Key Take-aways
1. Le 1er juillet 2025, les nouvelles règles complémentaires pour les litiges en matière de trusts, successions et fondations (Règles TEF) du Swiss Arbitration Centre sont entrées en vigueur
2. Les Règles TEF offrent un cadre pratique pour la résolution des litiges en matière de patrimoine privé par le biais de l'arbitrage, conçu pour répondre aux spécificités des questions relatives aux trusts, aux successions et aux fondations
3. Les Règles TEF sont accompagnées de modèles de clauses d'arbitrage conçues pour être utilisées dans les testaments, les pactes successoraux, les actes de trusts et les statuts de fondations.
Comme indiqué dans notre Newsflash du 27 mai 2025, le Swiss Arbitration Centre a récemment publié des nouvelles règles complémentaires pour les litiges en matière de trusts, successions et fondations (appelées les “Règles TEF”). Ces règles sont entrées en vigueur le 1er juillet 2025. Dans cette Newsletter, nous discutons de la pertinence de l'arbitrage dans les litiges relatifs au patrimoine privé et exposons plus en détail les éléments clés des Règles TEF.
L'essor de l'arbitrage dans les litiges relatifs au patrimoine privé
L'arbitrage est une forme privée de résolution des litiges dans laquelle les parties conviennent de soumettre leur différend à un tribunal arbitral, dont la décision est contraignante et exécutoire sur le plan international en vertu de la Convention pour la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales étrangères (Convention de New York). Si l'arbitrage est traditionnellement la méthode privilégiée pour résoudre les litiges commerciaux, il gagne également du terrain dans les affaires de patrimoine privé, en particulier celles qui concernent les trusts, les successions et les fondations.
Cette évolution s'explique par l'internationalisation croissante des structures familiales, la planification successorale transfrontalière et le désir de procédures confidentielles, flexibles et rapides. Les parties impliquées dans des litiges relatifs au patrimoine privé se tournent vers l'arbitrage pour résoudre leurs différends en dehors des salles d'audience publiques, souvent dans des contextes très sensibles impliquant des actifs importants et des intérêts divergents.
L'extension de l'arbitrage aux questions relatives aux trusts, aux successions et aux fondations est remarquable. Les conventions d'arbitrage sont, par nature, consensuelles ; elles requièrent l'accord mutuel de deux ou plusieurs parties. Cependant, de nombreuses structures successorales reposent sur des instruments juridiques unilatéraux tels que les testaments, les actes constitutifs de trust ou les statuts de fondation. Cela soulève une question fondamentale : une clause arbitrale insérée unilatéralement par un testateur ou un fondateur peut-elle lier les héritiers ou les bénéficiaires qui n'ont jamais expressément accepté l'arbitrage ?
L'arbitrage gagne du terrain dans les affaires de patrimoine privé.
Le droit suisse apporte une réponse progressive. Depuis le 1er janvier 2021, les modifications du Code de procédure civile (CPC) et de la Loi fédérale sur le droit international privé (LDIP) confirment explicitement que les clauses d'arbitrage figurant dans des instruments juridiques unilatéraux tels que les testaments, les actes constitutifs de trust et les statuts de fondation (appelées “clauses d'arbitrage unilatérales”) sont valables en vertu du droit suisse, à condition que le siège de l'arbitrage se trouve en Suisse.
La portée exacte des clauses d'arbitrage unilatérales peut donner lieu à des controverses. Par exemple, les héritiers réservataires - qui bénéficient d'un droit à une part minimale de la succession en vertu du droit successoral suisse - ayant été exclus par le testament du défunt sont-ils néanmoins liés par une clause d'arbitrage contenue dans ce testament, lorsqu'ils veulent entamer une procédure pour faire valoir leurs droits légaux ? Les tribunaux suisses n'ont pas encore statué sur cette question, et la doctrine s'interroge sur le caractère contraignant d'une clause d'arbitrage unilatérale dans un tel cas.
