I. PROCÉDURE PÉNALE
Qualité pour recourir refusée au père du fœtus dont la grossesse de la mère a été interrompue [p. 2] |
Etablissement préventif d'un profil d'ADN
utilisé pour une infraction postérieure jugé
contraire au droit |
TF 7B_200/2023 Caractère prématuré et illicite de |
TF 7B _265/2022 Rappel de jurisprudence : effets de l'arrêt de renvoi du Tribunal fédéral [p. 5] |
II. DROIT PÉNAL ÉCONOMIQUE
-
III. DROIT INTERNATIONAL
PRIVÉ
-
IV. DROIT DE LA POURSUITE ET DE LA FAILLITE
Dépôt d'un complément de recours
tardif et ouverture de la faillite |
Faillite à la demande du débiteur jugée abusive [p. 7] |
V. ENTRAIDE INTERNATIONALE
-
Quelques propos introductifs
La présente Newsletter de Monfrini Bitton Klein vise à offrir, de manière hebdomadaire, un tour d'horizon de la jurisprudence rendue par le Tribunal fédéral dans les principaux domaines d'activité de l'Etude, soit le droit pénal économique et le recouvrement d'actifs (asset recovery).
Sans prétendre à l'exhaustivité,
seront reproduits ci-après les considérants
consacrant le raisonnement juridique
principal développé par notre Haute juridiction sur
les thématiques suivantes : droit de procédure
pénale, droit pénal économique, droit
international privé, droit de la poursuite et de la
faillite, ainsi que le droit de l'entraide
internationale.
I. PROCÉDURE PÉNALE
TF 7B_1024/20231 du 26 juin 2024 | Qualité pour recourir refusée au père du fœtus dont la grossesse de la mère a été interrompue – aucune personnalité juridique de la vie à naître (art. 118 CP cum art. 115 ss CPP)
- Le 20 septembre 2022, A (« Recourant») a porté plainte contre B, son ex-petite-amie notamment pour interruption de grossesse punissable (art. 118 al. 3 CP). Le 12 avril 2023, il s'est constitué partie plaignante au pénal et au civil. Le Ministère public du canton de Fribourg a classé la procédure et renvoyé les parties à agir au civil. Le Recourant a recouru contre l'ordonnance de classement auprès du Tribunal cantonal de Fribourg, qui n'est pas entré en matière sur son recours.
- Devant le Tribunal fédéral, le Recourant a reproché à l'instance inférieure de lui avoir refusé à tort la qualité pour recourir en relation avec l'infraction d'interruption de grossesse punissable. Il a plaidé qu'en tant que père du « fœtus tué», il devait être considéré comme une victime au sens de l'art. 115 CPP et, pour cette raison déjà, il était légitimé à former un recours contre le classement de la procédure pénale. Sa légitimation à recourir aurait également résulté de l'art. 116 al. 2 CPP (consid. 3.1).
- Le Tribunal fédéral a rappelé la teneur des art. 115 et 116 CPP, en évoquant également l'art. 117 al. 3 CPP qui indique que si les proches d'une victime font valoir des prétentions civiles, ils ont les mêmes droits que la victime. Sont notamment des proches, les parents (art. 116 al. 2 CPP) (consid. 3.2).
- Notre Haute Cour a ensuite expliqué que le bien juridique protégé par l'art. 118 al. 3 CP était la vie humaine pendant la grossesse, ce qui en principe inclut tous les embryons et fœtus jusqu'à ce qu'ils deviennent des êtres humains, même ceux qui ne sont pas viables. Elle a mentionné que l'enfant mort-né n'a pas la personnalité juridique (consid. 3.3.2 ss).
- Sur cette base, notre Haute Cour a poursuivi en indiquant que la vie à naître protégée par l'art. 118 CP ne présente de lege lata aucune personnalité juridique. Ainsi, si cette vie à naître est interrompue im Mutterschosse, elle n'a jamais pu acquérir de personnalité juridique selon l'art. 31 CC. De ce fait, l'enfant à naître n'est pas une personne lésée au sens de l'art. 115 al. 1 CPP, ni une victime au sens de l'art. 116 al. 1 CPP (consid. 3.3.4).
