Quelques propos introductifs

La présente Newsletter de Monfrini Bitton Klein vise à offrir, de manière hebdomadaire, un tour d'horizon de la jurisprudence rendue par le Tribunal fédéral dans les principaux domaines d'activité de l'Etude, soit le droit pénal économique et le recouvrement d'actifs (asset recovery).

Sans prétendre à l'exhaustivité, seront reproduits ci-après les considérants consacrant le raisonnement juridique

principal développé par notre Haute juridiction sur les thématiques suivantes : droit de procédure pénale, droit pénal économique, droit international privé, droit de la poursuite et de la faillite, ainsi que le droit de l'entraide
internationale.

  1. PROCÉDURE PÉNALE

TF 6B_671/2021 du 26 octobre 2022 | Droit d'assister à l'audience (art. 29 Cst.) – refus de sauf-conduit (art. 204 al. 1 CPP)

  • Le seul fait que le prévenu se voit refuser sa demander de sauf-conduit (art. 204 al. 1 CPP) ne rend pas son absence à l'audience excusable. Dans ces circonstances, il s'agit d'un refus du prévenu de participer à l'audience. La conduite de l'audience sans le prévenu n'est pas contraire au droit d'assister à l'audience fondé sur le droit à un procès équitable (art. 29 Cst., 6 CEDH) (consid. 5).

TF 6B_1242/2022 du 24 octobre 2022 | Exploitabilité de la surveillance conduite illégalement par une assurance

  • La Recourante a été condamnée pour escroquerie par métier au détriment des assurances invalidité et vieillesse. L'assurance invalidité avait notamment procédé, pendant plusieurs jours, à la surveillance de la Recourante.
  • La Recourante a, entre autres, fait valoir que la surveillance conduite par l'assurance était illicite et constituait ainsi une preuve inexploitable.
  • Le Tribunal fédéral a confirmé que l'enquête menée par l'assurance invalidité était dépourvue de base légale. Toutefois, cela n'impliquait pas nécessairement l'inexploitabilité des preuves. En effet, la Recourante avait refusé de dialoguer et de se faire expertiser à l'hôpital. Compte tenu des soupçons qui planait sur la Recourante, le Ministère public aurait pu ordonner lui-même cette mesure de surveillance selon l'art. 282 CPP (consid. 3.2).
  • En outre, les fraudes à l'assurance sur plusieurs années dont est accusée la Recourante constituent des infractions graves au sens de l'art. 141 al. 2 CPP permettant ainsi l'administration de preuves recueillies illicitement (consid. 3.3.6).

TF 1B_127/2022 du 28 octobre 2022 | Violation du droit d'être entendu (art. 29 Cst.) dans la procédure de levée des scellés

  • Le Tribunal des mesures de contrainte compétent pour décider de la levée des scellés viole le droit d'être entendu de la partie en ayant demandé l'apposition, lorsqu'il n'examine pas les arguments détaillés de cette dernière et se limite à une pesée des intérêts (consid. 6.2.2, 6.2.4).
  • La violation du droit d'être entendu ne pouvant pas être réparé par le Tribunal fédéral, ce dernier a annulé la décision attaquée et renvoyé la cause à l'instance précédente pour nouvelle décision (consid. 6.3).

TF 6B_496/2022 du 27 octobre 2022 | Irrecevabilité du recours contre les décisions de la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral (art. 79 LTF) confirmant le refus de nouveau jugement (cf. art. 368 CPP) – absence d'inégalité de traitement entre la procédure relevant de la juridiction fédérale ou cantonale
(art. 8 al. 1 et 32 al. 3 Cst., art. 6 et 14 CEDH)

