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9 September 2025

L'arrêt Collège des médecins du Québec c. Maison Jacynthe – Interprétation de l'article 32 et exercice illégal de la médecine

MT
McCarthy Tétrault LLP

Contributor

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L'auteure commente cet arrêt de la Cour d'appel portant sur l'interprétation de l'article 32 du Code des professions et l'exercice illégal de la médecine.
Canada Quebec Litigation, Mediation & Arbitration

Résumé

L'auteure commente cet arrêt de la Cour d'appel portant sur l'interprétation de l'article 32 du Code des professions et l'exercice illégal de la médecine.

Introduction

La principale question soumise à la Cour d'appel par le Collègedes médecins (le « Collège » ou l'« appelant ») dans l'arrêt Collège des médecins du Québec c. Maison Jacynthe inc.1 est la suivante : la Cour supérieure a-t-elle commis une erreur révisable lorsqu'elle a tranché que la Cour du Québec avait elle-même commis une erreur quant à la norme applicable en évaluant si les gestes de Maison Jacynthe inc. (« Maison Jacynthe » ou l'« intimée ») « pouvaient donner lieu de croire » qu'elle était autorisée à exercer une activité professionnelle réservée aux membres du Collège plutôt que d'évaluer si ces gestes « donnaient lieu de croire » qu'elle était autorisée à exercer une telle activité?

I – Les faits et le jugement rendu par la cour du québec

Le Collège reproche à Maison Jacynthe d'avoir, dans le cadre de deux vidéos publiées sur Facebook, agi de manière à donner lieu de croire qu'elle était autorisée à exercer la médecine, alors qu'elle n'était pas titulaire d'un permis valide et approprié et qu'elle n'était pas inscrite au tableau du Collège.

De l'avis du Collège, Maison Jacynthe aurait ainsi enfreint l'article 32 du Code des professions (ci-après « C. prof. » ou « Code »). Cette disposition prévoit que :

[n]ul ne peut de quelque façon prétendre être […] médecin […] ni utiliser l'un de ces titres ou

un titre ou une abréviation pouvant laisser croire qu'il l'est, ou s'attribuer des initiales pouvant laisser croire qu'il l'est, ni exercer une activité professionnelle réservée aux membres d'un ordre professionnel, prétendre

avoir le droit de le faire ou agir de manière à donner lieu de croire qu'il est autorisé à le faire, s'il n'est titulaire d'un permis valide et approprié et s'il n'est inscrit au tableau de l'ordre habilité à délivrer ce permis, sauf si la loi le permet.

Dans les vidéos faisant l'objet des reproches, Jacynthe René, l'une des actionnaires et présidente de Maison Jacynthe, et Christian Limoges, naturopathe et iridologue, répondaient aux questions des internautes sur leur état de santé et discutaient, entre autres, de « bon mode de vie », d'irrigation du côlon, d'un programme de « détox », des bienfaits de produits Bioflo ainsi que de divers sujets tels les migraines, les allergies, l'eczéma, la colite ulcéreuse et les « déchets » dans le corps. Les vidéos étaient accessibles à tous les internautes, et non seulement aux abonnés de la page Facebook de Maison Jacynthe.

Dans une décision rendue le 23 mars 20212 , la Cour du Québec (Nathalie Duchesneau, j.c.q.) a déclaré l'intimée coupable d'avoir contrevenu à l'article 32 C. prof., commettant ainsi l'infraction prévue à l'article 188 de ce même Code.

De l'avis de la Cour du Québec, la preuve démontre hors de tout doute raisonnable que l'intimée a laissé croire à toute personne raisonnable, de par les propos et agissements de Jacynthe René dans les vidéos, qu'elle pouvait diagnostiquer et prodiguer des traitements, soit des activités réservées aux médecins, alors qu'elle n'était pas autorisée à le faire.

