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30 October 2024

Bulletin Concurrence XII

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McDermott Will & Emery

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NOUVEAU RISQUE DE REMISE EN CAUSE À POSTERIORI D'OPÉRATIONS NON NOTIFIABLES
France Antitrust/Competition Law

1. CONTENTIEUX

NOUVEAU RISQUE DE REMISE EN CAUSE À POSTERIORI D'OPÉRATIONS NON NOTIFIABLES

Par une décision du 2 mai 2024, l'Autorité de la concurrence (ci-après l' « Autorité ») a fait pour la première fois application de la récente jurisprudence européenne Towercast dans une affaire d'entente anticoncurrentielle.

Pour rappel, dans un arrêt Towercast du 16 mars 2023, la Cour de Justice de l'Union européenne (ciaprès « CJUE ») a considéré qu'une opération de concentration qui n'est pas notifiable (car en-dessous des seuils de contrôlabilité européens et nationaux) et n'a pas fait l'objet d'un renvoi au titre de l'article 22 du règlement n°139/2004 de 2004 sur le contrôle des concentrations, est susceptible d'être remise en cause a posteriori par la Commission européenne ou une autorité nationale de concurrence, si une pratique anticoncurrentielle (en l'espèce, un abus de position dominante), résultant de la concentration mais détachable de celle-ci, peut être établie.

Dans l'affaire examinée par l'Autorité, les trois principaux équarisseurs français avaient signé en juin 2015 plusieurs cessions croisées de fonds de commerce constituant en tant que telles des opérations de concentration. Or les seuils de contrôlabilité prévus à l'article L. 430-2 du code de commerce n'étant pas franchis, ces opérations n'avaient pas été notifiées auprès de l'Autorité au titre du contrôle des concentrations.

Cependant, les services d'instruction de l'Autorité ont décidé d'ouvrir une procédure, non pas sur le fondement d'un abus de position dominante, mais sur celui des ententes prévu aux articles 101 TFUE et L. 420-1 du code de commerce et de notifier des griefs à ces trois acteurs, leur reprochant de s'être entendus en vue d'une répartition géographique du marché, élaborée notamment à l'aide de multiples réunions et échanges d'informations préalables puis réalisée par le biais des cessions croisées de fonds de commerce en question.

Dans sa décision n°24-D-05, l'Autorité a considéré toutefois que les éléments du dossier ne permettent pas de démontrer en l'occurrence l'existence d'un accord de volonté en vue de la réalisation d'un plan global de répartition géographique des marchés de l'équarrissage en France. Selon l'Autorité, les discussions entre les entreprises parties à l'opération de concentration se sont inscrites strictement dans le cadre des discussions préparatoires à ladite opération.

En revanche, l'Autorité a affirmé que la signature des accords de cessions réciproques démontre l'existence d'un accord de volonté en vue de la réalisation des opérations de concentration. Transposant de manière inédite la jurisprudence Towercast à la situation d'une entente anticoncurrentielle, l'Autorité a recherché alors si ces opérations de concentration étaient susceptibles, à elles seules, de constituer une entente anticoncurrentielle contraire aux articles 101 TFUE et L. 420-1 du code de commerce.

Sur ce point, l'Autorité a néanmoins considéré que les accords de cessions réciproques n'avaient pas, au regard de leur teneur et du contexte économique et juridique, d'objet anticoncurrentiel et que les éléments du dossier ne permettaient pas d'analyser les effets de ces opérations sur le marché concerné.

Par conséquent, l'Autorité a décidé de s'écarter de la position de ses services d'instruction et de prononcer un non-lieu dans cette affaire.

ANNULATION D'UNE DÉCISION DE L'AUTORITÉ SUR LE FONDEMENT DE LA JURISPRUDENCE TOWERCAST

Par un arrêt en date du 27 juin 2024, la Cour d'appel de Paris a annulé la décision de l'Autorité, qui avait conclu au rejet de la plainte de l'entreprise Towercast contre l'entreprise TDF. 

Pour rappel, l'opération de concentration par laquelle TDF a racheté Itas était située en dessous des seuils de notification et n'a donc été soumise à aucune procédure de contrôle préalable des concentrations.

Dans cette affaire, si les services d'instruction de l'Autorité avaient suivi la position de Towercast en notifiant à TDF un grief d'abus de position dominante, en ce que l'opération était susceptible d'avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur le marché aval de gros des services de diffusion de la TNT, le Collège de l'Autorité lui avait considéré que le grief d'abus de position dominante notifié n'était pas établi.