- In casu, les juges de Mon-Repos ont confirmé que le Recourant n'était pas lui-même détenteur du bien juridique protégé par l'art. 118 CP et ne pouvait pas être considéré comme un proche au sens de l'art. 116 al. 2 CPP, faute de reconnaître la qualité de victime de la vie à naître (consid. 3.4).
- Ainsi, le Tribunal fédéral a confirmé que le Recourant n'avait pas la qualité pour recourir (consid. 3.4).
- Partant, le recours a été rejeté.
TF 7B_152/2023 du 2 juillet 2024 | Etablissement préventif d'un profil d'ADN utilisé pour une infraction postérieure jugé contraire au droit (art. 197 al. 1 CPP cum art. 259 CPP)
- Le 10 mars 2022, A. (« Recourant») a été arrêté pour avoir contribué à endommager, le 17 novembre 2021, la façade d'un centre commercial en y peignant « COLLABO / GENEVE ANTIFA ». Il a été identifié grâce aux caméras de vidéosurveillance. Le même jour, un mandat de saisie des données signalétiques et prélèvements d'ADN a été établi. Par ordonnance du 14 mars 2022, un profil d'ADN a été établi. Par ordonnance pénale du 11 mars 2022, le Recourant a été condamné pour dommages à la propriété (art. 144 al. 1 CP).
- Par la suite, le profil d'ADN du Recourant s'est révélé correspondre à un profil d'ADN H2 relevé sur un bidon d'essence se trouvant sur les lieux d'un incendie ayant ravagé, le 4 janvier 2022, l'enceinte d'une gravière ; des inscription à la peinture avaient été retrouvées.
- Le Recourant a été arrêté le 15 mars 2023.
- Le 27 mars 2023, le Recourant a recouru contre l'ordonnance du 14 mars 2022, en vain. Devant le Tribunal fédéral, il a requis l'effacement et la destruction des échantillons d'ADN ordonnés.
- Le Recourant conteste l'établissement d'un profil d'ADN sur sa personne (consid. 2).
- Selon la jurisprudence, l'établissement d'un profil d'ADN (art. 197 al. 1 CPP cum 259 CPP), lorsqu'il ne sert pas à élucider une infraction pour laquelle une instruction pénale est en cours, est conforme au principe de la proportionnalité uniquement s'il existe des indices sérieux et concrets que le prévenu pourrait être impliqué dans d'autres infractions, même futures. Il doit toutefois s'agir d'infractions d'une certaine gravité laquelle s'évalue en prenant en compte les éventuels antécédents du prévenu, la nature du bien juridique concerné et le contexte en cause. L'établissement préventif d'un profil d'ADN s'avère notamment proportionné lorsque des intérêts particulièrement dignes de protection sont menacés, tels que l'intégrité physique ou sexuelle ou, dans certaines circonstances, le patrimoine (brigandage, vol avec effraction) (consid. 2.1.1 ss).
- Notre Haute Cour a affirmé qu'il n'était pas contesté que l'établissement du profil d'ADN en cause ne tendait pas à identifier le Recourant eu égard à la procédure pénale en cours concernant les événements du 17 novembre 2021. Il avait été en effet identifié par le biais d'images de vidéosurveillance. Il fallait donc d'examiner si la mesure de contrainte se justifiait en vue d'élucider d'éventuelles infractions passées ou futures, alors encore inconnues des autorités de poursuite pénale (mesure de contrainte préventive) (consid. 2.2.1).
