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La Convention de la Baie-James et du Nord québécois (CBJNQ), signée le 11 novembre 1975, marque un tournant dans l'histoire canadienne en matière de droits autochtones. Premier « traité moderne » au pays, elle résulte d'un compromis entre le Québec, le Canada, Hydro-Québec, les Cris et les Inuit, dans le contexte d'un projet hydroélectrique majeur initié par Robert Bourassa au début des années 1970.
Face à l'opposition des nations autochtones du Québec, des négociations historiques ont eu lieu, résultant dans la ratification de ce règlement historique. Cinquante ans plus tard, cette chronique propose une analyse de l'héritage de la CBJNQ du point de vue autochtone, entre avancées significatives et zones d'ombre persistantes.
Une entente fondatrice, mais imposée par l'urgence
La CBJNQ est née dans un contexte de pression intense. Le gouvernement du Québec souhaitait lancer rapidement le projet hydroélectrique de la Baie James, considéré comme vital pour l'économie provinciale. Par le fait même, le gouvernement du Québec et Hydro-Québec avaient emprunté des sommes considérables auprès des banques américaines et européennes pour financer ce projet titanesque.
Les nations autochtones du Québec, dont les territoires ancestraux étaient directement menacés, se sont mobilisées et ont intenté des recours judiciaires visant à contester la légalité des travaux initiés sans leur consentement et sans les consulter.
Les Autochtones obtiennent d'abord une injonction en 1973 de la Cour supérieure du Québec par laquelle le juge Malouf ordonne l'arrêt des travaux déjà très avancés. La Cour d'appel infirme la décision quelques semaines plus tard et permet la reprise du projet de construction des barrages. La cause se rend ultimement à la Cour Suprême du Canada.
Les parties décident de négocier plutôt que risquer une décision judiciaire finale et incertaine. Cette situation a forcé des négociations rapides : 14 mois de négociations menant à la signature de la CBJNQ, alors qu'il faut en moyenne plus de 30 ans pour négocier un traité moderne.
À la même époque, la Cour Suprême du Canada reconnaissait l'existence d'un titre ancestral autochtone (cause Calder) obligeant le gouvernement fédéral à adopter une politique portant sur les revendications territoriales autochtones. C'est dans ce contexte particulier que la CBJNQ a pu être négociée.
Du point de vue autochtone, il s'agissait d'un compromis
imposé par l'urgence, afin de sauver ce qui
pouvait l'être
, comme l'a exprimé Philip
Awashish, leader cri de l'époque. Cette perception
demeure centrale dans la mémoire collective : la CBJNQ
n'était pas un choix libre, mais une réponse
à une situation critique.
Les acquis : autonomie et reconnaissance
Malgré ce contexte difficile, la CBJNQ a apporté des acquis majeurs. Les Cris et les Inuit ont obtenu des droits exclusifs de chasse, de pêche et de piégeage sur leur territoire ancestral. La convention a permis la création d'institutions cries et inuit, telles qu'une commission scolaire, des services de santé et services sociaux, des services de police et de justice renforçant leur gouvernance.
Les compensations financières versées aux Cris et aux Inuit ont offert un cadre financier permettant aux deux nations de créer plusieurs entreprises qui existent encore aujourd'hui et d'investir pour les générations futures. Ces avancées ont également favorisé l'émergence d'une élite politique et administrative crie et inuit, contribuant à l'affirmation identitaire et à une meilleure autonomie dans la gestion de leurs affaires.
Les zones d'ombre : iniquités et bouleversements
Cependant, ces acquis s'accompagnent de zones d'ombre. Les nations autochtones ont dû renoncer à leur titre ancestral sur près de 1 million de kilomètres carrés en échange des compensations. La sédentarisation forcée a affecté des modes de vie nomades et des tensions culturelles. Certaines communautés ont profité des retombées économiques, tandis que d'autres sont restées marginalisées.
Les défis environnementaux se sont multipliés : exploitation minière et forestière, impacts cumulatifs sur la biodiversité et sur les territoires traditionnels. Ces réalités rappellent que la CBJNQ, malgré ses avancées, n'a pas éliminé les inégalités structurelles et systémiques, loin de là.
De plus, à la demande formelle du gouvernement du Québec, le gouvernement fédéral a adopté une loi mettant en Suvre la CBJNQ et éteignant du même coup les titres territoriaux de plusieurs communautés innue, atikamekw et anicinabe sans que ces dernières soient reconnues par la CBJNQ et sans qu'aucune compensation ne leur soit versée.
La plupart d'entre elles ont d'ailleurs intenté des recours judiciaires pour contester la validité de cette loi fédérale. Le gouvernement du Québec s'était pourtant engagé à négocier avec ces nations (article 2.14 de la CBJNQ), mais, même après 50 ans, aucune entente n'a été conclue avec celles-ci.
50 ans plus tard : bilan et perspectives
Aujourd'hui, la CBJNQ est considérée comme
une pierre angulaire
de la modernité crie
et inuit, mais elle demeure un traité incomplet et en
constante évolution. Des ententes complémentaires,
comme la Paix des braves en 2002, ont été
nécessaires pour ajuster les engagements initiaux. La
gouvernance autochtone s'est renforcée, mais les enjeux
de souveraineté et de consentement préalable
persistent. Les Cris et les Inuit réfléchissent
à la manière de concilier développement
durable, autonomie et préservation culturelle, dans un
contexte marqué par les pressions économiques et
climatiques.
La CBJNQ a ouvert la voie à un dialogue de nation à nation, mais le chemin vers une véritable autodétermination reste long. Cinquante ans après, les Cris et les Inuit continuent de défendre leurs droits face aux défis contemporains.
Quant aux autres nations autochtones au Québec, il faut rappeler que la nation naskapie s'est entendue avec le Canada et le Québec en 1978 en ratifiant la Convention du Nord-Est (un modèle similaire à la CBJNQ). À part cette exception, il n'y a pas eu de traités modernes conclus depuis au Québec.
Quelques nations autochtones ont déposé leurs revendications territoriales et ont entamé des négociations avec le Canada et le Québec, certaines sont d'ailleurs assez avancées. Mais pour la plupart des autres nations autochtones au Québec, les conditions imposées par la politique des revendications territoriales du gouvernement fédéral et l'attitude inflexible du gouvernement du Québec face à la reconnaissance de leurs droits ne semblent pas répondre à leurs aspirations.
Lorsqu'on observe le tableau actuel avec les volontés affichées des gouvernements fédéral et du Québec d'accélérer la réalisation de plusieurs projets de développement de ressources naturelles et d'infrastructures, on peut se demander si le modèle de la CBJNQ pourra être reproduit à nouveau, tout en reconnaissant réellement les droits autochtones et en conservant le mode de vie des peuples concernés. À suivre.
Originally published by Radio-Canada Espace Autochtones, 12 November 2025
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