Saisie par Towercast, la Cour d'appel de Paris avait, par un arrêt en date du 1er juillet 2021, posé une question préjudicielle à la CJUE afin de déterminer si une opération de concentration sous les seuils de notification pouvait être analysée par une autorité de concurrence d'un État membre comme étant constitutive d'un abus de position dominante. Cette possibilité a été reconnue par la CJUE, tel que développé dans la précédente actualité (voir cidessus).

Dans le présent arrêt, la Cour d'appel a fait droit à la demande de Towercast, faisant ainsi application de la jurisprudence Towercast de la CJUE. Elle a par conséquent annulé la décision de l'Autorité et décidé de lui renvoyer l'affaire pour instruction complémentaire, afin que celle-ci examine le caractère potentiellement anticoncurrentiel de l'opération de concentration litigieuse.

En effet, la Cour d'appel a estimé ne pas disposer d'éléments suffisants pour statuer sur le grief notifié étant donné, notamment, qu'afin de déterminer si une pratique avait la capacité effective et concrète de produire un effet d'éviction, l'évolution réelle du marché peut revêtir une importance particulière lorsqu'un laps de temps significatif s'est écoulé depuis que la pratique a eu lieu.

Par conséquent, la Cour d'appel a conclu qu'au vu du laps de temps important s'étant écoulé depuis la réalisation de l'opération de concentration, une instruction complémentaire par l'Autorité est nécessaire afin de déterminer si l'opération de concentration n'entrave pas substantiellement la concurrence.

« À la lumière de l'ensemble de ces développements de jurisprudence, la Cour estime qu'en l'espèce, un laps de tempsimportant s'étant écoulé depuis la réalisation de l'opération de concentration litigieuse, il importe de s'assurer, de manière concrète, de la capacité alléguée de l'opération en cause à entraver substantiellement la concurrence sur la face aval du marché de gros de la diffusion de la TNT, en fonction du niveau de dépendance des diffuseurs alternatifs, actuels voire potentiels, à l'égard des infrastructures de TDF ».

Il convient de noter qu'un pourvoi en cassation a été formé à l'encontre de cet arrêt. 

LE TRIBUNAL DE COMMERCE DE MARSEILLE SURSOIT À STATUER DANS L'AFFAIRE DES COMPOTES

Par un jugement en date du 28 mai 2024, le Tribunal de commerce de Marseille, saisi par la société Carrefour d'une action en follow-on dans l'affaire des compotes, a décidé de sursoir à statuer dans l'attente de l'arrêt de la Cour de cassation. 

Pour rappel, l'Autorité avait sanctionné en 2019 sept producteurs de compotes, dont la société Charles Faraud, pour s'être concertés sur les prix et les volumes vendus sous marque distributeur à la grande distribution, dont la société Carrefour. La Cour d'appel de Paris avait réduit l'amende prononcée par l'Autorité dans un arrêt du 6 octobre 2022.

En l'espèce, le Tribunal marseillais a précisé qu'afin de trancher le litige, il convient au préalable d'acter de manière certaine et définitive la décision de l'Autorité en ce qu'elle a sanctionné une partie à l'instance pour sa participation à l'entente anticoncurrentielle dans le secteur des compotes. Or, en l'espèce, tel n'est pas le cas puisque la décision a fait l'objet d'un arrêt de la Cour d'appel de Paris qui n'est pas définitif dès lors qu'un pourvoi en cassation a été formé. La décision de l'Autorité revêt donc un caractère incertain.

En effet, la Cour de cassation a la possibilité, si elle accueille le premier moyen du défendeur, la société Charles Faraud, qui conteste la qualification d'entente sur les prix, d'annuler la sanction infligée, si elle estime que la participation à l'entente de l'entreprise en cause n'est pas établie. De plus, la Cour de cassation a également la possibilité d'accueillir le second moyen, réduisant le montant de l'amende infligée au défendeur et par conséquent celui d'éventuels dommages et intérêts pouvant être demandés par la société Carrefour. En effet, par son second moyen, le défendeur fait grief à l'arrêt de la Cour d'appel de ne pas avoir écarté sa participation aux pratiques entre décembre 2011 et juillet 2013, alors qu'il n'avait participé à aucune réunion anticoncurrentielle durant cette période.

Par conséquent, le Tribunal a considéré qu'il est de l'intérêt d'une bonne administration de la justice de sursoir à statuer.