- In casu, le Tribunal fédéral a jugé que l'inscription sur la façade du centre commercial ne touchait pas des biens juridiques particulièrement dignes de protection. De plus, il a souligné que le Recourant était certes soupçonné d'avoir commis les peintures qui avaient fondé l'établissement du profil d'ADN contesté ; il ne s'agissait cependant pas d'actes revêtant d'une certaine gravité et il ne résultait pas des circonstances qu'il existerait des indices sérieux et concrets que le Recourant puisse être impliqué dans d'autres infractions. Par conséquent, au terme de la pesée des intérêts en présence, les éléments ne justifiaient pas la mesure de contrainte en cause. Partant, les juges de Mon-Repos ont conclu que la cour cantonale avait violé le droit fédéral en confirmant l'établissement du profil d'ADN du Recourant (consid. 2.2.3).
- Le Tribunal fédéral a ensuite rappelé que la participation du Recourant à l'incendie criminel avait été déterminée grâce à une correspondance entre une trace d'ADN retrouvée sur place et le profil d'ADN qui avait été établi en violation du droit. Il a ainsi affirmé qu'il n'était pas admissible de tenir compte d'éléments qui ont été connus ultérieurement grâce à une mesure de contrainte pour déterminer le caractère fondé de cette même mesure. Le soupçon devait en effet préexister à la mesure de contrainte ; le contraire reviendrait à permettre de construire le soupçon et de justifier après coup la mesure de contrainte (consid. 2.2.4).
- Dès lors, le Tribunal fédéral a considéré que la cour cantonale avait également violé le droit en prenant en compte des éléments découverts ultérieurement grâce au profil d'ADN (consid. 2.2.4).
- Notre Haute Cour a jugé qu'en conséquence de cette violation, l'inscription du profil d'ADN du Recourant dans la banque de données nationale sur les profils d'ADN (CODIS) devait être effacée. Quant au profil d'ADN du Recourant, il devait être détruit seulement en tant qu'il concernait l'infraction de dommages à la propriété dans le cadre de laquelle il avait été recueilli à titre préventif. Dans la mesure où cette preuve a été recueillie dans les circonstances décrites, il appartiendra, le cas échéant, au juge du fond de déterminer à la lumière des art. 139 ss CPP si le profil d'ADN du Recourant est exploitable dans le cadre de l'enquête portant sur l'incendie intentionnel (consid. 2.3).
- Partant, le recours a été partiellement admis.
TF 7B_200/2023 du 25 juin 2024 | Caractère prématuré et illicite de levées partielles de séquestre visant des valeurs patrimoniales dont l'origine délictuelle est incertaine (art. 70 CP ; 263 CPP)
- Le Staatsanwaltschaftzurichois a mené une procédure pénale notamment contre B. pour escroquerie par métier et autres délits. Dans le cadre de cette enquête pénale, le compte bancaire de la banque E. (« IBAN xxx »), appartenant à B., a été séquestré.
- Le 26 octobre 2020, le Staatsanwaltschaftzurichois a déposé une plainte auprès du Au cours de la procédure de première instance, B. a requis le 19 janvier, respectivement les 1er avril et 26 juillet 2022, trois levées partielles de séquestre afin de s'acquitter de notes d'honoraires d'avocats et d'une avance de frais.
- Le Bezirksgerichta accepté les requêtes de B. par décisions du 7 février, respectivement, du 18 mai et 19 août 2022, en levant partiellement le séquestre des avoirs pour les montants demandés.
- Entre temps, le Bezirksgerichta, par jugement du 11 avril 2022, définitivement classé la procédure pénale contre B.
- Par jugement complémentaire du 22 août 2022, le Bezirksgericht a en outre décidé d'utiliser le compte IBAN xxx pour garantir les frais de procédure et les indemnités de la partie plaignante A. (« Recourante») pour un montant de CHF 424'069.-.
- La Recourante s'est opposée aux trois décisions de levées partielles de séquestre, qui ont été confirmées par l'Obergericht. La Recourante a donc interjeté un recours en matière pénale auprès du Tribunal fédéral.
