Dans une décision rendue le 20 mai 2021, la Cour d'appel fédérale (« CAF ») a confirmé la décision de la Cour canadienne de l'impôt selon laquelle les milles Aéroplan accordés à une banque canadienne (la « Banque ») dans le cadre du programme de fidélisation en milles Aéroplan (le « programme Aéroplan ») font partie de la fourniture unique de services de promotion et de mise en marché par Société en commandite Aéroplan (« Aéroplan ») à la Banque et qu'ils sont de ce fait, assujettis à la TPS/TVH.

  • Les principaux arguments soulevés en appel par la Banque étaient les suivants : (i) la fourniture de service d'Aéroplan consistait à fournir des milles Aéroplan aux clients de la Banque, (ii) les milles Aéroplan doivent par conséquent avoir été l'élément prédominant de la fourniture du service par Aéroplan aux termes de la convention, (iii) les milles Aéroplan sont des « certificats-cadeaux » au sens de la Loi sur la taxe d'accise (la « Loi »).
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  • La CAF a rejeté l'appel de la Banque et a conclu que le juge de la Cour de l'impôt n'avait pas commis d'erreur dans son interprétation voulant que la fourniture prédominante constitue une fourniture unique de services promotionnels et de mise en marché. Toutefois, la CAF a décidé de ne pas se prononcer sur la question de savoir si les milles Aéroplan sont des « certificats-cadeaux » au sens de la Loi.

Contexte et historique judiciaire

En 2003, Air Canada et la Banque ont conclu une convention de carte de crédit qui régissait la participation de la Banque au programme Aéroplan (la « convention de carte de crédit »). La convention de carte de crédit était le fondement des fournitures et des paiements ultérieurs effectués par la Banque en faveur d'Aéroplan en contrepartie de sa participation au programme (les « paiements faits à Aéroplan »).

Aux termes de la convention de carte de crédit, Aéroplan fournissait essentiellement le statut de membre du programme Aéroplan aux titulaires de cartes de la Banque. Elle portait les milles Aéroplan au crédit des membres lorsqu'ils effectuaient des achats par carte de crédit, après quoi elle les facturait à la Banque. En outre, Aéroplan s'est également engagée à offrir à la Banque plusieurs activités ou services de référence et de mise en marché liés aux cartes de crédit de la Banque (toutes les fournitures effectuées par Aéroplan en faveur de la Banque, y compris les milles Aéroplan sont appelées les « services fournis par Aéroplan »).

Aéroplan a perçu la TPS/TVH applicable aux paiements qui lui ont été faits au motif que ses services étaient des fournitures taxables pour l'application de la Loi. Même si la Banque a effectivement payé la TPS/TVH qu'Aéroplan lui avait facturée, la question est devenue litigieuse entre les parties lorsque la Banque a prétendu que les services fournis par Aéroplan constituaient en fait des fournitures de services financiers et, par conséquent, qu'ils devraient être exonérés de TPS/TVH aux termes de la Loi.

Conformément à ce point de vue, la Banque a ultérieurement déposé une demande générale de remboursement de la TPS/TVH auprès de l'Agence du revenu du Canada (l'« ARC ») aux termes de l'article 261 de la Loi, prétendant qu'elle avait payé la TPS/TVH par erreur sur les services fournis par Aéroplan. Toutefois, l'ARC a rejeté la demande de remboursement de la Banque au motif que les services fournis par Aéroplan étaient des fournitures taxables. 

La Banque a alors interjeté appel devant la Cour canadienne de l'impôt, prétendant que les services fournis par Aéroplan aux termes du programme Aéroplan devraient être assimilés à la fourniture de « certificats-cadeaux » en vertu de l'article 181.2 de la Loi, qui ne seraient pas assujettis à la TPS/TVH. La Cour de l'impôt a rejeté l'appel de la Banque, affirmant plutôt que la fourniture de milles Aéroplan à la Banque faisait partie d'une fourniture unique de services promotionnels et de mise en marché effectuée par Aéroplan en faveur de la Banque et que de ce fait, celle-ci était assujettie à la TPS/TVH. La Cour de l'impôt a ajouté en obiter que les milles Aéroplan ne sont pas des « certificats-cadeaux » parce qu'ils n'ont pas de caractéristiques similaires à l'argent.

Pour plus de renseignements sur la décision de la Cour de l'impôt, veuillez lire notre commentaire.

