De nombreuses entreprises adoptent une approche plus ciblée en matière de recrutement dans le contexte économique actuel. Dans certains cas, il peut s'agir de chercher activement à recruter les meilleurs talents auprès d'entreprises concurrentes ou de réembaucher d'anciens employés, communément appelés des « employés boomerangs ».
Les stratégies ciblées en matière d'acquisition de talents présentent de nombreux avantages potentiels pour les employeurs. Toutefois, les employeurs doivent également savoir que lorsque le recrutement ciblé dépasse une certaine limite, pour devenir ce que l'on appelle, en droit du travail, une « incitation à quitter un emploi », la responsabilité de l'employeur peut être accrue au moment du licenciement des employés qui ont été incités à quitter leur emploi.
Deux affaires récentes en Ontario exposent les conséquences concrètes qui peuvent découler du fait d'avoir eu recours à des méthodes pour inciter quelqu'un à quitter son emploi.
Le débauchage d'une dirigeante reconnue — Miller v. Alaya Care Inc.
Dans l'affaire Miller v. Alaya Care Inc.1, une employée cadre disposant d'une vaste expérience dans un secteur de niche a été recrutée par l'employeur à titre de vice-présidente. À l'époque, l'employée avait cumulé près de douze ans de service chez le plus important concurrent de l'employeur et était la plus ancienne employée de cette entreprise au Canada.
L'employée a d'abord été approchée par le cofondateur de l'employeur sur LinkedIn et a poursuivi ses discussions avec l'équipe de direction de l'entreprise par téléphone et lors de réunions en personne. Au cours de ces discussions, l'employeur a interrogé l'employée au sujet de sa rémunération.
Cette dernière a ensuite accepté une offre d'emploi avec le nouvel employeur, laquelle prévoyait une augmentation de sa rémunération dans le cadre de ses nouvelles fonctions, y compris des attributions d'actions qui seraient acquises au fil du temps.
Bien que l'employée ait négocié l'offre pour y inclure une semaine de vacances supplémentaire et une indemnisation en cas d'action en justice de la part de son ancien employeur, elle n'a pas expressément demandé que ses années d'expérience dans le secteur soient reconnues au moment de se joindre au nouvel employeur.
L'employée a été licenciée sept mois après avoir commencé ses nouvelles fonctions. Malgré la brièveté de la période de service de l'employée, la Cour a conclu qu'elle avait droit à un délai de préavis raisonnable en vertu de la common law de 14 mois, étant donné qu'elle avait été incitée par l'employeur à quitter son emploi antérieur et qu'elle croyait pouvoir occuper un emploi à long terme au sein de l'entreprise.
Essentiellement, la Cour a prolongé le délai de préavis de l'employée pour tenir compte du fait que celle-ci avait quitté un emploi stable de longue date pour se joindre à l'entreprise.
Réembauche d'un employé boomerang — Lachapelle v. St. Laurent Automotive Group Inc.
Dans l'affaire Lachapelle v. Saint Laurent2, l'employeur a approché et réembauché un employé « boomerang ». Ce dernier avait travaillé pour l'employeur pendant près de cinq ans, avant de quitter volontairement son emploi pour se joindre à une autre entreprise, où il a travaillé pendant neuf mois.
Le nouveau contrat entre l'employé et l'employeur prévoyait une augmentation de sa rémunération. L'employeur a également convenu, entre autres choses, que l'employé serait admissible aux avantages sociaux, aux indemnités de vacances et aux congés personnels dès son retour en poste. Les parties n'ont jamais discuté de l'indemnité de licenciement ni de la possibilité de traiter les deux périodes d'emploi comme une seule.
L'employeur a mis fin à l'emploi de l'employé sans motif valable, quatorze mois après l'avoir réembauché. L'employé était âgé de 28 ans à l'époque.
En raison du fait que ce dernier a été incité à quitter son emploi (et compte tenu des effets de la pandémie de COVID-19), la Cour a conclu qu'il avait droit à un délai de préavis raisonnable de sept mois, compte tenu des six années de service cumulées auprès de l'employeur au cours des deux périodes d'emploi distinctes.
Points à retenir pour les employeurs
Ces décisions récentes rappellent aux employeurs que le fait d'inciter quelqu'un à quitter un emploi peut être pris en compte par les tribunaux lorsqu'ils déterminent le délai de préavis d'un employé licencié.
Si un salarié quitte volontairement un emploi stable pour une nouvelle occasion d'emploi, il n'a pas nécessairement été incité à le faire. L'incitation implique généralement un comportement qui va au-delà du degré ordinaire de persuasion et de « séduction » dont un employeur ferait preuve à l'égard d'un employé potentiel dans le cadre du processus de recrutement.
Pour déterminer si les méthodes de recrutement d'un employeur peuvent être considérées comme une incitation à quitter un emploi, les tribunaux évaluent les attentes raisonnables des deux parties.
Lorsqu'il est établi que l'employeur a incité l'employé à quitter son emploi, les tribunaux peuvent prolonger tout délai de préavis raisonnable auquel l'employé a droit en vertu de la common law et, par conséquent, augmenter les dommages‐intérêts devant être payés par l'employeur en cas de congédiement injustifié.
Cependant, toutes les méthodes de recrutement visant à inciter quelqu'un à quitter son emploi n'ont pas le même poids.
Ce facteur est plus important dans les cas où un employé a été incité à quitter un emploi stable de longue date pour être licencié peu de temps après, et il tend à perdre de l'importance à mesure que la durée d'emploi auprès du nouvel employeur augmente. Dans une décision récente, la Cour a estimé que le fait d'avoir été incité à quitter un emploi n'était pas un élément d'importance étant donné que le licenciement avait eu lieu six ans après l'embauche par le nouvel employeur3.
L'importance accordée au fait d'avoir été incité à quitter un emploi pourrait également être moindre si l'employé cherchait activement du travail lorsqu'il a été recruté par un nouvel employeur ou a fait preuve de diligence raisonnable avant d'accepter le poste en menant sa propre enquête sur l'entreprise, ou si l'employé est très mobile sur le plan professionnel4.
En l'absence d'une distinction claire entre la persuasion ordinaire et l'incitation à quitter un emploi, que peuvent faire les employeurs pour atténuer le risque?
Avant tout, les employeurs devraient veiller à ce que leurs offres d'emploi comprennent des dispositions exécutoires relatives au licenciement qui limitent le droit implicite de l'employé à un délai de préavis raisonnable en vertu de la common law. Ces dispositions empêchent les tribunaux d'augmenter le délai de préavis sur la base de l'incitation à quitter un emploi.
Les employeurs peuvent également se prémunir contre le risque lié au fait d'inciter quelqu'un à quitter un emploi en prévoyant une période d'essai, des dispositions limitant la reconnaissance des années de service au minimum requis par la législation sur les normes d'emploi, et des reconnaissances contractuelles expresses indiquant que le salarié n'a pas été incité à quitter son ancien employeur, ainsi que des dispositions relatives à l'« intégralité de l'entente ».
Footnotes
1 [i]Miller v. Alaya Care Inc.[/i], 2025 ONSC 1028 (CanLII)
2 [i]Lachapelle v. St. Laurent Automotive Group Inc.[/i], 2025 ONSC 1956
3 Singh v. Clark Builders4
4 Shelp v. GoSecure Inc., 2025 ONSC 49
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