Dans l'arrêt Edmonton Regional Airports Authority v Lynx Air Holdings Corporation, la Cour d'appel de l'Alberta rappelle avec pertinence les principes essentiels du droit des fiducies. En effet, cette récente décision constitue un rappel important que, pour établir une relation fiduciaire, il est important de démontrer clairement l'intention des parties.
Mise en contexte
Un protocole d'entente a été conclu entre l'Association du transport aérien du Canada, certains transporteurs aériens (notamment Lynx Air) et certaines autorités aéroportuaires, entre autres les autorités aéroportuaires de Calgary, d'Edmonton, de Winnipeg et d'Halifax (collectivement, les « autorités aéroportuaires »). En vertu de ce protocole d'entente, les transporteurs aériens signataires ont convenu de percevoir des frais d'améliorations aéroportuaires (les « FAA ») auprès des passagers et de les reverser chaque mois aux autorités aéroportuaires. En l'occurrence, l'article 20.1 du protocole d'entente est rédigé comme suit :1
[TRADUCTION] Les parties renoncent expressément à toute intention de créer un partenariat, une coentreprise, une relation fiduciaire ou une entreprise commune. Aucune disposition du présent protocole d'entente ni aucune action par l'une des parties en lien avec les présentes ne saurait constituer ou être considéré comme constituant un partenariat, une coentreprise ou une relation de mandant/mandataire de quelque nature que ce soit ou à quelque fin que ce soit, sauf dans la mesure où les transporteurs aériens signataires agissent en tant que mandataires des aéroports pour la perception et le reversement des FAA.
Le 22 février 2024, Lynx Air a déposé une demande de protection en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (L.R.C. [1985], ch. C-36) (la « LACC »). À cette date, elle détenait plus de 4 millions $ en FAA, qui n'avaient pas été reversés aux autorités aéroportuaires. Les autorités aéroportuaires ont demandé une déclaration attestant que les FAA non reversés détenus par Lynx Air étaient placés dans une fiducie à leur bénéfice et devaient être payés immédiatement, plutôt que d'être assujettis aux procédures prévues par la LACC.
Historique du litige
Le juge siégeant en son cabinet a rejeté la demande des autorités aéroportuaires, estimant que le protocole d'entente créait une relation de mandataire entre les transporteurs aériens signataires et les autorités aéroportuaires, mais excluait expressément toute relation fiduciaire. Ainsi, les FAA non reversés que Lynx Air avait en sa possession au moment de l'ordonnance initiale rendue en vertu de la LACC ne constituaient pas la propriété des autorités aéroportuaires, mais étaient plutôt détenus en fiducie pour leur compte par Lynx Air.
Les autorités aéroportuaires ont interjeté appel de cette décision, et la Cour d'appel a confirmé le jugement du tribunal de première instance. Au cours de son analyse, la Cour d'appel a rappelé avec pertinence les éléments exigés pour constituer une fiducie expresse, implicite et constructoire de nature réparatoire.
