Intelligence artificielle et droit d'auteur : que dit le code de la propriété intellectuelle ?
Dès leur création, les ordinateurs ont permis la création d'œuvres d'art, devenant un véritable outil de création pour tout auteur personne physique. Si ces instruments permettaient alors aux auteurs de retranscrire leur apport créatif et leur personnalité, la révolution technologique nous amène aujourd'hui à repenser l'interaction entre les ordinateurs et le processus de création.
Au cœur de cette révolution, les intelligences artificielles (IA), « ensembles de théories et de techniques mises en œuvre en vue de réaliser des machines capables de simuler l'intelligence humaine »1, et notamment les logiciels d'apprentissage automatique. En effet, ces derniers sont des systèmes autonomes capables d'apprendre sans avoir été spécifiquement programmés à cet effet par un humain.
Il découle nécessairement de ces avancées diverses problématiques juridiques, et notamment celle liée à l'application des dispositions du code de la propriété intellectuelle (CPI) à des machines.
Notamment, les notions d' « auteur » et de « contrefacteur » peuvent-elles recouvrir les intelligences artificielles ?
Les intelligences artificielles comme auteurs d'œuvres de l'esprit
Les intelligences artificielles sont pensées pour être une imitation de l'intelligence humaine. En ce sens, elles ont nécessairement la capacité de simuler le processus créatif humain.
Néanmoins, les œuvres créées exclusivement par l'IA, à l'exclusion de toute intervention humaine, sont-elles des œuvres de l'esprit au sens du CPI, susceptibles d'être protégées par le droit d'auteur ?
Récemment, la question s'est davantage posée outre-Atlantique, où une œuvre créée par une IA spécialisée dans la génération d'images s'est vue récompensée à la « Colorado State Fair » de 2022.
Et pourtant, l'Office américain du droit d'auteur (USCO) était venu préciser dans une décision du 14 février 2022 qu'une œuvre créée par une intelligence artificielle ne saurait être protégée par le droit d'auteur. Et pour cause, l'office considère qu'une telle reconnaissance exige une intervention humaine dans le processus de création.
En Europe, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a pour sa part de longue date affirmé que le droit d'auteur ne s'appliquait qu'à des œuvres originales et que l'originalité allait de pair avec « une création intellectuelle propre à son auteur »2.
Au regard du droit français, il est ainsi considéré que pour être originale, une œuvre doit être empreinte de la personnalité de son auteur, ce qui suppose une démarche consciente ; dès lors, une intervention humaine serait une condition sine qua non à la protection de l'œuvre par le droit d'auteur, de sorte que les créations issues de l'IA ne sont pour l'heure pas protégeables par le droit d'auteur en France.
Il n'en demeure pas moins que l'absence de définition de l'originalité au sein du CPI pourrait traduire la volonté du législateur de proposer une conception large et subjective de cette notion, permettant le cas échéant à un plus grand nombre d'œuvres de bénéficier de la protection accordée par le droit d'auteur, et de faciliter ainsi l'adaptation de ce droit au développement de nouvelles techniques telles que, en l'occurrence, les intelligences artificielles.
Les intelligences artificielles comme contrefacteurs
Les intelligences artificielles – et notamment les IA génératives – nécessitent en tout état de cause généralement un enrichissement de leurs données par l'intervention humaine. En effet, les intelligences artificielles génératives consistent en des algorithmes d'IA utilisant des contenus préexistants au service de leur propre apprentissage en vue de générer de nouveaux contenus.
C'est notamment le cas de Lensa, application de retouche photo lancée en 2018 et récemment devenue virale en raison de sa nouvelle fonctionnalité « Magic Avatars », laquelle permet de créer des portraits stylisés à partir des selfies des utilisateurs grâce à l'IA.
Seulement, au-delà des photographies soumises par les utilisateurs, cet outil repose également sur le générateur d'images open-source « Stable Diffusion », construit à partir de LAION-5B, lequel est ainsi entraîné sur les créations numériques d'artistes n'ayant pas donné leur autorisation pour l'usage de leur travail sur l'application Lensa.
Se pose ainsi nécessairement la question de la contrefaçon par l'IA.
Par définition, la contrefaçon est l'atteinte portée à un droit de propriété intellectuelle.
Plus précisément, elle peut être définie comme la « reproduction, l'imitation ou l'utilisation totale ou partielle d'un droit de propriété intellectuelle »3, tel que le droit d'auteur, sans l'autorisation de son propriétaire.
Néanmoins, à l'instar de la notion d' « auteur », aucune précision n'est apportée par le législateur quant à la notion de « contrefacteur ». Aussi, en l'absence de définition de ce terme, est-il possible de considérer qu'il est possible d'être plagié par une IA ?
Si les dispositions actuelles du CPI ne semblent pas faire obstacle à cette possibilité, l'absence de décision rendue par les juridictions françaises et/ou européennes sur ce point précis ne nous permet pour l'heure pas de répondre à cette problématique.
Au regard de la logique du « droit d'auteur à la française », et de la protection dont bénéficient les auteurs, il semble toutefois probable de pouvoir caractériser un acte de contrefaçon issu d'une IA, bien que cet acte serait probablement imputé au créateur de l'IA en question.
Considérant les revendications des auteurs dont les œuvres sont utilisées par Lensa, une action outre-Atlantique est particulièrement attendue, et pourrait engendrer diverses réflexions sur les problématiques ici soulevées.
Footnotes
1. https://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/intelligence_artificielle/187257
2. CJUE, 16 juillet 2009, Infopaq International A/S c. DanskeDagbaldesForening
3. Qu'est-ce qu'une contrefaçon ? | 1 INPI.fr
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