Cet article a été rédigé en collaboration avec Charles Auclair, étudiant en droit.
Aperçu
Le 22 juin 2023, la Cour d'appel du Québec rendait jugement dans l'affaire Bernard c. Collège Charles-Lemoyne de Longueuil inc.1, rejetant l'appel du jugement prononcé par l'Honorable Pierre-C. Gagnon de la Cour supérieure, le 17 février 20222. Ce dernier avait rejeté la demande d'annulation des avis et des formulaires déposés au terme de la période d'exclusion des membres faisant suite à l'autorisation de l'action collective.
Contexte
Le 16 juillet 2021, l'exercice d'une action collective a été autorisée contre l'ensemble des établissements d'enseignement privés de niveaux primaire et secondaire de la Communauté métropolitaine de Montréal. La demande, déposée au nom des parents d'élèves, visait à obtenir un remboursement partiel des frais de scolarité payés pour l'année scolaire 2019-2020, au motif qu'une partie de l'enseignement n'aurait pas été offert en raison de la pandémie de la COVID-19.
Suite à l'autorisation, l'avis aux membres approuvé par le Tribunal a été transmis par l'entremise des canaux de communication habituels entre les établissements scolaires et les parents. À l'échéance du délai d'exclusion, le greffe de la Cour avait reçu plus de 24 900 formulaires d'exclusion. Selon les demandeurs, les défenderesses auraient transmis, en plus des communications aux membres contenant les avis officiels approuvés par le Tribunal, des incitations à transmettre un formulaire d'exclusion. Ils demandaient donc l'annulation des formulaires d'exclusion.
La décision de la Cour supérieure
La Cour supérieure a rejeté la demande d'annulation des avis et des formulaires d'exclusion.
Dans son jugement, le juge Gagnon a résumé d'emblée les principes clés quant à la communication avec les membres durant l'instance d'une action collective. Il a souligné, entre autres, que le droit d'exclusion constitue une caractéristique essentielle de ce type de recours, et donc, qu'une partie en défense dispose du droit de s'adresser aux membres, même durant la période d'exclusion. Il a cependant précisé que ce droit n'est pas absolu. En effet, un demandeur peut faire la preuve que les propos et agissements d'une partie en défense envers les membres constituent de l'intimidation, des menaces, de la désinformation ou de fausses représentations.
Le juge Gagnon s'est ensuite livré à une analyse détaillée des comportements des défenderesses, notamment en ce qui concerne leur liberté d'expression. En effet, bien que la preuve révélait que certaines défenderesses avaient déployé une campagne militante, aucun des membres visés n'a témoigné à l'effet qu'il aurait subi des comportements menaçants, intimidants ou trompeurs. Le juge Gagnon a en outre conclu que la mention qu' « [...] un pourcentage important de ces frais sera perçu par les avocats qui ont entrepris le recours, pour leur propre bénéfice », dans une lettre type adressée aux membres, ne dépassait pas les bornes. Il a finalement précisé que le nombre important d'exclusions ne pouvait justifier à lui seul l'annulation des formulaires.
La décision de la Cour d'appel
Les avocats du groupe ont porté le jugement de la Cour supérieure en appel. Afin de conclure au rejet de l'appel, la Cour d'appel a entre autres analysé le caractère des communications litigieuses.
La Cour d'appel a d'abord constaté l'absence de disposition législative expresse et le peu de jurisprudence québécoise concernant la question des communications entre les parties. Elle a tout de même fait mention du principe acquis selon lequel les défenderesses ne peuvent s'adresser directement aux membres de l'action collective une fois la période d'exclusion terminée et la composition du groupe arrêtée. Elle a ajouté qu'à l'opposé, avant la fin du processus d'exclusion, une plus grande liberté est reconnue.
Ensuite, afin d'évaluer le caractère des communications pendant la période d'exclusion, la Cour d'appel s'est basée sur l'approche préconisée par les tribunaux ontariens. Il s'agit en fait de vérifier l'équilibre fragile entre la liberté d'expression des parties en défense à une action collective et les principes inhérents au régime de l'action collective. De cette manière, les tribunaux pourront sanctionner toute démarche considérée comme de la désinformation, des menaces, quelconque forme de coercition ou compromettant d'une autre manière l'intégrité du processus d'exclusion. La Cour d'appel a souligné que l'objectif en ces matières est de permettre aux membres potentiels de prendre une décision libre et éclairée quant à leur participation à l'action collective.
Après analyse, la Cour d'appel a jugé qu'il n'est pas opportun d'intervenir même si le comportement des défenderesses se situait « à la frontière de qui est acceptable ».
La Cour d'appel n'a toutefois pas manqué de rappeler que dans certaines circonstances, le fait qu'une partie en défense profite de la transmission de l'avis pour informer des membres potentiels de sa perception de l'action collective et les encourager à s'exclure pourrait ternir le mécanisme d'exclusion.
Conclusion
Finalement, le jugement rendu dans l'affaire Bernard c. Collège Charles-Lemoyne de Longueuil inc. a confirmé un principe fondamental, soit le droit pour les parties en défense, à certaines conditions, de communiquer avec les membres potentiels pendant la période d'exclusion. Cependant, ces communications ne doivent en aucun temps constituer de l'intimidation, des menaces ou encore de fausses déclarations. Mais où tracer la ligne? Il sera intéressant de suivre l'évolution de la jurisprudence à ce sujet afin de constater comment les tribunaux appliqueront le cadre proposé par la Cour d'appel dans de futures situations similaires.
Footnotes
1. Bernard c. Collège Charles-Lemoyne de Longueuil inc., 2023 QCCA 854.
2. Bernard c. Collège Charles-Lemoyne de Longueuil, 2022 QCCS 555.
The content of this article is intended to provide a general guide to the subject matter. Specialist advice should be sought about your specific circumstances.