenschaft » avec une désignation claire qui ne laisse aucun doute sur le fait que ce ne sont pas les différents héritiers qui doivent être poursuivis personnellement (consid. 2.4.3).
- La désignation par le créancier de la réquisition de poursuite uniquement contre «les héritiers de X» est insuffisante, dans la mesure où elle peut viser la succession, mais aussi les héritiers personnellement (consid. 2.4.3).
- In casu, selon le Recourant, il ne ressortait pas clairement des indications figurant dans la réquisition de poursuite et le commandement de payer si la poursuite était dirigée contre la succession ou contre lui-même et B.A. en tant que débiteurs solidaires (consid.2.4.1).
- Le Tribunal fédéral a retenu que la désignation «Succession non partagée de E.A. sel» n'était pas critiquable, car elle excluait d'emblée tout doute possible quant à l'intention de la créancière de bien vouloir poursuivre directement la succession selon l'art.49 LP (consid. 2.4.4).
- De ce fait, le Tribunal fédéral a considéré que si cette communauté était désignée comme débitrice dans la réquisition de poursuite, il était en principe compréhensible qu'était poursuivie la communauté en tant que telle et non chaque héritier individuellement (consid. 2.4.4).
- Partant, le Recourant n'a pas été suivi sur ce point (consid. 2.4.4).
- De surcroît, le Recourant a notamment fait valoir une violation du droit fédéral du fait que sa demande d'ajournement de la vente aux enchères ait été considérée comme tardive (consid. 2.5.1).
- Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, la loi ne mentionne pas de date ultime avant la vente aux enchères jusqu'à laquelle le débiteur peut demander le remboursement échelonné de la dette. En principe, la demande peut ou doit être faite au plus tard jusqu'au moment où la vente est effectuée, sans toutefois laisser place à l'abus de droit (consid. 2.5.2).
- En particulier, la demande doit être déposée suffisamment tôt avant l'acte de réalisation pour que l'office des poursuites soit en mesure d'examiner avec circonspection la proposition du débiteur et de fixer le montant et les dates d'échéance des acomptes en tenant compte de la situation du créancier (consid.2.5.2).
- De surcroît, le débiteur doit avoir versé à l'office des poursuites le premier acompte fixé par ce dernier (consid. 2.5.2).
- In casu, le 1er mars 2024 à 00h32,
date de la vente,
le Recourant avait envoyé à l'Office des poursuites un courriel dans lequel il demandait de différer la réalisation de l'Immeuble U. et s'engageait à verser des acomptes mensuels, dont les deux premiers, le jour-même à huit heures. Une collaboratrice de l'Office des poursuites lui avait alors répondu, aux alentours de 7h21, pour lui indiquer qu'il était désormais trop tard pour demander l'ajournement de la réalisation (consid.2.5.3).
- Notre Haute Cour a retenu que l'instance précédente avait correctement jugé la situation en rejetant le recours. En effet, l'Office des poursuites ayant pu prendre connaissance de la demande de report de la vente formulée par le Recourant par courriel au plus tôt le matin du 1er mars 2024 et la vente ayant débuté le même jour à 9h00, la demande devait valablement être considérée comme abusive (consid. 2.5.3).
- Partant, le recours a été rejeté.
TF 4A_436/20244 du 18 décembre 2024 | Inclusion d'une créance hypothécaire dans une poursuite sans mention exacte (art. 67 LPP) et mainlevée définitive refusée pour une créance hypothécaire garantissant une créance de droit public (art. 842 al. 2 CC)
- Le 7 janvier 2020, la fondation A. («Recourante»)a établi une cédule hypothécaire au porteur pour garantir l'impôt sur les donations de 2006 ainsi que les intérêts accumulés, au profit du canton de Bâle-Ville («Créancier»).
- Le 21 juin 2022, le Créancier a engagé une poursuite en réalisation de gage immobilier au moyen d'un commandement de payer auquel la Recourante a fait opposition.
- Le Bezirksgericht de Kriens a accordé la mainlevée définitive de l'opposition pour un montant de CHF 97'650.- avec intérêts à 3 % depuis le 19 mai 2022, ainsi que pour CHF 57'564.65. Par ailleurs, il a accordé la mainlevée provisoire pour le droit de gage.
- Le 25 juillet 2024, le Kantonsgericht de Lucerne a rejeté le recours de la Recourante.