Questions et normes d'examen

La question posée en appel était la suivante : Le juge de la Cour de l'impôt a-t-il commis une erreur lorsqu'il a conclu que la Banque avait acquis des services promotionnels et de mise en marché auprès d'Aéroplan et non des milles Aéroplan? (paragr. 16). Si le juge de la Cour de l'impôt avait commis une erreur d'interprétation, il fallait ensuite se demander s'il avait également commis une erreur en concluant que les milles Aéroplan n'étaient pas des « certificats-cadeaux » au sens de la Loi (paragr. 16). La CAF a établi que la norme de contrôle était celle de l'erreur manifeste et dominante pour la détermination de ce qui avait été fourni à la Banque par Aéroplan (paragr. 25) et de la décision correcte pour l'interprétation du « certificat-cadeau » au sens de la Loi (paragr. 17 et 27).

Décision

Fourniture prédominante

Le principal argument de la Banque concernait la valeur des milles Aéroplan pour ses clients. Essentiellement, la Banque a prétendu que la prestation de service d'Aéroplan consistait à fournir des milles Aéroplan à ses clients (paragr. 31). Le juge Webb a rejeté cet argument et affirmé que les clients de la Banque n'étaient pas responsables du paiement de la contrepartie à Aéroplan aux termes de la convention conclue entre la Banque et Aéroplan et, par conséquent, qu'ils n'étaient pas légalement responsables du paiement de la TPS/TVH liée aux services fournis aux termes de cette convention (paragr. 33). C'est plutôt la Banque qui est responsable du paiement de la contrepartie et, par conséquent, du paiement de la TPS/TVH (paragr. 33).

En outre, la CAF a conclu que la convention désignait expressément les services prédominants et les services connexes (paragr. 39). En particulier, l'article 9 de la convention et son annexe D disposent que l'obligation de verser la contrepartie est liée aux services promotionnels et de mise en marché qui seront fournis par Aéroplan (paragr. 42). Ils disposent également que les autres obligations d'Aéroplan (y compris la délivrance de milles Aéroplan aux clients de la Banque) étaient connexes aux services promotionnels et de mise en marché (paragr. 42).

La Banque a utilisé les déclarations d'un témoin entendu par la Cour de l'impôt afin d'appuyer sa position voulant qu'elle achète des milles Aéroplan et que l'achat de ces milles constitue l'élément prédominant de la fourniture (paragr. 48). La CAF a observé que les déclarations de ce témoin qui pouvaient être interprétées comme modifiant le fondement de la contrepartie versée par la Banque à Aéroplan ne pouvaient pas remplacer les stipulations de la convention sur cette contrepartie (paragr. 54). La CAF, à laquelle la Banque avait demandé d'accorder moins de poids à la convention, a déclaré que le poids à accorder à une preuve relève du juge de première instance (paragr. 56) et qu'il est logique que la convention aux termes de laquelle la contrepartie est payable joue un rôle prépondérant dans le prononcé d'une décision portant sur les incidences fiscales de la Loi (paragr. 57).

Évaluation par la Couronne de l'élément prédominant de la fourniture

À l'audience, la Banque a soulevé un moyen d'appel supplémentaire. Elle a allégué que le juge de la Cour de l'impôt avait commis l'erreur de conclure que les services promotionnels et de mise en marché avaient été l'élément prédominant de la fourniture, et ce, parce que la Couronne n'avait pas soulevé cet argument (paragr. 62). La CAF, dans le cadre du rejet de l'appel, a déclaré que le juge de la Cour de l'impôt n'avait pas commis d'erreur d'interprétation de la convention conclue entre la Banque et Aéroplan, si bien qu'il n'y avait aucune raison de conclure à une erreur d'évaluation portant sur la fourniture prédominante (paragr. 67). La CAF a également ajouté que si la Banque était d'avis que le juge de la Cour de l'impôt avait pris une décision non fondée sur les arguments des parties ou contraire aux faits admis, elle aurait dû le mentionner dans son avis d'appel et son mémoire d'appel (paragr. 63). Toutefois, ce nouvel argument, qui diffère considérablement des autres motifs invoqués par la Banque, n'a pas été soulevé dans l'avis d'appel ni dans le mémoire d'appel de la Banque (paragr. 64).