Toutefois, il convient de mentionner que dans un jugement en date du 15 décembre 2023, concernant également une action en follow-on dans l'affaire des compotes, le Tribunal de commerce de Bordeaux, a lui refusé de sursoir à statuer.

En effet, il a estimé que les faits reprochés au défendeur ne seraient pas modifiés par l'arrêt de la Cour de cassation, qui ne jugera qu'en droit. Ainsi, le Tribunal de commerce de Bordeaux a conclu qu'il était en mesure de se prononcer en toute certitude sur l'affaire pendante et a donc refusé la demande de sursis à statuer.

Par conséquent, ce sont les deux moyens du pourvoi en cassation soulevés par le défendeur dans la présente instance qui ont justifié aux yeux du Tribunal de commerce de Marseille le sursis à statuer..

ENTENTE DANS LE SECTEUR DES PRODUITS PRÉFABRIQUÉS EN BÉTON : SANCTION DE 76 MILLIONS D'EUROS

Le 3 juin 2024, l'Autorité a sanctionné onze entreprises pour avoir mis en Suvre quatre ententes anticoncurrentielles et une pratique d'obstruction à l'instruction. 

Il convient de mentionner dans cette affaire le recours à la procédure pénale lors de la phase d'enquête, et non à la procédure administrative habituelle prévue par l'article L. 450-4 du code de commerce.

En effet, les pratiques ont, notamment, été révélées par une information judiciaire ouverte par le procureur de la République de Paris à la suite d'un signalement de la rapporteure générale de l'Autorité d'une possible infraction à l'article L. 420-6 du code de commerce, sur le fondement de l'alinéa 2 de l'article 40 du code de procédure pénale. 

À la suite d'opérations de visites et saisies, deux entreprises concernées ont présenté des demandes de clémence, dont le bénéfice conditionnel leur a été accordé.

S'agissant de la procédure, l'Autorité a contesté l'existence d'un détournement de procédure allégué par les entreprises mises en cause. Selon ces dernières, l'Autorité aurait procédé au signalement afin de pouvoir bénéficier des pouvoirs d'enquête étendus du juge pénal et ce signalement aurait dû se faire sur le fondement de l'article L. 462-6 du code de commerce et non de l'article 40 du code de procédure pénale. Or l'Autorité a considéré que les procédures administrative et pénale sont indépendantes et peuvent donner lieu à une coopération avec le juge pénal.

La première entente sanctionnée a concerné les éléments préfabriqués en béton vendus aux entreprises de construction. L'Autorité a considéré que plusieurs entreprises ont, pendant une dizaine d'années, fixé ensemble les prix de vente des produits et se sont réparti les volumes de chantiers en faussant la concurrence lors de procédures d'appels d'offres. L'enquête a révélé que plusieurs réunions secrètes ont permis la mise en Suvre de la concertation en cause, par le biais d'échanges d'informations commercialement sensibles.

La deuxième entente a porté sur les éléments préfabriqués en béton vendus aux constructeurs de maisons individuelles et aux négoces. L'Autorité a précisé que les échanges ont eu lieu généralement une fois par an sur une période totale de sept ans, par le biais de réunions ou de conversations téléphoniques,

La troisième entente a concerné les charpentes en béton. L'Autorité a considéré que les entreprises sanctionnées se sont échangées des informations sensibles, portant sur les prix, dans le cadre d'appels d'offres relatifs à des chantiers de charpentes en béton. La durée de l'infraction a été estimée à 7 ans bien qu'une période d'interruption d'un peu moins de 3 ans a été reconnue par l'Autorité.

Enfin, la quatrième et dernière entente a été caractérisée par la conclusion de plusieurs accords bilatéraux entre deux entreprises. L'Autorité a constaté que les contrats signés prévoyaient une clause d'exclusivité des produits d'une des entreprises au bénéfice de l'autre, ainsi qu'une clause de non-débauchage. De plus, l'Autorité a également constaté que les parties ont régulièrement échangé dans le but de se répartir les clients et fixer les prix de leurs prestations.

Par ailleurs, un cabinet d'avocats, soupçonné d'avoir joué un rôle de facilitateur d'entente, a été mis en cause par les services d'instruction de l'Autorité en raison des conseils prodigués par celui-ci aux entreprises sanctionnées. Or, l'Autorité a prononcé un non-lieu sur ce grief.