- La Recourante a alors recouru auprès du Tribunal fédéral.
- Le Tribunal fédéral relève que la première instance s'était référée à une opinion doctrinale selon laquelle il suffisait, dans une poursuite en réalisation du gage, de demander la mainlevée sans préciser expressément si celle-ci concerne la créance et/ou le droit de gage. Selon cette approche, la cédule hypothécaire au porteur établie le 7 janvier 2020, combinée à l'acte constitutif et à la reconnaissance de dette, autorisait une mainlevée provisoire pour un montant de CHF 200'000.- ainsi que pour le droit de gage. Toutefois, aucune mainlevée provisoire ne pouvait être accordée pour la créance de base en tant que créance de droit public.
En effet, la collectivité publique doit d'abord statuer sur les créances de droit public et, sur la base de la décision entrée en force, demander la mainlevée définitive conformément à l'art. 80 LP (consid. 4.1 ss).
- La première instance avait alors accordé au Créancier la mainlevée provisoire s'agissant du droit de gage ainsi que la mainlevée définitive pour CHF 97'650.- avec intérêts à 3 % depuis le 19 mai 2022 et pour CHF 57'564.65. L'instance précédente avait confirmé cette décision (consid. 4.3).
- La Recourante a contesté la décision de l'instance précédente soulignant que le commandement de payer mentionnait uniquement la créance de base (impôt sur les donations de 2006), et non pas la créance abstraite découlant de la cédule hypothécaire. Selon la Recourante, la créance hypothécaire aurait dû être mentionnée explicitement dans le commandement de payer. Elle a ainsi conclu que l'absence de cette mention empêchait la mainlevée (consid. 5).
- Aux termes de l'art. 67 al. 1 LP, la réquisition de poursuite est adressée à l'office par écrit ou verbalement. Elle énonce le nom et le domicile du créancier et, s'il y a lieu, de son mandataire, le domicile élu en Suisse, s'il demeure à l'étranger. À défaut d'indication spéciale, l'office est réputé domicile élu (ch. 1); le nom et le domicile du débiteur, et, le cas échéant, de son représentant légal, dans les réquisitions de poursuites contre une succession, il y a lieu de désigner les héritiers auxquels la notification doit être faite (ch. 2) ; le montant en valeur légale suisse de la créance ou des sûretés exigées ; si la créance porte intérêts, le taux et le jour duquel ils courent (ch. 3); le titre et sa date ; à défaut de titre, la cause de l'obligation (ch. 4) (consid. 5.1).
- Pour une créance garantie par gage, les indications prévues à l'art. 151 LP doivent en outre être fournies (art. 67 al. 2 LP). Aux termes de l'art. 151 al. 1 LP, la réquisition mentionne: le cas échéant, le nom du tiers qui a constitué le gage ou en est devenu propriétaire (let. a) ; le cas échéant, le fait que l'immeuble grevé d'un gage est le logement de la famille (art.169 CC) ou le logement commun (art.14 de la loi du 18 juin 2004 sur le partenariat) du débiteur ou du tiers (let. b) (consid. 5.1).
- L'instance précédente avait constaté que, bien que le commandement de payer ne mentionnait pas explicitement la cédule hypothécaire, la réquisition de poursuite identifiait quant à elle clairement cet élément. Le commandement de payer précisait qu'il s'agissait d'une poursuite en réalisation de gage immobilier et indiquait la cause de la créance (impôt sur les donations de 2006). Ces informations, lues ensemble, étaient suffisantes pour permettre au Recourant de comprendre que la créance hypothécaire était incluse (consid. 5.3.1).
- De surcroît, l'instance précédente avait renvoyé à l'arrêt 4A_122/2008 du 16 juillet 2008, dans lequel le Tribunal fédéral expliquait qu'une cédule hypothécaire impliquait une unité stricte entre la créance hypothécaire et le droit de gage. Par conséquent, il était exclu que la mainlevée devienne définitive pour l'un des éléments (créance hypothécaire ou droit de gage) sans qu'elle ne le soit simultanément pour l'autre (consid. 5.3.2).
- In casu, le Tribunal fédéral a considéré que le Créancier avait mentionné dans la réquisition de poursuite la cédule hypothécaire au porteur en deuxième rang pour un montant de CHF 200'000.- (consid. 5.3.3).