  • Le 23 avril 2021, la Cour des affaires pénales du Tribunal pénal fédéral (« CAP-TPF») a notamment reconnu le Recourant coupable de blanchiment d'argent aggravé (art. 305bis 1 et 2 CP), de faux dans les titres répétés (art. 251 ch. 1 CP) et de banqueroute frauduleuse (art. 163 ch. 1 CP). La confiscation de valeurs patrimoniales a été ordonnée et un ensemble de saisies en vue de l'exécution de la créance compensatrice à hauteur de 22 millions de francs suisses en faveur de la Confédération a été maintenue. La CAP-TPF a engagé la procédure par défaut (art. 366 al. 4 CPP), dès lors que le Recourant était absent lors des premiers et seconds débats fixés les 26 et 27 janvier 2021.
  • Par décision du 1er septembre 2021, la CAP-TPF a rejeté la demande de nouveau jugement formée par le Recourant, lequel a recouru. Par décision du 23 mars 2022, la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral (« CP-TPF») a rejeté le recours. Elle a considéré que le Recourant avait été valablement cité à comparaître aux débats et était assisté d'un avocat. Les certificats médicaux produits à l'appui de sa demande de nouveau jugement, faisant certes état de traitements contre le cancer dont il souffrait, ne mentionnaient toutefois pas qu'il était dans l'incapacité de participer à une audience judiciaire. De plus, la CP-TPF a retenu que le Recourant avait continué à voyager en avion à une vingtaine de reprises à travers l'Europe.
  • C'est contre ce dernier jugement que le Recourant a saisi le Tribunal fédéral.
  • Notre Haute Cour a examiné dans le présent arrêt si ledit recours était recevable conformément à l'art. 79 LTF. La disposition légale stipule en particulier que le recours est irrecevable contre les décisions de la CP-TPF, sauf si elles portent sur des mesures de contrainte (consid. 4.3).
  • Le Tribunal fédéral a relevé que la décision entreprise était un jugement qui confirmait le rejet d'une demande de nouveau jugement (art. 368 CPP) déposée par le Recourant auprès de la CAP-TPF à la suite d'un jugement rendu par défaut (art. 366 CPP) (consid. 4.4).
  • Conscient que la décision entreprise n'était pas une mesure de contrainte au sens où l'entend l'art. 79 LTF, le Recourant s'est donc prévalu d'une différence de traitement incompatible avec les art. 8 Cst. et 14 CEDH en lien avec les art. 32 al. 3 Cst. et 6 CEDH, eu égard à la situation des justiciables soumis à la juridiction cantonale qui bénéficient d'une voie d'accès au Tribunal fédéral. Il a soutenu en particulier que le Tribunal fédéral ne se serait pas prononcé sur cette différence de traitement et a donc sollicité, pour ce motif, un « renversement » de la jurisprudence rendue en la matière
    (consid. 4.5).
  • Notre Haute Cour a rejeté l'ensemble des griefs formulés par le Recourant en rappelant qu'elle s'était déjà prononcée à plusieurs reprises sur la différence de traitement que pouvait induire
    l'art. 79 LTF, selon que la procédure relevait de la juridiction fédérale ou cantonale (consid. 4.8).
  • A cet égard, le Tribunal fédéral a récapitulé les questions récentes traitées en lien avec
    l'art. 79 LTF1 (consid. 4.8).
  • En particulier, il a rappelé avoir exclu qu'une lacune proprement dite ait trouvé son origine dans le fait que la LTF est antérieure à l'entrée en vigueur du CPP2. Il a également exclu une lacune improprement dite en relation avec la garantie du double degré de juridiction3 et jugé, plus généralement, que l'existence d'une différence entre une décision de la Cour des plaintes et une décision (en l'occurrence de classement) émanant d'une autorité cantonale de dernière instance, contre laquelle un recours en matière pénale au Tribunal fédéral est ouvert, n'impliquait pas de déroger à la règle de
    l'art. 79 LTF, qui visait précisément à décharger le Tribunal fédéral. Selon lui, le législateur a donc clairement voulu limiter les possibilités de recours à l'autorité suprême de la Confédération4
    (consid. 4.8).
  • In casu, le Tribunal fédéral a considéré que la décision entreprise n'avait pas empêché le Recourant de faire appel de son jugement de condamnation auprès de la CAP-TPF. Parallèlement à son appel, notre Haute Cour a relevé que le Recourant avait également pu saisir une autorité judiciaire (en l'occurrence la CP-TPF) contre la décision de rejet de sa demande de nouveau jugement, laquelle avait examiné les excuses fournies pour justifier son absence aux débats de première instance. Ainsi, le Recourant avait pu faire contrôler les éléments apportés pour justifier son défaut aux débats de première instance par deux autorités judiciaires. La décision de refus de nouveau jugement ne le privait pas définitivement de son droit au contradictoire, dès lors qu'une autorité d'appel pouvait examiner, tant les conditions de l'art. 366 CPP permettant l'engagement de la procédure par défaut que, le cas échéant, les griefs de fait et de droit dirigés contre sa condamnation. Dans ces circonstances, le Tribunal fédéral est parvenu à la conclusion que le Recourant ne pouvait rien déduire en sa faveur des dispositions constitutionnelles et conventionnelles invoquées pour faire examiner, par une troisième autorité judiciaire, la seule question du relief de son défaut, contrairement à ce que prévoit expressément l'art. 79 LTF (consid. 4.9).
  • De surcroît, notre Haute Cour a relevé que le Recourant n'apportait aucun élément permettant de déroger au texte clair de la loi et de «renverser » la jurisprudence rendue sur ce point ; il ne s'est prévalu d'aucune discrimination fondée sur un critère de distinction concernant une part essentielle de sa personne, ni de circonstances comparables à celles en cause dans les arrêts de la CourEDH5.
    En tout état, le Recourant ne pouvait déduire de son argumentation une voie de recours expressément exclue par le droit fédéral en vertu de
    l'art. 190 Cst. (consid. 4.9).
  • En définitive, le Tribunal fédéral a considéré qu'il n'y a pas lieu de s'écarter de la jurisprudence constante selon laquelle le recours est irrecevable contre les décisions de la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral confirmant le refus de nouveau jugement (cf. art. 368 CPP) en vertu de l'art. 79 LTF (consid. 4.9).
  • Il s'ensuit que le recours a été déclaré irrecevable.