L'Autorité a ainsi infligé une sanction globale d'un montant de 76 645 000 euros répartie entre les onze entreprises mises en cause. Il convient de souligner qu'une de ces entreprises a également fait l'objet d'une amende supplémentaire pour obstruction à l'instruction, en ce qu'elle aurait transmis une information erronée à une demande d'informations des services d'instruction. L'erreur a été spontanément rectifiée après l'envoi de la notification des griefs, mais l'Autorité a considéré qu'il s'agissait d'un délai trop important.

PRIMAUTÉ DU DROIT EUROPÉEN : LE COMMERCE ENTRE ÉTATS MEMBRES DOIT ÊTRE AFFECTÉ SENSIBLEMENT

À la faveur d'un arrêt rendu le 15 mai 2024, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a précisé que, pour pouvoir invoquer la primauté du droit de l'Union européenne, encore faut-il que le commerce entre États membres soit susceptible d'être affecté de façon sensible.

En l'espèce, le litige portait sur la dénonciation par la société Carrefour d'un contrat de location-gérance d'une supérette sous enseigne Carrefour, et plus particulièrement sur le non-respect par le locataire gérant de la clause de non-concurrence figurant dans le contrat. Selon Carrefour, le locataire-gérant, qui s'était réinstallé à proximité de la supérette Carrefour au sein d'une supérette d'une enseigne concurrente, a violé la clause de non-concurrence prévue par le contrat. 

Il convient de rappeler que la Cour d'appel a jugé que la licéité de cette clause n'était pas établie avec l'évidence requise en référé. Ainsi, la société Carrefour a formé un pourvoi en cassation.

Dans son pourvoi, la société a soutenu que le droit national ne peut pas interdire des accords qui n'ont pas pour effet de restreindre la concurrence au sens de l'article 101 TFUE ou qui sont soumis aux exemptions prévues par le règlement sur les accords verticaux, invoquant ainsi la primauté du droit européen de la concurrence.

Par conséquent, la société a fait valoir que la clause de non-concurrence prévue au contrat de locationgérance, considérée comme illicite par la Cour d'appel, ne l'est pas au sens du droit de l'Union.

La Cour de cassation a rappelé que pour qu'un accord puisse relever du droit de la concurrence de l'Union, et notamment de l'article 101 TFUE, celui-ci doit affecter sensiblement le commerce entre États membres.

La Cour a également précisé que le fait que la pratique ne tombe pas sous le coup de l'article 101 TFUE, ne signifie pas que celle-ci ne puisse pas entrer dans le champ d'application des dispositions internes de droit de la concurrence, fussent-elles plus sévères.

« Le fait que, faute d'entrer dans le champ d'application de l'article 101 du TFUE, lequel est limité aux ententes qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres, une pratique ne tombe pas sous le coup de l'interdiction édictée par cet article ne fait nullement obstacle à ce que cette pratique soit considérée par les autorités nationales sous l'angle des effets restrictifs qu'elle peut produire dans le cadre interne et ne les empêche pas d'appliquer à ces accords des dispositions du droit interne de la concurrence éventuellement plus strictes que le droit de l'Union en la matière ».

Ainsi, la Cour de cassation a conclu que le moyen est irrecevable. 

LA DGCCRF SANCTIONNE LES MEMBRES DE DEUX GROUPEMENTS DE TAXIS DE LA VILLE DU HAVRE POUR ENTENTE

Les investigations de la Brigade interdépartementale d'enquête de concurrence ont révélé deux pratiques d'ententes entre les membres de deux groupements de taxis du Havre.

En l'espèce, certaines clauses des statuts et du règlement intérieur de ces groupements ont restreint la concurrence en limitant le nombre d'associés, alors que l'adhésion à ces structures conditionne l'accès au marché.

En effet, certains candidats à l'adhésion se sont vu refuser l'accès aux groupements alors qu'ils étaient titulaires d'une licence de taxi délivrée par les pouvoirs publics du Havre. Par ailleurs, les candidats à l'adhésion qui n'avaient pas acquis leur licence de taxi auprès d'un sociétaire devaient s'acquitter d'un droit d'entrée de 30 000 euros. Enfin, un membre pouvait être exclu du groupement s'il avait adhéré à un groupement concurrent.

Le 25 avril 2024, l'un d'eux a accepté le paiement d'une amende transactionnelle d'un montant de 52 000 euros, tandis que l'autre, après avoir volontairement décidé de sa dissolution, en a été dispensé.

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