- Bien que la Recourante n'ait reçu que le commandement de payer, celui-ci indiquait clairement qu'il s'agissait d'une poursuite en réalisation de gage immobilier. Le commandement de payer mentionnait en outre la cause de la créance, à savoir l'impôt sur les donations de 2006 et les intérêts échus. Ainsi, la Recourante aurait dû comprendre, en vertu de la bonne foi, que la créance garantie par la cédule hypothécaire de CHF 200'000.- était destinée à être réalisée (consid. 5.3.3).
- La jurisprudence rappelle que l'art. 67 LP ne requiert pas que le titre permettant la mainlevée soit mentionné dans le commandement de payer. Le but étant simplement de permettre au débiteur de comprendre quelle créance fait l'objet de la poursuite. Pour cette raison, il n'est pas nécessaire de mentionner explicitement le titre qui sera utilisé ultérieurement pour la mainlevée (consid. 5.3.4).
- Le Tribunal fédéral a ajouté que, conformément à ce qu'avait retenu l'instance précédente, selon l'art. 842 al. 2 CC, la cédule hypothécaire complète la créance principale (impôt sur la donation) en tant que garantie, sans s'y substituer. Le droit de gage établi par la cédule hypothécaire au porteur peut être réalisé jusqu'à concurrence de la créance principale (consid. 5.3.6).
- En conséquence, notre Haute Cour a retenu que la mention de la cause de la créance principale (impôt sur les donations) dans le commandement de payer était suffisante pour identifier le montant recouvrable et garantir les droits du débiteur (consid. 5.3.6).
- En définitive, le Tribunal fédéral a conclu que la créance garantie par la cédule hypothécaire faisait partie de la procédure de mainlevée (consid. 5.4).
- Par la suite, la Recourante a notamment contesté le fait que la mainlevée définitive ait été accordée pour la créance de CHF 97'650.- plus intérêts, ainsi que pour CHF 57'564.65 (consid. 6).
- Selon l'art. 842 al. 2 CC, la créance résultant de la cédule hypothécaire coexiste, le cas échéant, avec la créance à garantir issue du rapport de base entre le créancier et le débiteur (consid. 6.3.2).
- Selon la jurisprudence, dans le cas d'une cédule hypothécaire au porteur, le créancier acquiert la propriété du titre. Toutefois, il s'engage à n'utiliser la cédule que dans la mesure nécessaire pour obtenir le paiement de sa créance de base.
- Cet engagement constitue un « pactum de non petendo » pour la partie de la créance de la cédule hypothécaire qui dépasse la créance de base, intérêts compris. En conséquence, le créancier est tenu de limiter son exécution forcée à la créance de base impayée. Le débiteur peut également, dans le cadre d'une procédure de mainlevée provisoire démontrer que la créance de base est inférieure à celle de la cédule hypothécaire (consid. 6.3.3).
- Notre Haute Cour a rappelé qu'une mainlevée définitive ne peut pas être accordée pour la cédule hypothécaire, car cela reviendrait à poursuivre la créance de base (impôt sur les donations de 2006 et intérêts impayés) selon une procédure inadéquate. En effet, cette créance aurait dû être mise en poursuite par voie de saisie et non en réalisation de gage (consid. 6.4.2).
- In casu, le Tribunal fédéral a considéré que la cédule hypothécaire conservait sa nature privée, même si elle garantissait une créance de droit public. Elle ne pouvait donc faire l'objet que d'une mainlevée provisoire. De sorte que le tribunal civil pouvait librement examiner la créance hypothécaire sans statuer sur la créance principale de droit public (consid. 6.4.4).
- Ainsi, le Tribunal fédéral a estimé que la Recourante avait valablement contesté la mainlevée définitive accordée pour la créance litigieuse (consid. 6.4.5).
- Partant, le recours a été admis sur ce point.
TF 4A_637/20235 du 4 décembre 2024 | Violation du principe de l'identité entre l'entrepreneur général – signataire de l'acte authentique - et la tierce propriétaire du gage (art. 80 à 82 LP)
- («Recourant») est propriétaire de la PPE correspondant au 7e étage d'un immeuble sis à Genève.
- En 2009, la locataire de ce bien a chargé la société D. SA («Entrepreneur ») d'effectuer des travaux dans les locaux ainsi loués. Ces travaux ont été confiés à B. SA («Artisan»). Ce dernier a adressé des factures à l'Entrepreneur pour un montant de CHF 334'578.-, somme qui n'a pas entièrement été payée.