Le 18 mai 2021, la Cour du Québec a condamné l'intimée à une amende de 8 000 $ par chef sur les deux chefs du constat d'infraction ainsi qu'au paiement de frais de 1 000 $ et de la contribution de 2 000 $.

L'intimée a porté le jugement du 23 mars 2021 en appel devant la Cour supérieure3.

II – Le jugement de la cour supérieure

En appel du jugement de la Cour du Québec, la Cour supérieure (Alexander Pless, j.c.s.), dans son jugement du 29 juillet 20224, conclut que la Cour du Québec a commis une erreur de droit en ne distinguant pas les deux fardeaux de preuve distincts prévus par l'article 32 C. prof. selon que le reproche vise l'utilisation d'un titre « pouvant donner lieu » de croire ou des agissements « donnant lieu » de croire que la personne est autorisée à exercer une activité professionnelle réservée.

A. Question nouvelle en appel devant la Cour supérieure

Selon Maison Jacynthe, le Collège devait démontrer que les gestes posés « donnaient lieu de croire » qu'elle était autorisée à exercer une activité professionnelle réservée aux membres du Collège, alors que la Cour du Québec aurait parfois appliqué une norme moins élevée, en évaluant plutôt si les gestes « pouvaient donner lieu de croire » qu'elle était ainsi autorisée.

La question de l'interprétation de l'article 32 C. prof. n'ayant pas été avancée par Maison Jacynthe en première instance, la Cour supérieure s'interroge tout d'abord quant à savoir si, suivant les enseignements de la Cour suprême5 et de la Cour d'appel6, Maison Jacynthe avait le droit de soulever la question de l'interprétation de l'article 32 C. prof. en appel. La Cour supérieure conclut par l'affirmative, dans la mesure où il s'agit d'une question de droit pure qui ne requiert pas de preuve additionnelle. Elle retient de plus que le fait d'empêcher Maison Jacynthe de présenter ce moyen d'appel relatif aux éléments constitutifs de l'infraction et du fardeau de preuve lui causerait un préjudice et constituerait un déni de droit.

B. Norme de contrôle en appel d'une condamnation pénale

La Cour supérieure rappelle qu'en appel d'une condamnation pénale, elle ne doit intervenir qu'en présence d'un verdict déraisonnable, d'une erreur de droit déterminante ou d'un déni de justice7.

C. Application du critère de l'article 32 C. prof.

  • La Cour supérieure indique que l'article 32 C. prof. énonce plusieurs infractions distinctes. En effet, l'article 32 C. prof. vise :
  • Le fait de « prétendre être » un professionnel visé ;
  • L'utilisation par une personne d'un titre ou d'une abréviation ou l'attribution d'initiales « pouvant laisser croire » qu'elle pratique l'une des professions identifiées par la disposition ;
  • L'exercice d'une activité professionnelle réservée aux membres d'un ordre professionnel sans être titulaire d'un permis valide et approprié et sans être inscrit au tableau de l'ordre ;
  • Le fait de prétendre avoir le droit d'exercer une telle activité ;
  • Le fait d'agir « de manière à donner lieu de croire qu'[elle] est autorisée » à exercer une telle activité.

Ainsi, de l'avis de la Cour supérieure, ces formulations établissent des normes distinctes, le législateur ayant opté pour une formulation différente pour chaque infraction : « prétendre être » en premier lieu, « pouvant laisser croire » en deuxième lieu, et « agir de manière à donner lieu de croire » en troisième lieu8. Le fardeau de preuve est ainsi plus léger en cas d'utilisation du titre, tandis que le fardeau est plus strict lorsqu'il est reproché de donner l'impression d'accomplir un acte réservé.

La Cour supérieure note que la juge de première instance ne semble pas avoir opéré les distinctions qui s'imposaient, en utilisant par moment l'expression « donn[er] lieu de croire » et, en d'autres occasions, les expressions « pouvant laisser croire » et « peuvent induire une personne raisonnable à croire », alors qu'elle devait déterminer si Maison Jacynthe avait agi de manière à « donner lieu de croire » qu'elle était autorisée à exercer une activité professionnelle réservée aux médecins.