Principes fondamentaux du droit des fiducies confirmés par la Cour d'appel
Nous avons présenté ci-dessous un résumé des principes fondamentaux du droit des fiducies réitérés dans la décision de la Cour d'appel :
- Une fiducie peut être explicite (c'est-à-dire, être formulée par écrit) ou implicite.2
- La constitution d'une fiducie nécessite la présence de trois certitudes : a) la certitude quant à l'intention (les constituants ont expressément exprimé leur intention de constituer une fiducie et d'imposer des obligations fiduciaires contraignantes au fiduciaire), b) la certitude quant à la matière (les biens en fiducie ont été séparés des autres biens) et c) la certitude quant à l'objet (les bénéficiaires sont clairement identifiables).3
- Une relation de mandataire ne sous-entend pas nécessairement une relation fiduciaire.4
- En raison du lien de propriété qui découle d'une relation fiduciaire, il est important de définir clairement, sans ambiguïté, toute convention de fiducie explicite.5
- Une fiducie peut être implicite ou déduite à partir de preuves circonstancielles. Le critère consiste à déterminer si une personne raisonnable serait en mesure de déduire que les parties avaient l'intention de constituer une fiducie sur la base de leurs affirmations ou de leur conduite. Toute affirmation subjective ultérieure d'une fiducie qui n'était pas manifeste au moment de la constitution ne suffit pas.6
- Les quelques indices objectifs ci-après permettent de déterminer l'intention de constituer une fiducie lorsqu'il s'agit d'évaluer si une fiducie implicite a été créée : i) un compte fiduciaire distinct; ii) le mélange des fonds en question; iii) le libellé de l'accord; iv) toute autre preuve faisant allusion au traitement des fonds à titre de fonds en fiducie.7
- Une fiducie constructoire de nature réparatoire est un recours discrétionnaire qui peut être intenté pour remédier à des actes répréhensibles ou en cas d'enrichissement injuste.8
- Les critères régissant le pouvoir discrétionnaire de la Cour d'imposer une fiducie constructoire de nature réparatoire sont les suivants : i) la partie défenderesse se trouve liée par une obligation équitable en lien avec les activités à l'origine des actifs en sa possession; ii) les actifs détenus par la partie défenderesse découlent d'activités réelles ou présumées qu'elle a effectuées à titre de mandataire, contrevenant ainsi à ses obligations morales; iii) la partie demanderesse a un motif légitime d'intenter un recours du propriétaire; iv) aucun facteur ne rend l'imposition d'une fiducie constructoire injuste dans l'ensemble des circonstances (par exemple, la protection des intérêts des créanciers ayant pris part à l'instance).9
- Lorsqu'un contrat est invoqué à titre de fondement à une allégation d'enrichissement injuste, la clause en question doit effectivement justifier l'enrichissement de la partie défenderesse au détriment de la partie demanderesse.10
Analyse de la Cour d'appel et application de ces principes
La Cour d'appel de l'Alberta a examiné trois points principaux :
- Premièrement, le juge siégeant en son cabinet a-t-il correctement appliqué les principes d'interprétation des contrats en interprétant l'article 20.1 du protocole d'entente comme une relation de mandataire sans création d'une fiducie expresse?
- Deuxièmement, le juge siégeant en son cabinet a-t-il correctement appliqué le critère permettant de déterminer si une fiducie implicite avait été créée au nom des passagers du transporteur aérien?
- Troisièmement, était-il raisonnable d'appliquer le recours à une fiducie constructoire?
Le protocole d'entente ne prévoit pas la constitution d'une fiducie expresse
Les autorités aéroportuaires ont fait valoir que la deuxième phrase de l'article 20.1 du protocole d'entente établit clairement une relation fiduciaire entre les transporteurs aériens et les autorités aéroportuaires relativement à la perception des FAA, car la seule façon de « protéger » ces frais une fois perçus et détenus par Lynx Air, et jusqu'à leur reversement aux autorités aéroportuaires, était de les placer sous le régime d'une fiducie. En d'autres termes, les autorités aéroportuaires ont plaidé pour une interprétation de l'article 20.1 selon laquelle aucune relation fiduciaire ne les liait aux transporteurs aériens, sauf sur le plan de la perception et du reversement des FAA.
La Cour d'appel a rejeté ces prétentions. Le libellé de l'article 20.1 excluait clairement, sans ambiguïté, toute relation fiduciaire, et l'argument avancé par les autorités aéroportuaires était contraire au sens clair et ordinaire de la première phrase de l'article 20.1. Aucune autre disposition du protocole d'entente, examinée à la lumière de l'ensemble des faits, ne modifiait ce libellé clair.11 Par ailleurs, le fait de créer une relation de mandataire ne signifie pas nécessairement ni automatiquement que les parties ont eu l'intention de créer une relation fiduciaire, celle-ci n'étant pas indispensable à l'exécution des fonctions du mandataire.12
Absence de fiducie implicite
En seconde option, les autorités aéroportuaires ont fait valoir qu'une fiducie implicite avait été créée, les passagers des transporteurs aériens étant les constituants des fonds de la fiducie (c'est-à-dire ceux qui paient les FAA), Lynx Air détenant les FAA à titre de fiduciaire et les autorités aéroportuaires étant les bénéficiaires. Dans une tentative d'établissement de la certitude de l'intention, les autorités aéroportuaires ont invoqué les modalités et conditions figurant sur le site web de Lynx Air qui informent les passagers au sujet des FAA et des fins auxquelles ces frais sont utilisés. Plus précisément, les autorités aéroportuaires ont fait valoir que les passagers auraient raisonnablement pu croire que Lynx Air effectuerait le versement des FAA aux autorités aéroportuaires, au bénéfice des aéroports. Autrement dit, les autorités aéroportuaires n'avaient aucune preuve directe de l'intention des constituants/passagers concernant les FAA; elles ont toutefois fait valoir que l'analyse des preuves circonstancielles permettait d'établir leur intention.
