Imaginez que vous appreniez, après le décès de votre conjoint, que l'Agence du revenu du Canada vous réclame le paiement de la dette fiscale de votre conjoint. La formule «jusqu'à ce que la mort nous sépare» a pu exprimer un serment d'amour, mais aux yeux des autorités fiscales, le lien financier peut persister bien au-delà de la mort. Si vous recevez des biens d'un conjoint décédé qui devait de l'impôt, êtes-vous responsable?
Une décision récente de la Cour d'appel fédérale souligne l'importance de la désignation d'un bénéficiaire direct pour protéger l'épargne-retraite contre les réclamations visant la succession, y compris au titre d'impôts impayés.
Quand est-on considéré comme un conjoint – Et pourquoi cela importe du point de vue fiscal
Le mariage marque une étape importante dans les cultures du monde entier. La qualité de mari ou de femme donne également lieu à des droits et obligations juridiques. Certains, mais non la totalité, des territoires canadiens accordent aux conjoints de fait des droits et des obligations similaires à ceux des personnes mariées. Les exigences juridiques applicables à la constitution d'une union de fait diffèrent d'un bout à l'autre du Canada et peuvent se révéler assez subjectives, suscitant de l'incertitude dans certains cas. Il est généralement plus aisé de déterminer si une personne est mariée ou non, et donc si elle est un «conjoint» en droit.
Récemment, dans l'affaire Enns c. Canada, 2025 CAF 14 («Enns»), la définition du mot «époux» a fait l'objet d'un examen approfondi, en particulier pour déterminer si un partenaire survivant était toujours considéré comme un «époux» après le décès, pour l'application de la Loi de l'impôt sur le revenu (la «LIR»).
Peut-on hériter d'une facture fiscale? Comprendre l'article160 de la Loi de l'impôt sur le revenu
Chaque particulier au Canada est un contribuable distinct, responsable du paiement de ses propres impôts. Les époux et les conjoints de fait ne sont pas automatiquement tenus de payer l'impôt de leur partenaire. Toutefois, l'article160 de la LIR permet le recouvrement d'impôts impayés auprès de personnes autres que le contribuable principal.
Plus précisément, selon l'alinéa160(1)a) de la LIR, lorsqu'une personne redevable d'impôts impayés transfère des biens à son époux ou à son conjoint de fait pour une contrepartie inférieure à la juste valeur marchande (p.ex. un don), le ministre du Revenu national (le «ministre») peut imposer l'époux ou le conjoint de fait bénéficiaire du transfert au titre des impôts impayés, jusqu'à concurrence de la valeur du don. Cette mesure empêche un débiteur fiscal de donner des biens à son conjoint pour éviter de payer de l'impôt. Des règles similaires s'appliquent aux transferts de biens à des personnes mineures et à des personnes avec lesquelles le débiteur fiscal a un lien de dépendance.
Étude de cas: Enns c. Canada – Un conjoint demeure-t-il un «conjoint» après le décès?
Peter Enns est décédé en 2013, laissant un compte de régime enregistré d'épargne-retraite («REER») d'une valeur de 102789,52$. Malheureusement, à son décès, sa dette fiscale dépassait ce montant. La femme de Peter, Marlene Enns, était la bénéficiaire désignée du REER et a reçu les fonds directement du compte de REER après le décès de Peter.
Le ministre a établi une cotisation à l'égard de Marlene afin de recouvrer la valeur totale du REER. Marlene a fait valoir que, Peter étant décédé, elle n'était plus son épouse et que, par conséquent, le ministre ne pouvait pas lui réclamer le paiement de la dette fiscale de Peter.
La Cour de l'impôt a examiné deux affaires antérieures où des conclusions opposées ont été tirées quant à savoir si une personne cessait d'être un époux au décès de sa femme ou de son mari: Kiperchuk c. La Reine, 2013 CCI 60, et Kuchta c. La Reine, 2015 CCI 289.
La Cour de l'impôt a penché pour l'analyse exposée dans l'affaire Kuchta c. La Reine, selon laquelle, pour l'application de l'alinéa160(1)a) de la LIR, une personne ne cessait pas d'être un époux au décès de sa femme ou de son mari. Par conséquent, Marlene devait payer l'impôt de Peter. Marlene a eu gain de cause en appel.
Après avoir procédé à une analyse textuelle, contextuelle et téléologique du mot «époux» à l'alinéa160(1)a) de la LIR, la Cour d'appel fédérale a déclaré que la qualité d'épouse de Marlene avait pris fin au décès de Peter et que celle-ci n'était pas tenue de payer les obligations fiscales de Peter. La Cour a fait remarquer que, si Marlene devait retirer le plein montant du REER pour payer la dette fiscale de Peter, elle-même serait alors assujettie à l'impôt applicable aux fonds retirés, un résultat que le législateur n'aurait peut-être pas voulu.
Conséquences pratiques de la décision Enns
Bien que la décision Enns semble procurer aux personnes veuves un allégement apprécié, deux mises en garde importantes s'imposent:
Premièrement, les conséquences à long terme de la décision Enns restent incertaines. Le raisonnement de la Cour a déjà soulevé certaines critiques. Le ministre pourrait interjeter appel devant la Cour suprême du Canada, en particulier compte tenu des décisions contradictoires rendues à ce jour par la Cour de l'impôt. De plus, la LIR pourrait être modifiée de manière à préciser que l'ancien conjoint d'un défunt est responsable de ses obligations fiscales, dans des circonstances similaires à celles de l'affaire Enns. À l'heure actuelle, toutefois, la désignation de votre conjoint à titre de bénéficiaire de votre REER peut le protéger contre la récupération fiscale après votre décès.
Deuxièmement, il importe d'établir une distinction entre la désignation d'un bénéficiaire direct et le transfert d'actifs à un conjoint survivant par voie de testament. Les comptes enregistrés, comme les REER, les FERR et les comptes d'épargne libre d'impôt, peuvent contourner la succession s'ils sont assortis d'une désignation de bénéficiaire direct. Cela peut protéger les fonds se trouvant dans ces comptes contre les réclamations de créanciers successoraux. Si, dans l'affaire Enns, le REER avait été transféré à la succession de Peter, sa valeur totale aurait été disponible pour régler sa dette fiscale impayée, même si Marlene était la bénéficiaire de sa succession.
La désignation de bénéficiaires directs ne convient pas toujours et ne devrait avoir lieu qu'avec des conseils appropriés. Si vous avez des questions au sujet de la désignation de bénéficiaires, du sort de vos comptes enregistrés à votre décès ou de la protection de vos proches contre d'éventuels différends ou obligations fiscales, communiquez avec notre groupe Services aux particuliers pour obtenir une consultation.
S'il vous a été demandé de payer des impôts ou d'autres dettes qui incombaient à votre conjoint ou à un membre de votre famille décédé, il importe d'obtenir des conseils juridiques adaptés à votre situation.
Notre groupe Successions et fiducies possède une vaste expérience de la prestation de conseils aux clients sur les différends touchant les bénéficiaires, les cotisations fiscales et les litiges mettant en cause les droits et obligations de conjoints. Nous sommes à votre disposition pour vous aider à comprendre vos options, à faire valoir vos droits et à protéger ce qui compte le plus.
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