Ainsi, la Cour supérieure est d'avis que la Cour du Québec a erré en droit. Pour la Cour supérieure, l'utilisation répétée de la mauvaise norme, soit le fait de « pouvoir donner lieu croire » dans son jugement, constitue plus qu'une simple erreur ou ambiguïté.

La Cour supérieure accueille l'appel pour ce motif et ne se prononce pas sur les autres moyens d'appel soulevés par Maison Jacynthe. Elle annule en conséquence les jugements de culpabilité quant aux deux chefs d'infraction reprochés à Maison Jacynthe et ordonne la tenue d'un nouveau procès. Le Collège porte le jugement de la Cour supérieure en appel devant la Cour d'appel.

III – L'arrêt de la cour d'appel

Dans un arrêt rendu le 29 novembre 2023, la Cour d'appel (Martin Vauclair, j.c.a., Frédéric Bachand, j.c.a., Stephen W. Hamilton, j.c.a.) partage l'avis de la Cour supérieure selon lequel il importe de faire une distinction entre les libellés « pouvant laisser croire » et « de manière à donner lieu de croire » et que ceux-ci énoncent des normes ou des fardeaux distincts. Dans ce dernier cas, le comportement visé étant moins clair que l'utilisation du titre de médecin, la preuve doit démontrer que le geste visé conduira « effectivement la personne raisonnable à croire, ce qui représente un niveau de certitude ou d'intensité plus élevé »9. Quant à elle, l'expression « pouvant laisser croire » ne requiert que la preuve d'une possibilité que le geste visé conduise la personne raisonnable à croire.

La Cour d'appel rejette l'argument de l'appelant selon lequel la disposition doit être interprétée au regard de la méthode moderne d'interprétation législative et que les deux expressions devraient recevoir la même interprétation en regard de l'intention du législateur de protéger le public contre toute personne qui tenterait de le berner à l'égard de ses aptitudes à exercer une profession réglementée.

Ceci étant, la Cour d'appel indique qu'il est important de rappeler que la différence entre les expressions « pouvant laisser croire » et « donner lieu de croire » n'a jamais été soulevée en première instance, ce qui permet d'expliquer les lapsus de la juge de première instance à cet égard.

La Cour d'appel souligne qu'à tout événement, la juge de première instance a appliqué le critère approprié dans son analyse finale. Selon la Cour, la juge énonce le bon test à de nombreuses reprises au début de son jugement et le reprend au dernier paragraphe de son jugement.

La Cour d'appel accueille donc l'appel, infirme le jugement de la Cour supérieure et retourne le dossier en Cour supérieure pour traiter des autres moyens d'appel de l'intimée.

Le 21 avril 2024, la Cour supérieure (Geeta Narang, j.c.s.), après avoir de nouveau rappelé que son « corridor d'intervention est étroit », a rejeté l'appel de Maison Jacynthe à l'égard de ses autres moyens d'appel10.

IV – Le commentaire de l'auteure

L'arrêt commenté clarifie l'interprétation qui doit être donnée à l'article 32 C. prof. La Cour d'appel confirme que cette même disposition comporte des infractions distinctes, lesquelles répondent à des fardeaux de preuve différents.

Plus particulièrement, l'article 32 C. prof. énonce deux infractions et fardeaux de preuve distincts, soit :

  • Un fardeau moins strict s'appliquant à l'infraction consistant à utiliser le titre de médecin ; et
  • Un fardeau plus lourd s'appliquant à l'infraction consistant à « donner lieu de croire » qu'une personne est autorisée à exercer les activités réservées aux médecins.

