Saisi d'un litige en matière disciplinaire1 découlant de manquements graves aux règles de santé et de sécurité au travail, le Tribunal d'arbitrage devait se prononcer sur la raisonnabilité de deux suspensions sans solde de trois mois imposées à des salariés. Les faits se sont déroulés à l'établissement de Lévis d'une entreprise spécialisée dans la fabrication et l'installation de bennes, de véhicules et d'équipements lourds, où la culture organisationnelle accorde une place importante à la prévention des accidents et à la formation continue en matière de sécurité.
Le 23 février 2024, à la suite d'un courriel envoyé par un superviseur remplaçant, demandant à l'un des salariés d'identifier une caméra signalée comme étant sale, deux employés affectés au quart de fin de semaine ont entrepris d'exécuter la tâche. Or, cette opération ne relevait pas de leurs fonctions habituelles et, en pratique, est confiée à une entreprise spécialisée qui utilise une nacelle louée. Pour accéder à la caméra située à plusieurs mètres de hauteur, les salariés ont improvisé une méthode combinant une cage de transport, une plateforme élévatrice et une chargeuse, sur un terrain irrégulier. L'un se trouvait debout sur la plateforme placée dans la cage, elle-même soulevée par les fourches de la chargeuse, sans harnais de sécurité ni périmètre de protection. La manœuvre, déjà périlleuse, a été répétée après un premier échec.
L'employeur, informé des événements à la suite de témoignages, a mené une enquête interne et conclu que les deux salariés avaient contrevenu à des règles essentielles et connues de santé et sécurité au travail, ce qui constituait des fautes graves justifiant de passer outre au principe de progression des sanctions. Il a imposé à chacun une suspension disciplinaire de trois mois, invoquant la gravité des gestes, le risque élevé d'accident et la nécessité de maintenir un objectif d'exemplarité dans un environnement industriel où les dangers sont omniprésents.
Le syndicat a contesté ces mesures, soutenant que les sanctions étaient disproportionnées et qu'elles ne tenaient pas compte du fait que les salariés avaient agi de bonne foi pour exécuter une demande de leur supérieur, dans un contexte où l'ordre était formulé sans précision quant à la méthode sécuritaire à utiliser. Il a aussi rappelé qu'aucun accident ni dommage corporel n'avait découlé de l'incident.
Le Tribunal a confirmé que les gestes constituaient bel et bien des fautes graves. Il a rappelé que l'obligation de sécurité est partagée : l'employeur doit mettre en place des moyens de prévention, former adéquatement son personnel et s'assurer du respect des règles, tandis que les salariés doivent exécuter leurs tâches avec prudence, protéger leur propre intégrité physique et celle des autres, et respecter les procédures établies. Ici, la combinaison de machinerie lourde et de dispositifs inadaptés, sans les mesures de protection requises, comportait un risque sérieux et évident.
Toutefois, le Tribunal a relevé que l'employeur n'avait pas pris en compte certains facteurs atténuants. La demande initiale du superviseur, bien qu'elle n'encourageât pas directement la manœuvre dangereuse, pouvait prêter à confusion quant à la façon de procéder. Le Tribunal a noté que, même en tenant pour acquis que les salariés ne pouvaient ignorer la dangerosité des gestes, l'origine de l'intervention se trouvait dans une requête mal encadrée, formulée par un représentant de l'employeur.
Le Tribunal a également distingué la situation des deux salariés. Le premier, mécanicien d'entretien et instigateur de la manœuvre, possédait un dossier disciplinaire vierge, avait collaboré pleinement à l'enquête et avait reconnu les faits sans chercher à les minimiser. Il avait exprimé un repentir sincère et le risque de récidive a été jugé faible, d'autant qu'il avait pris sa retraite peu après. Ces éléments ont justifié de réduire sa suspension à deux mois.
Le second, conducteur de machinerie, n'avait pas initié la manœuvre, mais l'avait exécutée sans remettre en cause sa légalité ou sa sécurité, alors même qu'il savait qu'il était interdit de soulever une personne avec une chargeuse. Il avait déjà fait l'objet d'un avis disciplinaire récent pour un manquement grave en matière de sécurité, ayant causé des dommages matériels importants. Sa collaboration à l'enquête avait été partielle et ses aveux complets n'avaient été formulés qu'après confrontation aux déclarations de son collègue et de témoins. Ces éléments aggravants ont conduit à maintenir une sanction plus lourde, ramenée à deux mois et demi compte tenu de la demande initiale du superviseur.
En définitive, les griefs ont été accueillis partiellement.
Footnote
1. Union des employés et employées de service, section locale 800 et Groupe Environnemental Labrie (Éric Morin et un autre), 2025 QCTA 309 (Dominique-Anne Roy).
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