Certificats-cadeaux

La CAF, sur la question du classement des milles Aéroplan dans la catégorie des « certificats-cadeaux », a observé qu'un tel classement en application de la Loi aurait des répercussions sur les personnes qui échangent des milles Aéroplan et sur Aéroplan qui acceptera ces milles en contrepartie de la fourniture de biens ou de services (paragr. 68). Toutefois, ni les personnes qui échangent les milles Aéroplan ni Aéroplan n'étaient parties à l'appel (paragr. 68). En outre, le juge de la Cour de l'impôt a déclaré dans sa décision que le traitement réservé par Aéroplan à l'échange de milles Aéroplan n'était pas clair (paragr. 68). Pour ces raisons, la CAF a décidé de ne pas se prononcer sur la question de savoir si les milles Aéroplan sont des « certificats-cadeaux » au sens de la Loi (paragr. 69). Elle a cependant ajouté que cette décision ne devrait pas être interprétée comme une confirmation de la conclusion du juge de la Cour de l'impôt sur ce point (paragr. 69).

Dissidence

Le juge Stratas a exprimé son désaccord avec la méthode d'interprétation contractuelle adoptée par la majorité. Il a déclaré qu'afin d'établir l'élément prédominant d'une seule fourniture composée de plusieurs éléments ou d'éléments mixtes, il faut repérer tous les éléments de la fourniture et, parmi ceux-ci, l'élément qui donne à la fourniture son efficacité commerciale ou qui, du point de vue pratique ou commercial, entraîne le paiement de la contrepartie (paragr. 72). Cette question va au-delà de la teneur des obligations juridiques que comporte un contrat (paragr. 73). Le juge Stratas a déclaré que la décision de la majorité était exclusivement axée sur le libellé contractuel littéral et s'écartait de la jurisprudence antérieure qui encourage les tribunaux à s'interroger sur la teneur pratique et commerciale d'une fourniture (paragr. 74). Il a ajouté qu'il craignait que la décision de la majorité puisse mener les parties à faire des ajouts à leurs contrats non pas pour changer leurs obligations contractuelles ou la teneur pratique et commerciale de la fourniture, mais simplement pour déclencher un traitement favorable relativement à la TPS (paragr. 74).

En fonction de cette analyse, le juge Stratas a conclu que l'élément qui donne à la fourniture son efficacité commerciale – son élément prédominant – est le droit d'attribuer les milles Aéroplan (paragr. 77). Toutefois, le droit d'attribuer les milles Aéroplan rend inutile l'exécution par les parties de leurs autres obligations (paragr. 77). En outre, le juge a déclaré qu'en contexte commercial, les milles Aéroplan sont assimilables à des certificats-cadeaux puisqu'ils sont achetés par des partenaires d'Aéroplan qui les accumulent afin de les offrir en récompense à leurs clients (paragr. 90). Il a ajouté que les milles Aéroplan constituent un mécanisme d'échange puisqu'ils peuvent être utilisés en contrepartie de biens ou de services comme l'argent ou le certificat-cadeau (paragr. 90). Par conséquent, il a conclu que l'article 181.2 de la Loi s'appliquait à l'acquisition des milles Aéroplan par la Banque, qui est réputée ne pas être une fourniture et que de ce fait, la Banque avait payé la TPS par erreur (paragr. 91).

Principales conclusions

  • La CAF a rejeté l'appel de la Banque et a décidé que la Cour de l'impôt n'avait pas commis d'erreur en établissant que les services fournis par Aéroplan à la Banque étaient de manière prédominante une fourniture taxable de services promotionnels et de mise en marché plutôt qu'une fourniture de milles Aéroplan.
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  • Toutefois, la CAF n'a pas appuyé la conclusion de la Cour de l'impôt (en obiter) selon laquelle les milles Aéroplan ne sont pas des « certificats-cadeaux » parce qu'ils n'ont pas de valeur pécuniaire (ou récupérable sous forme électronique) déclarée et, plus généralement, n'ont pas de caractéristiques similaires à l'argent.
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  • Cette décision constitue désormais l'état du droit sur les conditions d'application de la TPS/TVH aux paiements effectués par une banque en contrepartie de services fournis dans le cadre de sa participation à un programme de fidélisation au moyen de l'émission de cartes de crédit.
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  • Toutefois, la décision fera vraisemblablement l'objet d'un appel devant la Cour suprême du Canada en raison de l'opinion diamétralement opposée des juges majoritaires et du juge minoritaire sur l'élément prédominant de la fourniture et sur le libellé contractuel.

La décision de la Cour d'appel fédérale  Canadian Imperial Bank of Commerce v. Canada, 2021 FCA 96 (CAF), confirme la décision  Banque canadienne impériale de commerce  c.  La Reine, 2019 CCI 79  (CCI).

L'auteur aimerait remercier Alexandra Iannarino, stagiaire en droit, pour sa collaboration.

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