- Devant notre Haute Cour, la Recourante a fait valoir une violation des art. 70 CP et 263 CPP. Elle a soutenu que, selon l'acte d'accusation du Staatsanwaltschaft, la totalité du montant figurant sur le compte IBAN xxx constituait le produit présumé des infractions. De ce fait, le montant total devait être confisqué et restitué (consid. 3.1).
- Le Tribunal fédéral a commencé par rappeler la portée des dispositions litigieuses. En particulier, il a indiqué que les valeurs patrimoniales d'un prévenu ou d'un tiers peuvent être séquestrées, s'il est rendu vraisemblable qu'elles seront utilisées pour garantir les frais de procédure (art. 263 al. 1 let. b), si elles doivent être restituées au lésé (let. c) ou si elles doivent être confisquées (let. d). Le juge prononce la confiscation des valeurs patrimoniales obtenues au moyen d'une infraction à moins qu'elles ne soient remises à la personne lésée (art. 70 al. 1 CP) (consid. 3.2).
- Pendant la procédure pénale, les autorités pénales doivent vérifier en permanence si et dans quelle mesure le séquestre est encore justifié. Toutes les valeurs patrimoniales doivent rester séquestrées tant qu'il n'est pas établi quelle partie des valeurs patrimoniales concernées sont d'origine délictueuse. Dès lors, lorsqu'un séquestre est levé (partiellement ou intégralement), les objets ou valeurs patrimoniales concernées doivent être remis aux ayants-droits conformément à l'art. 267 al. 1 CPP (consid. 3.3).
- In casu, les juges de Mon-Repos ont retenu que dans les décisions attaquées, l'instance précédente n'avait précisé, ni l'état actuel du compte IBAN xxx, ni le montant qui selon elle devait être maintenu sous séquestre, tout en rappelant que selon le Staatsanwaltschaft, l'ensemble des avoirs confisqués était d'origine délictuelle. Par ailleurs, la question de savoir si les valeurs patrimoniales saisies constituaient le produit d'un délit devait en principe être appréciée par le tribunal de fond. S'il était vrai que le jugement complémentaire avait été rendu le 22 août 2022, il n'était pas en force lorsque les décisions attaquées avaient été rendues (consid. 3.4).
- De ce fait, et selon la jurisprudence, l'ensemble des valeurs patrimoniales aurait dû rester sous séquestre. En décidant de libérer prématurément les fonds, sans décision valable au fond quant à la nature et la provenance des valeurs patrimoniales, l'instance précédente avait anticipé de manière inadmissible sa décision et avait pris le risque de payer les notes d'honoraires et l'avance de frais avec des fonds d'origine délictuelle (consid. 3.4).
- Partant, le recours a été admis.
TF 7B _265/2022 du 28 juin 2024 | Rappel de jurisprudence : effets de l'arrêt de renvoi du Tribunal fédéral
- Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral a
rappelé qu'un arrêt de renvoi, avec effet
cassatoire (e annulation du jugement attaqué et
renvoi à l'instance précédente pour
nouvelle décision), rend formellement inexistant le jugement
rendu sur appel. Le fait que le jugement rendu sur appel ne puisse
plus faire l'objet d'une nouvelle appréciation
juridique en ce qui concerne les points non critiqués et non
contestés par le Tribunal fédéral et
qu'ils soient considérés comme confirmés
sur ce point ne change rien à son annulation formelle
(intégrale). Toutefois, les parties de jugement
matériellement « confirmées »
n'entrent pas en force suite à l'annulation
complète du jugement rendu sur appel, si bien qu'elles
doivent être formellement prononcées à
nouveau
(consid. 1.2). - En cas d'admission (partielle) d'un recours, seule une décision réformatrice amène l'affaire à une conclusion définitive de la procédure (consid. 1.2).
II. DROIT PÉNAL ÉCONOMIQUE
-
III. DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ
-
IV. DROIT DE LA POURSUITE ET DE LA FAILLITE
TF 5A_423/2024 du 19 juillet 2024 |
Dépôt d'un complément de recours
tardif et ouverture de la faillite
confirmée (art. 174 LP)
- Par décision du 24 avril 2024, le Regionalgericht du Jura bernois-Seeland a ouvert la faillite de la Recourante.
