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19 November 2025

Continuité de l'emploi : un tribunal rappelle les protections conférées aux salariés lors d'un transfert d'entreprise

Le 16 mai 2025, le Tribunal administratif du travail (le «Tribunal ») a rendu une décision importante portant sur les droits des salariés dans le contexte...
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Le 16 mai 2025, le Tribunal administratif du travail (le «Tribunal ») a rendu une décision importante1 portant sur les droits des salariés dans le contexte d'une vente d'entreprise et sur une tentative d'exclusion d'une salariée de son emploi. Le litige portait sur la légitimité ducongédiement d'une salariée (la « plaignante ») à la suite de la vente de son employeur. La plaignante a allégué avoir été congédiée sans cause juste et suffisante en vertu de la Loi sur les normes  du travail2 (la «LNT »), faisant valoir que son emploi aurait dû se poursuivre sans interruption avec le nouveau propriétaire après la vente. Toutefois, les deux entités (le vendeur et l'acheteur) ont soutenu que la plaignante n'avait jamais été employée par l'acheteur après la vente, invoquant une clause contractuelle négociée lors de la transaction visant à exclure la plaignante de son emploi. Le Tribunal a été appelé à déterminer si le congédiement de la plaignante était sans cause juste et suffisante et si les ententes contractuelles entre les parties pouvaient prévaloir sur les protections légales.

Chronologie des événements

La plaignante occupait le poste d'adjointe administrative chez le vendeur depuis 2008. Elle accomplissait diverses tâches administratives et travaillait en étroite collaboration avec le propriétaire. La vente de l'entreprise a eu lieu à l'automne 2023 et prévoyait une période de transition pour la relocalisation des opérations et du personnel. Malgré la vente, la plaignante a continué de travailler dans les bureaux administratifs d'origine en aidant l'ancien propriétaire à finaliser des contrats et à effectuer du classement de documents.

Le 10 avril 2024, elle a reçu une lettre de fin d'emploi qui précisait que son poste était aboli en raison d'une réorganisation administrative. À la suite de ces événements, la plaignante a déposé une plainte pour congédiement sans cause juste et suffisante à l'encontre des deux entités en s'appuyant sur l'article 124 de la LNT. L'acheteur et le vendeur ont contesté la plainte, affirmant que la plaignante n'avait jamais été embauchée par l'acheteur à la suite de la vente et que la plainte avait été déposée hors du délai de 45 jours prévu par la LNT.

Analyse

Respect du délai pour le dépôt de la plainte

L'une des questions préliminaires essentielles était de déterminer si la plainte avait été déposée dans le délai de 45 jours prévu par la LNT. À cet égard, le Tribunal a conclu que la plaignante avait seulement pris connaissance de son congédiement le 10 avril 2024, lorsqu'elle a reçu la lettre officielle de fin d'emploi. Le Tribunal a réaffirmé que le délai de prescription commence à compter du moment où la salariée comprend que ses services ne sont définitivement plus requis, et non lorsqu'il n'y a plus de travail. Dans ces circonstances, la plainte a été jugée recevable.

Congédiement sans cause juste et suffisante : continuité de l'emploi

La question centrale devant le Tribunal était le principe de la continuité de l'emploi dans le contexte d'une vente d'entreprise. Le Tribunal a commencé son analyse en réaffirmant qu'en vertu de l'article 97 de la LNTet de l'article 2097 du Code civil du Québec3 (le «C.c.Q. »), la vente, le transfert ou la restructuration d'une entreprise n'interrompt ni ne met fin au contrat de travail de ses employés. Ces dispositions sont d'ordre public et les protections qu'elles confèrent ne peuvent être annulées ou contournées par une entente privée entre le vendeur et l'acheteur. Le Tribunal a conclu que la vente avait déclenché ces protections, ce qui signifie que tous les employés du vendeur, y compris la plaignante, sont devenus des salariés de l'acheteur par l'effet de la loi.

Néanmoins, la preuve a révélé que le contrat de vente comprenait une clause visant expressément à mettre fin à l'emploi de la plaignante. Le Tribunal a déterminé que cette clause avait été négociée à l'insu de la plaignante et qu'elle visait à satisfaire les préférences d'une personne clé employée par l'acheteur. Le Tribunal a rejeté sans équivoque la validité d'une telle clause, concluant qu'elle était contraire aux dispositions de la LNT et du C.c.Q., et donc inexécutoire. Il a confirmé qu'un vendeur ne peut mettre fin à un contrat de travail simplement pour permettre à l'acquéreur de « repartir à neuf » avec de nouveaux salariés4.

De plus, le Tribunal a conclu que l'argument de l'acheteur selon lequel il avait le pouvoir discrétionnaire de choisir de garder ou non la plaignante à son emploi était fondamentalement erroné. La plaignante est devenue une salariée de l'acheteur par l'effet de la loi, et l'entreprise était liée par le contrat de travail existant. Le Tribunal a souligné que le seul moyen légal de mettre fin à l'emploi de la plaignante aurait été de recourir à un processus qui respectait les exigences d'une cause juste et suffisante, ou à une mise à pied légitime fondée sur des raisons commerciales objectives. En l'espèce, la prétendue abolition du poste de la plaignante a été jugée être une façade, masquant une décision d'exclure la plaignante pour des motifs subjectifs non liés aux besoins de l'entreprise.

Conclusion

Le Tribunal a conclu que la plaignante avait été congédiée sans cause juste et suffisante et a ordonné sa réintégration chez l'acheteur avec tous ses droits et privilèges. La décision souligne que, dans le contexte d'une vente d'entreprise, les salariés ont droit à ce que leur emploi se poursuive et ne peuvent être exclus par des dispositions contractuelles ou des préférences subjectives du nouvel employeur. Le Tribunal s'est réservé le pouvoir de régler toute difficulté pouvant découler de la réintégration en emploi de la plaignante et de déterminer les autres mesures de réparation appropriées.

Principaux points à retenir

Cette décision met en lumière les complexités qui peuvent survenir dans le contexte des transferts d'entreprises et l'importance de comprendre les protections législatives applicables aux salariés. L'application de la loi par le Tribunal démontre que les ententes contractuelles entre vendeurs et acheteurs ne peuvent prévaloir sur la continuité de l'emploi garantie par la Loi sur les normes du travail et le Code civil du Québec. Les employeurs doivent s'assurer que toute vente ou réorganisation d'entreprise respecte les droits des salariés à la continuité de leur emploi, indépendamment des ententes privées ou des préférences subjectives.

Les conclusions du Tribunal renforcent également le fait que toute inconduite alléguée doit être abordée au moyen de mesures disciplinaires transparentes et progressives, et non pas être invoquée rétroactivement pour justifier une exclusion ou un congédiement. Une communication claire et une documentation détaillée sont essentielles tout au long du processus de transition. Toute cessation d'emploi doit être fondée sur des raisons commerciales objectives et légitimes, et non sur des prétextes utilisés pour congédier des personnes en particulier.

Footnotes

1. Massé c. Structures Yamaska inc., 2025 QCTAT 2025.

2. Loi sur les normes du travail, RLRQ, c. N-1.1.

3. Code civil du Québec, RLRQ, c. CCQ-1991.

4. Martin c. 3070336 Canada inc. (C.T., 1995-12-01), SOQUIJ AZ-96144511.

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