Cette newsletter présente cinq décisions de justice notables rendues au cours des derniers mois:
- Le salarié qui séjourne à l'étranger durant son arrêt maladie n'a pas le droit au versement des indemnités journalières de sécurité sociale (Cass. civ., 2e ch., 5 juin 2025, n° 22-22.834 FSBR)
En cas d'arrêt maladie ou d'accident non professionnel, les salariés peuvent percevoir des indemnités journalières de sécurité sociale (IJSS) versées par la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM). Le versement des IJSS est subordonné au respect de diverses conditions, notamment celle de se soumettre aux contrôles médicaux effectués par le service du contrôle de la sécurité sociale. Si ces contrôles deviennent impossibles, la CPAM est en droit de suspendre le versement des indemnités.
Jusqu'à l'année dernière, le règlement intérieur des CPAM imposait une autorisation préalable pour quitter la circonscription de la caisse. Le Conseil d'État a censuré cette exigence en novembre 2024, tout en rappelant que, même en cas de déplacement temporaire, le malade devait pouvoir remplir ses obligations, notamment celle d'être à la disposition de la sécurité sociale pour tout contrôle.
Dans ce contexte, la Cour de cassation a été appelée à se prononcer sur le droit des assurés se rendant temporairement à l'étranger de continuer à percevoir des IJSS.
Une salariée en arrêt maladie avait séjourné plus de deux mois en Tunisie sans l'autorisation préalable de sa CPAM, mais avec l'accord de son médecin. La CPAM, informée de ce séjour, exige d'elle le remboursement des IJSS versées et lui délivre une contrainte. L'assurée conteste cette décision devant le tribunal judiciaire, en se fondant sur l'accord médical et sur le fait que son traitement (port d'une ceinture de contention) ne rendait pas indispensable sa présence pour un contrôle de la CPAM. Le tribunal judiciaire lui donne raison et annule la contrainte. La CPAM forme alors un pourvoi en cassation.
La Cour de cassation censure la décision du tribunal judiciaire. Elle juge que, dès lors qu'un déplacement temporaire hors de France rend impossible tout contrôle par l'organisme de sécurité sociale, empêchant ainsi la vérification du respect des obligations de l'assuré, les IJSS ne peuvent être versées durant ce séjour, et ce indépendamment de l'autorisation donnée par le médecin traitant. Cette règle s'applique sous réserve des conventions internationales et des règlements de l'Union européenne.
- Est justifié le licenciement du salarié dont les méthodes de management sont caractérisées par la dévalorisation et la dégradation des conditions de travail de ses subordonnés (Cass. soc., 4 juin 2025, n° 23-20.600 D)
Un salarié, occupant les fonctions de manager au sein de la direction des risques groupe d'une société d'assurance, est licencié pour faute grave en raison de propos dévalorisants et désobligeants tenus à l'égard des membres de son équipe, tels que : « Je te croyais capable de mieux », « Ah tiens, tu es là, toi » (adressé à une salariée à temps partiel), ou encore « On te connaît, tu es toujours en retard sur tes dossiers ». Selon l'employeur, ces comportements avaient instauré un climat de crainte au sein de l'équipe, dégradé les conditions de travail des collaborateurs, et révélé un déficit d'accompagnement managérial, caractérisant un manquement à l'obligation de sécurité de l'intéressé.
Le manager conteste son licenciement devant la juridiction prud'homale, arguant que les difficultés relationnelles invoquées n'étaient pas de nature à rendre impossible son maintien dans l'entreprise, compte tenu de ses vingt-huit ans d'ancienneté, de l'absence de sanctions disciplinaires antérieures, et du fait que ses entretiens annuels n'avaient jamais relevé de comportement inapproprié. Il invoque également son droit à la liberté d'expression pour justifier les propos tenus.
Cependant, la Cour de cassation confirme le licenciement pour faute grave. Elle estime que l'ancienneté du manager, l'absence de difficultés relationnelles antérieures ou de sanctions disciplinaires ne sauraient l'exonérer de sa responsabilité, compte tenu de l'impact des faits reprochés sur la santé des salariés placés sous son autorité, qui rendait impossible son maintien dans l'entreprise. La faute grave était donc caractérisée.
L'obligation individuelle de sécurité incombant aux managers a été à plusieurs reprises mise en avant par la Cour de cassation cette année, soulignant la nécessité d'y accorder une attention particulière.