- Le 2 mai 2024, la Recourante a recouru contre le prononcé de la faillite auprès de l'Obergericht
- Par décision du 3 mai 2024, l'Obergericht a demandé à la Recourante de verser une avance de frais de CHF 750.- et a attiré son attention sur les conditions de l'art. 174 LP qui permettent l'annulation de l'ouverture de la faillite. Il était également indiqué que la Recourante avait la possibilité de compléter son recours dans le délai de recours encore en cours (consid. 1.1).
- Le 7 juin 2024, la Recourante a complété son recours et a déposé le montant de la créance due auprès de l'Obergericht (consid. 1.1).
- Par décision du 21 juin 2024, l'Obergericht n'est pas entrée en matière sur le recours et la faillite de la Recourante a été ouverte à 14h15. La Recourante a recouru contre cette décision auprès du Tribunal fédéral (consid. 1.2).
- Devant notre Haute Cour, la Recourante a fait valoir que la
décision du 3 mai 2024 avait été transmise par
l'intermédiaire du Konkursamt du
Seeland (« Office des
faillites») et lui aurait été
communiquée le 30 mai 2024, moment auquel le délai de
recours aurait dû commencer à courir
(consid. 4).
- In casu, le Tribunal fédéral a commencé par souligner qu'il ressortait de l'extrait de Track & Trace que l'envoi avait été remis à la poste le 3 mai 2024 et qu'un ordre de réexpédition avait été déclenché avant qu'il ne semble avoir été perdu. Après plusieurs recherches, il avait été remis le 30 mai 2024 directement à la Recourante (consid. 5).
- Toutefois, selon notre Haute Cour, la Recourante ne pouvait pas déduire de ces circonstances que son complément de recours du 7 juin 2024 et le dépôt du montant de la créance due auraient été effectués en temps utile. En effet, le recours selon l'art. 174 LP ne pouvait être complété que dans le délai de recours de dix jours et les motifs d'annulation de la faillite (en l'occurrence la consignation selon l'art. 174 al. 2 ch. 2 LP) devaient également s'être réalisés dans ce délai (consid. 5).
- Dans le cas d'espèce, le Tribunal fédéral a retenu que le délai de recours avait commencé à courir dès la notification du jugement de première instance et non à partir de la notification de la décision de l'Obergericht du 3 mai 2024. Dans cette décision, un délai avait été fixé à la Recourante, à compter de la notification de celle-ci, uniquement pour le paiement de l'avance de frais. Pour le surplus, l'Obergericht avait uniquement attiré l'attention de la Recourante sur les voies de recours selon la règle de l'art. 174 LP qui y était déjà exposée, et l'avait rendue attentive au fait qu'elle avait la possibilité de compléter le recours dans le délai de recours encore en cours. Cette indication ne fixait pas à la Recourante un délai à compter de la notification de la décision pour compléter le recours ou pour réaliser les motifs d'annulation de la faillite (consid. 5).
- Dès lors, le 7 juin 2024, le délai était échu et il n'était donc pas exact que la Recourante disposait encore d'un délai à compter du 30 mai 2024 pour compléter le recours ou verser la somme due.
- Partant, le recours a été rejeté.
TF 5A_170/2024 du 18 juin 2024 | Faillite à la demande du débiteur jugée abusive (art. 191 LP ; art. 2 al. 2 CC)
- Par actes reçus au Tribunal de première instance genevois (« Tribunal») les 2 octobre et 7 novembre 2023, A. (« Recourante ») s'est déclarée insolvable et a requis sa faillite immédiate. Elle a exposé percevoir un salaire mensuel net de CHF 3'976.20 et avoir des dettes pour un montant total de CHF 576'551.25. Elle a en outre indiqué que sa requête était formée « dans le but de la soulager de l'acharnement de ses divers créanciers et de pouvoir prendre un nouveau départ sur le plan économique ». Par jugement du 9 novembre 2023, le Tribunal a rejeté sa requête et ce jugement a été confirmé par la Cour de justice genevoise. La Recourante a alors interjeté un recours auprès du Tribunal fédéral.