- Le 28 janvier 2010, l'Artisan a requis l'inscription d'une hypothèque légale provisoire des artisans et entrepreneurs sur la part d'étage du Recourant.
- L'hypothèque légale provisoire a été inscrite au registre foncier le 29 janvier 2010.
- Par jugement du 20 juin 2016 du Tribunal de première instance genevois («Tribunal de première instance»), confirmé sur appel, l'Artisan a obtenu l'inscription définitive de l'hypothèque légale à concurrence de CHF 334'578.- avec intérêts 5 % l'an dès le 28 décembre 2009. L'inscription a été portée au registre foncier.
- Par acte notarié du 7 mai 2018 (art. 349 CPC), valant reconnaissance de dette (art. 80 et 81 LP), l'Entrepreneur a reconnu devoir à l'Artisan le montant précité avec intérêts.
- Par accord du 27 février 2021, l'Entrepreneur s'est engagé à verser ce montant à l'Artisan et les parties ont arrêté les intérêts à CHF 115'422.-, sous condition d'un paiement intégral avant le 31 mars 2022.
- Le 4 mars 2021, l'Artisan a reçu le montant de CHF 334'578.- à titre de remboursement du capital et un montant de CHF 30'000.- à titre de paiement partiel des intérêts.
- Par courrier du 1er février 2022, l'Artisan a relancé l'Entrepreneur concernant le solde des intérêts dus. Ce dernier ne s'est pas exécuté.
- En juillet 2022, l'Artisan a requis contre l'Entrepreneur et le Recourant une poursuite en réalisation de gage immobilier pour un montant de CHF 157'038.- au titre des intérêts impayés, en se fondant sur la reconnaissance de dette du 7 mai 2018.
- L'Entrepreneur et le Recourant ont formé opposition au commandement de payer.
- L'Artisan a formé deux requêtes de mainlevée définitive séparées devant le Tribunal de première instance: l'une contre l'Entrepreneur en tant que débiteur personnel, et l'autre contre le Recourant en qualité de tiers propriétaire du gage.
- Par jugement du 14 novembre 2022, la mainlevée définitive a été prononcée à l'encontre de l'Entrepreneur. Il n'y a pas eu de recours contre ce jugement.
- Par jugement du 20 juin 2023, le Tribunal de première instance a rejeté la mainlevée définitive à l'encontre du Recourant. Il a considéré que l'inscription définitive de l'hypothèque légale sur la part de PPE du Recourant valait titre de mainlevée pour le gage, mais non pas pour la créance parce que l'acte notarié du 7 mai 2018, qui était un titre authentique exécutoire, engageait seulement l'entrepreneur général et ne liait donc pas la tierce propriétaire du gage (Recourant).
- Par arrêt du 6 novembre 2023, la Chambre civile de la Cour de justice genevoise a annulé et reformé le premier jugement.
- Le Recourant a intenté un recours auprès du Tribunal fédéral contre cet arrêt.
- Le Tribunal fédéral s'est ainsi penché sur la question de savoir si la reconnaissance de dette par l'Entrepreneur, constatée par acte authentique au sens des art. 347 et 349 CPC, constitue un titre de mainlevée définitive (art. 80 et 81 LP) dans une poursuite en réalisation de gage immobilier dirigée contre le débiteur et le tiers propriétaire du gage (le Recourant) (consid. 3).
- Le créancier qui a obtenu l'inscription définitive d'une hypothèque légale des artisans et des entrepreneurs sur l'immeuble appartenant au débiteur devient titulaire d'une créance garantie par gage immobilier (art. 837 al. 1 ch. 3 CC). Aux termes de l'art. 816 al. 1 CC, faute par le débiteur de satisfaire à ses obligations, le créancier a le droit de se payer sur le prix de l'immeuble (consid. 3.1).
- La même règle est applicable au créancier sous-traitant qui a obtenu l'inscription définitive d'une hypothèque légale sur l'immeuble d'un tiers (art. 827 al. 2 CC) (consid. 3.1).
- La poursuite en réalisation du gage immobilier est dirigée contre le débiteur de la créance garantie. Le commandement de payer est notifié au débiteur. Toutefois, lorsque l'immeuble, objet du gage, appartient à un tiers, un exemplaire dudit commandement de payer est notifié à ce tiers (art. 153 al. 2 let. a LP). L'exemplaire n'est qu'un double et il n'y a en réalité qu'une seule poursuite et surtout, le tiers propriétaire ne devient pas débiteur personnel du créancier, sans quoi on se trouverait en présence de codébiteurs, et non plus d'un tiers constituant du gage, et l'art. 153 al. 2 let. a LP ne s'appliquerait pas (consid. 3.2.1).
