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La difficulté pour les employeurs à sanctionner l'incivilité des employés qui exercent des fonctions syndicales est bien réelle. Une décision récente du Tribunal administratif du travail (le « Tribunal » ou le « TAT »)1 est une autre démonstration que les mesures disciplinaires sont difficiles à émettre pour contrer des comportements incivils de certains représentants syndicaux qui agissent sous le couvert de l'immunité syndicale.
Les faits
Le 10 février 2025, l'employé, président du Syndicat des travailleurs de l'employeur et lui-même salarié de l'établissement, est suspendu sans solde pour une durée de cinq (5) jours. Cette mesure disciplinaire est émise notamment pour faire suite à une altercation avec sa contremaîtresse lors d'une réunion d'équipe le 3 février 2025 au cours de laquelle l'employé conteste l'attribution de postes vacants qu'il juge non conforme à la convention collective. L'altercation a lieu devant une dizaine de collègues au cours de laquelle l'employé se rapproche de sa gestionnaire, hausse le ton et pointe son doigt vers elle.
La gestionnaire quittera ensuite les lieux en pleurs se disant humiliée et déstabilisée. L'employé est suspendu sur-le-champ pour fins d'enquête, et il recevra sa sanction la semaine suivante dans une lettre détaillée qui fait état de plusieurs actes d'insubordination survenus entre le 20 janvier et le 3 février. Les événements du 3 février 2025 avec sa gestionnaire font également partie de la lettre et de la mesure disciplinaire.
L'employé dépose une plainte en vertu de l'article 16 du Code du travail2, invoquant que la suspension constitue une mesure de représailles liée à l'exercice d'un droit syndical protégé.
La décision du Tribunal administratif du travail
Dans sa décision le Tribunal administratif du travail rappelle les principes entourant les articles 15 et 17 du Code du travail :
- L'article 15 interdit d'imposer une sanction à tout salarié qui exerce un droit en vertu du Code;
- L'article 17 établit une présomption en faveur du salarié qui exerce un droit en vertu du Code, et impose le devoir à l'employeur de prouver qu'il a imposé cette sanction pour une autre cause juste et suffisante.
En l'espèce, le Tribunal déclare que l'employé agissait dans ses fonctions de président lorsqu'il a eu l'altercation avec sa gestionnaire. Le fait de contester l'application de la convention collective en haussant le ton et en pointant du doigt, ne va pas « au-delà de ce qui est acceptable dans un contexte de relations du travail », selon le Tribunal. À cet égard, le Tribunal cite d'autres décisions rendues ou du langage « fleuri » aurait été jugé admissible et « dans les limites permises par l'immunité relative dont jouissent les représentants syndicaux. »
La jurisprudence citée dans cette décision et reprise par le TAT souligne que l'immunité syndicale vise à permettre que les représentants syndicaux puissent s'adresser « d'égal à égal » avec l'employeur, sans crainte de se faire discipliner.
Dans sa conclusion, et bien que la mesure disciplinaire ait été aussi émise pour d'autres motifs d'insubordination, le TAT conclut que la suspension imposée à l'employé est en partie motivée par son intervention du 3 février, ce qui suffit à vicier la mesure disciplinaire. À cet effet, il reprend la théorie de la goutte de poison dans l'affaire Wal-Mart de la Cour suprême3. En conséquence, la plainte est accueillie, et la suspension de cinq (5) jours est annulée.
Points à retenir pour les employeurs
Cette décision, qui s'inscrit dans un courant jurisprudentiel récent du TAT où des mesures disciplinaires ont également été annulées pour de l'incivilité commise par des représentants syndicaux4, met la lumière sur les tensions persistantes dans le monde du travail d'aujourd'hui et les défis auxquels font face les employeurs lorsqu'ils tentent d'éradiquer les écarts de conduite de leur personnel en matière de harcèlement ou d'incivilité au travail dans des milieux syndiqués.
Alors que les employeurs sont tenus de déployer des efforts importants en matière de formation, de politiques et d'interventions pour rendre les milieux de travail plus sains et ainsi évoluer vers une tolérance zéro en matière de violence psychologique, l'incivilité protégée sous le chapeau de l'immunité syndicale soulève des questions légitimes sur les moyens qui s'offrent aux employeurs pour sanctionner l'indiscipline et ainsi respecter leurs obligations légales.
Ainsi, à la lumière des récents développements jurisprudentiels, les professionnels RH et les gestionnaires devraient, préalablement à l'imposition d'une mesure disciplinaire pour incivilité :
- S'assurer que les gestes reprochés ne s'inscrivent pas dans le cours des activités syndicales du représentant avant d'imposer ladite mesure;
- S'assurer que la lettre octroyant la mesure disciplinaire isole les incidents reprochés. Au besoin faire différentes lettres/mesures en fonction des dates et en scindant les événements peut s'avérer une judicieuse solution;
- Former les gestionnaires sur la réalité syndicale, les relations de travail, et sur la gestion de comportements difficiles ou incivils provenant des représentants.
Footnotes
1 Hallé c. Métaux Russel inc., 2025 QCTAT 2110
2 Code du travail, RLRQ c C-27
3 Plourde c. Compagnie Wal-Mart du Canada Inc., 2009 CSC 54, [2009] 3 RCS 465
4 Voir notamment : Suspension de cinq jours annulée : Louazel c. Réseau de transport de la Capitale, 2025 QCTAT 3047. Cette affaire est portée en contrôle judiciaire
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