Cet arrêt rappelle toutefois que, pour décider si le tribunal de première instance a commis une erreur de droit « déterminante » dans un tel contexte, il convient d'analyser son jugement dans son ensemble. Ainsi, des lapsus quant au langage utilisé peuvent être surmontés lorsqu'il transparaît autrement du jugement que le critère d'évaluation approprié a été appliqué.

Conclusion

Cet arrêt de la Cour d'appel, de même que le jugement récemment rendu par la Cour supérieure sous la plume de Geeta Narang, j.c.s., au sujet des autres moyens d'appels soulevés par l'intimée, ont ainsi mis un terme à cette affaire qui opposait le Collège à Maison Jacynthe.

Dans son jugement rendu le 21 août 2024, la Cour supérieure a rejeté les prétentions de Maison Jacynthe quant à une violation, par la Cour du Québec, de l'équité procédurale et a conclu que la juge de première instance avait fait une analyse soignée de la preuve, ne commettant ainsi aucune erreur révisable. Par le fait même, la Cour supérieure a confirmé la culpabilité de Maison Jacynthe quant aux deux chefs d'infraction qui lui étaient reprochés11

Dans son jugement, la Cour supérieure réitère que le fait d'avoir agi de façon à « donner lieu de croire » que l'on est autorisé à exercer des actes réservés tels que diagnostiquer les maladies, déterminer un traitement médical ou prescrire les traitements est une infraction de responsabilité stricte, qui ne requiert pas la preuve d'une intention de tromper et implique une analyse du comportement du point de vue de la personne raisonnable. Elle estime que les propos tenus par Jacynthe René, porte-parole de Maison Jacynthe, relevaient de « conseils » et qu'elle a ainsi franchi la ligne en donnant lieu de croire que Maison Jacynthe est autorisée à exercer des activités professionnelles réservées aux médecins.

Ainsi, les gestes reprochés par le Collège à Maison Jacynthe inc. ont mené les tribunaux à fournir un éclairage additionnel quant aux agissements donnant lieu de croire qu'une personne – incluant une personne morale – est autorisée à exercer la médecine, particulièrement dans un contexte d'utilisation soutenue des médias sociaux au sein de la population et la prolifération, sur les différentes plateformes, de communications en matière de « modes de vie santé ».

Footnotes

1 Collège des médecins du Québec c. Maison Jacynthe inc., 2023 QCCA 1493, EYB 2023-536375.

2 Collège des médecins du Québec c. Limoges, 2021 QCCQ 1874, EYB 2021-381706. La décision de la Cour du Québec a fait l'objet d'un commentaire par Catherine Bélanger Pâquet, en ligne :<https://www.mccarthy.ca/fr/references/publications/commentaire-sur-la-decision-college-des-medecins-du-quebec-c-limoges-la-limite-entre-les-conseils-sur-les-styles-de-vie-sante-et-lexercice-illegal-de-la-medecine>.

3 Les deux autres défendeurs, Christian Limoges et Actumus inc. (faisant affaire sous le nom de « Clinique L'Aube »), ont également été reconnus coupables, mais n'ont pas porté la décision en appel.

4 Maison Jacynthe inc. c. Collège des médecins du Québec, 2022 QCCS 3218, EYB 2022-474298.

5 R. c. Brown, [1993] 2 R.C.S. 918, 927.

6 Phillips c. R., 2017 QCCA 1284, EYB 2017-283927, par. 14 ; Autorité des marchés financiers c. Lacroix, 2009 QCCA 1559, EYB 2009-162982, par. 26 et 27. 

7 Code de procédure pénale, c. C-25.1, art. 286.

8 Supra, note 4, par. 27, 29.

9 Arrêt commenté, par. 13-14.

10 Maison Jacynthe inc. c. Collège des médecins du Québec, 2024 QCCS 3162, EYB 2024-552532, par. 3.

11 Maison Jacynthe inc. c. Collège des médecins du Québec, 2024 QCCS 3162, EYB 2024-552532.

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