- Elle s'est plainte en particulier de la violation des art. 191 LP et 2 al. 2 CC. Elle a contesté en substance vouloir utiliser l'institution de la faillite personnelle de façon contraire à son but (consid. 3).
- Le Tribunal fédéral a rappelé que le débiteur peut lui-même requérir sa faillite en se déclarant insolvable (art. 191 LP). Deux conditions doivent dès lors être cumulativement remplies : (i) l'état d'insolvabilité du débiteur, soit l'incapacité durable pour le débiteur de payer ses dettes échues en raison d'un manque de liquidités (condition positive) et (ii) l'impossibilité de règlement amiable des dettes (condition négative). Il a précisé que l'abus de droit constituait une limite (art. 2 al. 2 CC) (consid. 3.1).
- En particulier, une déclaration d'insolvabilité qui a pour dessein de léser les créanciers est considérée comme abusive. Selon la jurisprudence, la démarche du débiteur n'est pas abusive du simple fait qu'elle est dictée par un mobile égoïste, mais bien lorsqu'elle procède de l'unique but de faire tomber une saisie exécutée au profit d'un seul créancier. La demande de faillite volontaire qui poursuit le but d'échapper à la saisie de son salaire constitue alors un abus de droit (consid 3.1).
- Toujours selon la jurisprudence, l'abus de droit a également été retenu lorsque le débiteur sollicite sa faillite personnelle alors qu'il sait n'avoir aucun actif susceptible de tomber dans la masse en faillite pour désintéresser les créanciers (consid 3.1).
- Le Tribunal fédéral a jusqu'à présent laissé ouverte la question de savoir quelle est la limite inférieure à la valeur des actifs que le débiteur doit détenir pour qu'on considère qu'il dispose de quelques biens de valeur qui pourraient, en cas de faillite, permettre de désintéresser partiellement les créanciers et, partant, exclure l'abus de droit. Dans un arrêt du 4 mars 2019, il a retenu que ne violait pas le droit fédéral le refus de prononcer la faillite volontaire dans un cas où le requérant disposait d'une fortune de CHF 640.34, avec des dettes s'élevant à CHF 55'704.-, ce qui ne laissait entrevoir qu'un dividende d'environ 1% (consid. 3.1).
- In casu, les juges de Mon-Repos ont premièrement souligné qu'il n'était pas contesté que la Recourante était insolvable et qu'un règlement à l'amiable de ses dettes apparaissait exclu. Ensuite, le Tribunal fédéral a retenu que, selon l'estimation très prudente de l'Office des poursuites, les biens saisissables de la Recourante (s'élevant à CHF 9'200.-) et les biens pénalement séquestrés (CHF 71'100.-) n'étaient pas suffisants pour justifier une faillite volontaire à l'encontre des huit actes de défaut de biens émis à l'encontre de la débitrice pour un montant total de CHF 548'931,54 ainsi que des nouvelles poursuites intentées par différents autres créanciers (consid. 3.4).
- Dès lors, la faillite de la Recourante aurait servi avant tout ses propres intérêts en lui permettant d'échapper à la saisie de son salaire disponible, sans qu'aucun dividende ne puisse être retiré pour désintéresser les créanciers, manœuvre jugée abusive selon la jurisprudence. C'est donc sans violer le droit fédéral que la Cour de justice genevoise a considéré la requête de faillite volontaire de la débitrice abusive (consid. 3.4).
- Partant, son recours a été rejeté.
V. ENTRAIDE INTERNATIONALE
-
Footnote
1. Arrêt destiné à publication.
The content of this article is intended to provide a general guide to the subject matter. Specialist advice should be sought about your specific circumstances.