TF 6B_1112/2022 du 7 novembre 2022 | Qualité pour recourir de la partie plaignante se prévalant de conclusions civiles contre des employés publics

  • Les plaintes pénales du Recourant visaient des institutions chargées de tâches de droit public, à savoir la prison au sein de laquelle le Recourant effectuait sa peine et le centre médical chargé du suivi des détenus de ladite prison, respectivement les personnes employées par ces institutions.
  • Dans son arrêt, le Tribunal fédéral a cité les art. 5 et 9 de la loi neuchâteloise sur la responsabilité des collectivités publiques et de leurs agents du 26 juin 1989 (LResp; RSN 150.10) qui prévoient que les collectivités publiques répondent du dommage causé sans droit à un tiers par leurs agents dans l'exercice de leurs fonctions, sans égard à la faute de ces derniers. Le lésé n'a en outre aucune action contre l'agent public visé (consid. 5).
  • In casu, le canton de Neuchâtel ayant ainsi fait usage de la faculté réservée à l'art. 61 al. 1 CO de prévoir une loi cantonale spéciale, le Recourant ne disposait que d'une prétention de droit public à faire valoir non pas contre le présumé auteur qu'il avait dénoncé, mais contre l'État. Selon la jurisprudence constante de notre Haute Cour, de telles prétentions ne peuvent pas être invoquées dans le procès pénal par voie d'adhésion et ne constituent, dès lors, pas des prétentions civiles au sens de l'art. 81 LTF. Partant, le Recourant ne disposait pas de prétentions civiles à raison des actes incriminés, de sorte qu'il n'avait pas qualité pour recourir sur le fond de la cause (consid. 5).
  • Le Tribunal fédéral a conclu que l'irrecevabilité du recours était patente si bien que le Recourant a succombé (consid. 8).

TF 1B_381/2022 du 3 novembre 2022 | Absence d'un préjudice irréparable pour recourir (art. 93 al. 1 let. a LTF) – refus de mise sous scellés

  • Un recours au Tribunal fédéral est admis à l'encontre d'une décision incidente lorsqu'elle de nature à causer un préjudice irréparable au Recourant (art. 93 al. 1 let. a LTF). Un refus de mise sous scellés constitue une décision incidente.
  • In casu, le Recourant a agi contre le refus de mise sous scellés de la Jugendanwaltschaft Limmattal/Albis, confirmé par l'Obergericht du canton de Zurich (consid. 4.2).
  • Cependant, les objets et enregistrements que le Recourant souhaitait mettre sous scellés avaient déjà été examinés par les autorités pénales, en l'occurrence la police, avant sa demande (4.2).
  • Les autorités pénales ayant déjà pris connaissance des objets litigieux, le recours a été déclaré irrecevable, faute de préjudice irréparable et d'intérêt juridique (consid. 4.3).

TF 6B_1456/2022 du 7 novembre 2022 | Fiction de retrait de l'opposition à l'ordonnance pénale (art. 356 al. 4 CPP)– prescription en cas de classement par application de la fiction de retrait (art. 97 al. 3 CP).

