Le 8 juin dernier, le Tribunal de l'Union Européenne a tranché un litige opposant depuis plus de cinq années deux célèbres sociétés : la californienne APPLE INC à l'horloger suisse Swatch AG.

Pour mémoire, Apple a lancé en 1997 son emblématique campagne publicitaire THINK DIFFERENT (utilisée jusqu'en 2002) mettant en scène en noir et blanc des personnalités marquantes du passé ou contemporaine telles que : Albert Einstein, Bob Dylan, Martin Luther King, John Lennon, Muhammad Ali, Maria Callas, Pablo Picasso, Mahatma Gandhi, et bien d'autres (pour plus d'informations : Think different — Wikipédia et pour les plus curieux Apple - Think Different - Full Version - YouTube).

Ce slogan a fait l'objet de trois dépôts de marques de l'Union Européenne en classe 9 en 1997 (n°671321), 1998 (n°845461) et 2005 (n° 4415063).

En octobre 2016, Swatch a déposé trois demandes en déchéance desdites marques.

En effet, les deux parties s'affrontent sur plusieurs territoires (Portugal, République Tchèque, Israël, Albanie, Moldavie, Suisse, Islande, Roumanie), Swatch exploitant pour sa part la campagne publicitaire « Tick Different ».

En défense, Apple a déposé divers éléments de preuves d'usage tels que :

  • Une déclaration témoin de son directeur juridique reprenant l'historique, les détails du lancement de la campagne publicitaire, les récompenses reçues pour cette campagne, les dépenses publicitaires, les chiffres de vente de 1994 à 2016. Cette déclaration était accompagnée de photographies non datées, d'étiquettes apposées sur les emballages d'un IMAC
  •  Un article du site Internet  www.macrumors.comainsi que différents  articles de magazines : Forbes 2012 2015, Telegraph (2012), Time (2015) relatifs à Apple
  •  Divers articles datés de 1998 à 2011 sur la campagne marketing elle-même (Wall street journal, Forbes, Advertising Age)
  • Des récompenses, des photos tirées du livre THINK DIFFERENT de 1998
  • D'autres nombreux articles publiés entre 1997 et 2016 sur la campagne publicitaire, des parodies, la comédie musicale NERDS à Broadway.
  • Des rapports annuels datés  (2009 2010 2013 2015

En août 2018, la division d'annulation de l'EUIPO a prononcé la déchéance des 3 marques, et les recours formés par APPLE ont été rejetés en seconde instance. Apple tente donc de nouveau sa chance devant le Tribunal de l'EU. Sans plus de succès.

En effet, le tribunal rejette tout d'abord les preuves fournies pour la 1ere fois devant lui, son rôle étant de contrôler la légalité des décisions rendues par les chambres des recours, et non pas d'examiner de nouveaux éléments, quand bien même ceux-ci sont fournis dans le but de réexaminer les circonstances du dossier (cf. Arrêt du 27 février 2018 GRABERG contre EUIPO).

Ensuite, il examine de nouveaux les preuves fournies afin de s'assurer que celles-ci ont été correctement appréciées pour la période concernée par la déchéance (cf. cinq ans précédant la demande en déchéance soit du 14 octobre 2011 au 13 octobre 2016).

Il rappelle que cette appréciation de l'usage sérieux doit être faite sur la base d'une appréciation globale en tenant compte de tous les facteurs du cas d'espèce. Il doit être démontré de manière concrète et objective.

Sur le niveau d'attention du public pertinent et les photographies/étiquettes fournies  : s'il reconnait que le niveau d'attention des consommateurs concernés par ce type de produits est élevé, les étiquettes ici fournies montraient la marque à un seul endroit, sur un espace insignifiant sur l'emballage à côté du code barre et  après de longues spécifications techniques. Or, même ce type de consommateur n'examine pas les emballages dans leur moindre détail. Ces éléments ne pouvaient prouver un usage sérieux du fait de leur taille et emplacement. Il ne s'agit donc pas d'un usage à titre de marque pour le Tribunal.

Sur les chiffres de vente des ordinateurs sur l'ensemble de l'EU : la déclaration du directeur juridique d'Apple, qui n'est pas une personne indépendante, est logiquement considérée comme moins fiable qu'une personne tierce ou indépendante. Cette déclaration n'est donc pas à elle seule suffisante et doit être corroborée par d'autres éléments probants, ce qui n'est pas le cas ici car les chiffres de vente annoncés contiennent uniquement des informations sur les ventes mondiales nettes d'ordinateurs IMAC sans répartition pour l'UE.

Sur l'usage en combinaison avec une autre marque MACINTOSH ou MAC : si ce type d'usage combiné peut en théorie être accepté, il s'agit d'une appréciation au cas par cas, et sous réserve que la marque qui est combinée continue d'être perçue comme une indication de l'origine du produit. Or ici, THINK DIFFERENT apparaissait dans une taille réduite que Macintosh dans le même format.

Sur les articles de presse évoquant le succès de la campagne publicitaire au moment de son lancement : ces éléments sont antérieurs de plus de 10 ans à la période à prendre en considération. Ils ne sont donc également pas suffisants.

Conclusion : « On ne peut pas être et avoir été » (Nicolas de Chamfort). La notoriété du passé ne peut venir au secours d'une marque qui n'est plus utilisée.

Il appartient à chaque titulaire de marque de l'exploiter, mais aussi de constituer au fil du temps, de manière régulière, des preuves de cet usage adéquates et acceptables.

08/06/2022, affaires T‑26/21 à T‑28/21, Apple /EUIPO – Swatch (THINK DIFFERENT).  Lire La décision.

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