- Pour que la poursuite en réalisation de gage immobilier puisse continuer, toutes les oppositions doivent être levées par une décision de mainlevée (art. 80 à 82 LP) ou par une action en reconnaissance de dette (art. 79 LP) (consid. 3.2.2).
- En vertu des art. 80 et 81 LP, le juge doit prononcer la mainlevée définitive si le créancier produit un jugement exécutoire ou un titre qui y est assimilé, à moins que le débiteur ne prouve par titre que la dette a été éteinte ou qu'il a obtenu un sursis postérieurement au jugement, ou qu'il ne se prévale de la prescription (consid. 3.3.1).
- Est un titre assimilé à un jugement, le titre authentique exécutoire au sens des art. 347 à 352 CPC (consid. 3.3.1).
- Lorsque le créancier ne peut se fonder que sur une reconnaissance de dette constatée par acte authentique au sens de l'art. 82 al. 1 LP ou une reconnaissance sous seing privée, il ne peut requérir que la mainlevée provisoire. Il en va également ainsi lorsque le titre authentique exécutoire ne remplit pas les conditions de l'art. 347 CPC (consid. 3.3.2).
- La procédure de mainlevée est une pure procédure d'exécution forcée. Le juge n'est compétent que pour examiner le jugement exécutoire ou les titres qui y sont assimilés dans les cas d'une requête de mainlevée définitive ainsi que les trois identités, à savoir: l'identité entre le poursuivant et le créancier désigné dans le titre, l'identité entre le poursuivi et le débiteur désigné dans le titre et l'identité entre la prétention déduite en poursuite et la dette reconnue dans le titre (consid. 3.4).
- Selon la jurisprudence, un jugement ordonnant l'inscription définitive d'une hypothèque légale des artisans et entrepreneurs ne constitue pas un titre de mainlevée définitive pour la créance garantie au sens de l'art. 80 al. 1 LP. En effet, l'action en inscription définitive d'une telle hypothèque n'a pas pour but de déterminer la créance en tant que telle, mais le montant du gage, donc l'étendue de la garantie hypothécaire (consid. 3.4).
- Le jugement ordonnant l'inscription définitive de l'hypothèque légale ne reconnait ni ne fixe la créance en paiement des prestations de l'artisan et de l'entrepreneur, mais uniquement le montant à concurrence duquel l'immeuble (le gage) doit répondre. Le créancier ne peut donc pas obtenir la mainlevée de l'opposition en ce qui concerne la créance garantie sur la base du seul jugement d'inscription définitive de l'hypothèque légale (consid. 3.4).
- Pour disposer d'un titre de mainlevée définitive au sens de l'art. 80 al. 1 LP, l'artisan ou l'entrepreneur qui ouvre action en inscription définitive de l'hypothèque légale contre le propriétaire doit la cumuler avec une action condamnatoire en paiement de sa créance contre le débiteur (consid. 3.4).
- L'acte authentique exécutoire au sens de l'art. 349 CPC ne vaut qu'«inter partes» et ne lie donc que la partie qui s'est obligée en déclarant expressément dans le titre qu'elle reconnaît l'exécution directe de la décision (consid. 3.4).
- In casu, lorsque l'entrepreneur général s'était obligé envers le débiteur par un acte authentique exécutoire, celui-ci ne liait pas le tiers propriétaire du gage, de sorte que la requête de mainlevée définitive formée par le créancier gagiste devait être rejetée, faute d'identité entre le propriétaire copoursuivi et le débiteur désigné dans l'acte. (consid. 3.4).
- Notre Haute Cour a donc retenu que c'est à tort que la cour cantonale avait considéré que la reconnaissance de dette notariée du 7 mai 2018 était un titre de mainlevée définitive pour toutes les oppositions, et ce, même si cette dette n'avait pas été signée par le Recourant (consid. 3.5).
- Partant, le recours a été admis.
- ENTRAIDE INTERNATIONALE
Footnotes
1 Arrêt destiné à la publication.
2 Destiné à publication.
3 Arrêt destiné à publication.
4 Destiné à publication
5 Destiné à publication
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