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15 September 2025

Statut de salarié ou travailleur autonome : une distinction aux conséquences juridiques importantes

Au Québec, l'article 123.6 de la Loi sur les normes du travail (« LNT ») permet à un individu de déposer une plainte pour harcèlement psychologique si elle est une « personne salariée »...
Canada Employment and HR

Au Québec, l'article 123.6 de la Loi sur les normes du travail1 (« LNT ») permet à un individu de déposer une plainte pour harcèlement psychologique si elle est une « personne salariée » au sens du paragraphe 10 de l'article 1 de la LNT, soit une personne qui travaille pour un employeur et qui a droit à un salaire.

Il ressort de cette définition et de son interprétation en jurisprudence que le critère déterminant pour établir le statut d'un travailleur est le lien de subordination2. Le Tribunal rappelle que l'analyse du statut doit tenir compte d'un ensemble de facteurs : le contrôle de la présence, le contrôle sur l'exécution du travail, l'obligation de rendement, la propriété des outils de travail, la possibilité de mesures disciplinaires, l'existence de l'élément de pertes ou de profits et l'obligation d'exécution personnelle3.Il est toutefois important de souligner que la dépendance économique ne constitue pas, en soi, une preuve de subordination4. Le fait de n'avoir qu'un seul client ne suffit donc pas à établir un tel lien. Ces critères doivent être appliqués de manière contextuelle comme démontré dans une décision récente du Tribunal administratif du travail5.

Faits

Le plaignant assure, depuis 2017, l'entretien d'un commerce. En 2019, il conclu un contrat avec une société spécialisée dans les services de conciergerie commerciale, qui fournissait des services d'entretien à ce même commerce. Les services de nettoyage sont par la suite transférés à un tiers et, en 2021, l'intimée acquiert la clientèle de ce tiers et propose des services élargis au commerce où le plaignant fournissait des services depuis 2017. Malgré tous les changements intervenus au niveau de l'entité qui détenait le contrat et pour laquelle le plaignant fournissait des services, le travail continue d'être effectué sur la base d'un accord verbal, tandis que le statut juridique du plaignant devient flou.

La décision

Considérant avoir été victime de harcèlement psychologique au travail, le plaignant dépose une plainte en vertu de la LNT contre l'intimée ayant acquis la clientèle en 2021. L'intimée prétend que le plaignant effectuait l'entretien ménager à titre de sous-traitant et qu'il n'était donc pas un salarié au sens de la LNT.


Faute d'une entente contemporaine aux évènements — le Tribunal indiquant que, puisque les tâches et la rémunération ont changé, le contrat initial de 2019 n'est plus liant — c'est la conduite des parties qui sert à déterminer le statut juridique de la relation qui lie les parties.


Avant d'analyser les critères d'évaluation du lien de subordination, le Tribunal examine le mode de rémunération. À ce titre, le Tribunal indique que la rémunération ne permet pas de tirer de conclusion puisque le versement d'un montant forfaitaire par jour peut traduire à la fois un revenu d'entreprise ou un salaire. Le Tribunal note également que, bien que le plaignant n'ait qu'un seul donneur d'ouvrage, il n'était pas empêché d'accepter d'autres contrats. Son statut fiscal de travailleur autonome est aussi pris en compte, sans toutefois être décisif.

Quant à la subordination juridique, en commençant par le contrôle des présences, le Tribunal note que le plaignant décidait seul de ses absences et de son horaire, sans devoir obtenir d'autorisation. Le Tribunal note que l'intimée avait peu de contrôle sur la performance des tâches puisque le plaignant déterminait lui-même les moyens à utiliser6. L'entreprise n'exerçait aucun suivi de performance ou de qualité de travail, sauf en cas de plainte du client, et la seule exigence imposée concernait le port d'équipements de protection individuelle. 

Le Tribunal s'est également penché sur l'obligation d'exécution personnelle, un critère central dans la qualification du lien d'emploi7. Or, dans les faits, le plaignant avait embauché une personne pour l'assister de façon régulière, sans que cela ne soulève d'objection de la part de l'entreprise. Pour le Tribunal, cette latitude est difficilement conciliable avec l'obligation d'exécuter personnellement le travail, propre au statut de salarié. Quant à la propriété des outils, puisqu'elle était partagée entre le client, le Tribunal a écarté ce critère puisque peu déterminant.

Le Tribunal conclut que les indices d'autonomie du plaignant l'emportent sur ceux qui auraient pu mener à la reconnaissance du statut de salarié. Il n'est donc pas une personne salariée au sens de la LNT, rendant sa plainte pour harcèlement psychologique irrecevable. 

À retenir

Cette décision met en lumière l'importance d'une analyse du lien d'emploi, fondée sur les critères de subordination juridique. Bien que le législateur ait récemment élargi les obligations de l'employeur en matière de harcèlement psychologique8, notamment en reconnaissant que celui-ci peut émaner de « toute personne », incluant les clients, fournisseurs ou autres tiers, le recours prévu à la LNT, lui, n'est ouvert qu'à une personne salariée, donnant ouverture à un moyen préliminaire. 

Dans ce contexte, il est fortement recommandé à tout employeur qui fait appel à des sous-traitants ou à des travailleurs autonomes, de consulter son procureur chez Fasken afin de clarifier le statut juridique de ses collaborateurs.

The content of this article is intended to provide a general guide to the subject matter. Specialist advice should be sought about your specific circumstances.

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