- L'employeur doit s'assurer que le poste du salarié apte avec réserve est conforme aux préconisations du médecin du travail dans tous les lieux où le salarié est appelé à intervenir, y compris chez les entreprises clientes (Cass. soc., 11 juin 2025, n° 24-13.083 F-B)
Un salarié, chargé de livraisons dans des supermarchés, est victime d'un accident du travail. Lors de la visite médicale de reprise, le médecin du travail le déclare apte, sous réserve qu'il ne tire ni ne pousse de charges sans l'aide d'un chariot électrique pendant 5 mois. L'employeur affecte le salarié à un nouveau site équipé de transpalettes électriques, mais ne vérifie pas si tous les supermarchés de sa tournée disposent de cet équipement. Le salarié saisit alors le conseil de prud'hommes, demandant la résiliation judiciaire de son contrat pour non-respect par l'employeur de son obligation de sécurité.
En appel, l'employeur argue qu'il n'a pas à garantir le respect des préconisations médicales par des sociétés tierces et que le salarié aurait dû signaler l'absence de transpalettes électriques. Les juges du fond lui donnent raison.
La Cour de cassation, en revanche, censure cette décision. Elle rappelle que l'employeur, tenu à une obligation de sécurité, doit garantir l'application des mesures préconisées par le médecin du travail dans tous les lieux où le salarié intervient, y compris chez les entreprises clientes. Il ne peut adopter une attitude passive en présumant la conformité des lieux en l'absence de réclamation du salarié.
- Le non-respect de la durée de repos quotidien ouvre automatiquement droit à réparation (Cass. soc., 2 avril 2025, n° 23-23.614 FD)
Le directeur d'une business unit, soumis à une convention de forfait en jours, prend acte de la rupture de son contrat de travail et saisit la juridiction prud'homale de diverses demandes. Il reproche notamment à son employeur de ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour garantir une amplitude et une charge de travail raisonnables, assurant une bonne répartition du travail dans le temps.
Parmi ses demandes, le salarié réclame des dommages-intérêts pour non-respect du repos quotidien de 11 heures consécutives. La Cour d'appel rejette cette demande, estimant que le salarié ne prouvait ni l'existence ni l'étendue du préjudice lié au non-respect du repos quotidien.
La Cour de cassation casse l'arrêt, rappelant que tout salarié doit bénéficier d'un repos quotidien d'au moins 11 heures consécutives, et qu'il s'agit d'une règle essentielle à la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs. Elle précise qu'il appartient à l'employeur de démontrer le respect des seuils et plafonds de durée du travail. En conséquence, le non-respect du droit au repos quotidien, lorsque l'employeur ne peut en prouver l'effectivité, ouvre automatiquement droit à des dommages-intérêts, sans que le salarié ait à établir l'existence d'un préjudice.
- L'employeur qui, dès qu'il est informé de la souffrance au travail d'une salariée, prend les mesures nécessaires pour la protéger, ne peut être tenu responsable d'un manquement à son obligation de sécurité (Cass. soc., 9 avril 2025, n° 23-22.121 FD)
Une salariée, licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement, conteste son licenciement devant le conseil de prud'hommes. Elle soutient avoir été victime de harcèlement moral et reproche à son employeur de ne pas avoir rempli son obligation de sécurité. Selon elle, les difficultés rencontrées avec sa supérieure hiérarchique et le management qu'elle subissait avaient engendré une souffrance au travail à l'origine de son inaptitude.
L'employeur, pour sa part, affirmait avoir réagi immédiatement dès qu'il avait été informé de la situation en mettant en Suvre plusieurs mesures :
- un suivi de la salariée assuré par le médecin du travail et la direction des ressources humaines;
- le lancement d'une enquête interne pour identifier les causes des difficultés évoquées et y remédier;
- un suivi régulier de l'évolution de sa situation;
- la mise à disposition d'un psychologue.
Dans ces conditions, tant la Cour d'appel que la Cour de cassation ont débouté la salariée de ses demandes, estimant que l'employeur, en prenant les mesures nécessaires dès la prise de connaissance de sa souffrance au travail, avait bien rempli son obligation de sécurité et ne pouvait ainsi être tenu responsable du défaut de protection de sa santé physique et mentale.
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