  • Le Recourant, vivant à l'étranger, a fait opposition à une ordonnance pénale le condamnant pour excès de vitesse. Au cours de la procédure et à la suite de plusieurs demandes de report d'audience faites par le Recourant, le Regionalgericht du canton des Grisons a fait parvenir au Recourant une obligation de se présenter à l'audience assortie d'une menace de retrait de l'opposition en cas d'absence
    (art. 356 al. 4 CPP).
  • Selon le Tribunal fédéral, cette obligation de se présenter complétée de la menace de retrait de l'opposition constitue une mesure de contrainte. Selon la jurisprudence et la doctrine, l'Etat suisse peut imposer une telle mesure uniquement aux personnes se trouvant sur son territoire afin de respecter le principe de souveraineté des Etats. Une demande de comparaître adressée à une personne se trouvant à l'étranger est possible, mais ne doit pas être assortie de menace. En outre, une telle demande reste une invitation à laquelle le prévenu peut donner suite, ou non, sans avoir à subir un préjudice. Par conséquent, si le prévenu ne doit pas être défavorisé en cas de refus de se présenter, son absence ne peut pas mener au retrait de son opposition, car ce dernier constitue une atteinte importante à la garantie de l'accès au juge
    (art. 29a Cst.) (consid. 2.2.3).
  • En conclusion, notre Haute Cour a donc considéré que la fiction de l'art. 356 al. 4 CPP ne pouvait s'appliquer et que l'instance précédente aurait dû engager une procédure par défaut.
  • Le Recourant ayant également soulevé la prescription de son infraction, le Tribunal fédéral a eu l'occasion de rappeler qu'un jugement rendu en première instance devait avoir été rendu dans le cadre d'une procédure contradictoire pour pouvoir interrompre la prescription (art. 97 al. 3 CP). Or, une décision de classement par application de la fiction du retrait de l'opposition (art. 356 al. 4 CPP), telle que celle du Regionalgericht, n'est pas une procédure contradictoire. Ainsi, l'infraction du Recourant était prescrite (consid. 3.2).
  • Partant, la décision cantonale a été annulée et la procédure classée en raison de la prescription
    (consid. 4).
  1. DROIT PÉNAL ÉCONOMIQUE
  1. DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ
  1. DROIT DE LA POURSUITE ET DE LA FAILLITE

TF 5A_502/2022 du 23 septembre 2022 | Suspension d'un procès civil en cas de faillite (art. 207 al. 1 LP) – inapplicabilité à la décision de mainlevée

  • En cas de faillite, l'art. 207 al. 1 LP permet la suspension du procès civil auquel le failli est partie et qui influe sur l'état de la masse. Selon la doctrine et la jurisprudence, le litige doit porter sur des prétentions de droit civil matériel (consid. 3.2).
  • Or, in casu, la décision qui accorde ou refuse la mainlevée est une pure décision d'exécution forcée dont le seul objet est de dire si la poursuite peut continuer ou si le créancier est renvoyé à agir par la voie d'un procès ordinaire, de sorte que la procédure y relative ne saurait être qualifiée de procédure civile au sens de l'art. 207 al. 1 LP
    (consid. 3.2).
  1. ENTRAIDE INTERNATIONALE

Footnotes

1. Voir également arrêt 6B_1325/2020 du 18 mai 2022, consid. 2.3.

2. Arrêts 6B_346/2021 du 29 octobre 2021 consid. 1.3; 6B_314/2021 du 29 octobre 2021 consid. 1.3; 1B_789/2012 du 24 janvier 2013
consid. 2.2.

3. Arrêt 1B_789/2012 du 24 janvier 2013 consid. 2.2.

4. Arrêts 6B_119/2013 du 11 avril 2013 consid. 1; 1B_109/2011 du 15 mars 2011 consid. 2.

5. Arrêts CourEDH Anakomba Yula c. Belgique du 10 mars 2009, requête n° 45413/07, § 34 ss; Moldovan et autres c. Roumanie du 12 juillet 2005, requêtes n° 41138/98 et 64320/01; Schuler-Zgraggen c. Suisse du 24 juin 1993, requête n° 14518/89, § 64 ss, dans lesquels une discrimination dans l'accès à la justice a été admise lorsque la discrimination était fondée sur le sexe ou l'origine de l'intéressé[e], qui voyait son droit d'accès à un tribunal limité de manière contraire aux garanties conventionnelles.

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