La Cour d'appel a également rejeté cet argument, estimant qu'il était déraisonnable de supposer ou de déduire que les passagers auraient envisagé les dispositions juridiques entre les transporteurs aériens et les autorités aéroportuaires ou la constitution d'une fiducie concernant les FAA, ou même passé en revue les modalités et conditions contenues sur le site web de Lynx Air.13 Aucune preuve circonstancielle ne permettait d'expliquer l'intérêt ou l'intention des passagers de s'assurer que les autorités aéroportuaires aient bien reçu les FAA.14 Faute de certitude quant à l'intention de constituer la fiducie, il n'y a pas lieu de reconnaître l'existence d'une fiducie implicite dans de telles circonstances.
Absence de fiducie constructoire de nature réparatoire
En dernier lieu, les autorités aéroportuaires ont fait valoir que le juge siégeant en cabinet avait commis une erreur en concluant que la création d'une fiducie constructoire était un recours inapproprié et que l'article 20.1 du protocole d'entente ne pouvait servir de fondement pour justifier l'enrichissement injuste de Lynx Air.
La Cour d'appel a confirmé la décision du juge de première instance, selon laquelle une fiducie constructoire de nature réparatoire est un recours exceptionnel qui ne devrait pas être accordé dans ce contexte.15 Deux raisons fondamentales permettaient de démontrer qu'une fiducie constructoire de nature réparatoire ne convenait pas dans ce contexte.
Premièrement, l'article 20.1 du protocole d'entente excluait explicitement la formation de toute relation fiduciaire. Pour la Cour d'appel, ignorer cette clause et imposer une fiducie reviendrait à réécrire un contrat qui a été négocié par des entités expérimentées ayant une connaissance précise du secteur du transport aérien.16 Les autorités aéroportuaires étaient conscientes de la répartition du risque commercial lorsqu'elles ont négocié et signé le protocole d'entente La liberté contractuelle doit primer.
Deuxièmement, on ne peut ignorer que la réclamation en fiducie a été présentée dans le cadre d'une demande de protection en vertu de la LACC déposée par Lynx Air. Reconnaître une relation fiduciaire entre les autorités aéroportuaires et Lynx Air, alors que celle-ci n'avait pas été prévue, violerait le principe du pari passu et donnerait aux autorités aéroportuaires un avantage sur les créanciers garantis et les autres créanciers non garantis.
Principaux points à retenir
Cette cause met en lumière l'importance d'un libellé explicite ou de preuves claires confirmant la volonté de créer une relation fiduciaire, si telle est l'intention.
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Footnotes
1. Edmonton Regional Airports Authority c. Lynx Air Holdings Corporation, 2025 ABCA 116, par. 6.
2. Ibid, par. 37.
3. Ibid, par. 30.
4. Ibid, par. 26.
5. Ibid, par. 27.
6. Ibid, par. 34 à 36.
7. Ibid, par. 37, citant Firepower Debt GP Inc c. TheRedPin Inc, 2019 ONCA 903.
8. Ibid., par. 45.
9. Ibid., par. 14, citant Redstone Investment Corporation (Re), 2015 ONSC 533 aux paragraphes 67 et 68.
10. Ibid, par.40, citant Microcell Communications Inc c. Frey, 2011 SKCA 136 au paragraphe 27.
11. Ibid., par. 23 et 25.
12. Ibid., par. 26 à 28.
13. Ibid., par. 35.
14. Ibid., par. 36.
15. Ibid., par. 46 et 51.
16. Ibid., par. 51.
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