Règles d'arbitrage spécifiques pour les litiges relatifs au patrimoine privé : les Règles TEF
Les conventions d'arbitrage désignent souvent un ensemble de règles procédurales régissant la procédure d'arbitrage. Ces règles sont généralement édictées par des institutions d'arbitrage, qui administrent également les procédures d'arbitrage menées en vertu de leurs règles. En Suisse, le Swiss Arbitration Centre est la principale institution d'arbitrage. Ses règles de procédure sont le Règlement suisse d'arbitrage international (les “Swiss Rules”).
Les Règles TEF fournissent un cadre spécifique pour l'arbitrage en matière de patrimoine privé.
Conscient du recours croissant à l'arbitrage dans les litiges relatifs au patrimoine privé, le Swiss Arbitration Centre a élaboré un cadre spécifique pour répondre aux défis procéduraux et juridiques uniques qui se posent dans ces affaires.
Les Règles TEF sont un ensemble de dispositions succinctes disponibles en anglais, allemand, français et italien. Elles comprennent des clauses d'arbitrage types pouvant être utilisées par les testateurs, les fondateurs et les constituants, et sont accompagnées d'une note explicative multilingue.
Champ d'application des Règles TEF
Les Règles TEF couvrent généralement trois scénarios.
Premièrement, les Règles TEF s'appliquent lorsqu'une clause d'arbitrage unilatérale prévoit un arbitrage selon les Swiss Rules. Dans ce cas, les Règles TEF s'appliquent automatiquement, même si la clause d'arbitrage unilatérale n'y fait pas spécifiquement référence.
Lorsque la clause d'arbitrage est incluse dans un accord bilatéral tel qu'un pacte successoral, les Règles TEF ne s'appliquent pas automatiquement, même si le litige porte sur un trust, une succession ou une fondation. Il appartient aux parties, au tribunal arbitral et au Swiss Arbitration Centre d'apprécier si la clause peut être qualifiée de clause d'arbitrage unilatérale. Selon la note explicative du Swiss Arbitration Centre, en cas de doute, il peut être prudent de supposer qu'il s'agit d'une clause d'arbitrage unilatérale et que, par conséquent, les Règles TEF s'appliquent.
Deuxièmement, les Règles TEF s'appliquent lorsqu'une clause d'arbitrage s'y réfère expressément ou aux règles qui les ont précédées, le Règlement d'introduction du Swiss Association for Arbitration en matière de successions.
Troisièmement, les Règles TEF s'appliquent lorsque les parties conviennent expressément de recourir à l'arbitrage en vertu de ces règles, indépendamment du fait qu'il existe déjà une convention d'arbitrage ou que celle-ci donnerait lieu à l'application des Règles TEF.
Les Règles TEF complètent les Swiss Rules. Cela signifie qu'en cas de silence des Règles TEF, les dispositions pertinentes des Swiss Rules s'appliquent par défaut.
Information, notification et représentation des ayants droit
Les litiges relatifs aux trusts, aux successions ou aux fondations ont souvent un impact sur un ensemble de personnes qui ne sont pas nécessairement parties au litige (du moins au départ), telles que les héritiers, les bénéficiaires, les légataires ou même les sociétés sous-jacentes (par exemple des sociétés familiales). Pour préserver leurs intérêts, de nombreuses juridictions exigent que certaines parties puissent participer aux procédures judiciaires liées au patrimoine.
Selon les Règles TEF, toutes les entités ou personnes, nées ou à naître, dont les droits sont susceptibles d'être affectés par le litige (les ayants droit) doivent être informées de la procédure d'arbitrage et avoir la possibilité de faire représenter leurs intérêts. Cela peut s'avérer décisif tant pour l'acceptation de toute sentence rendue dans le cadre de l'arbitrage que pour l'exécution éventuelle de la sentence arbitrale en Suisse et à l'étranger.
Les Règles TEF confient aux parties impliquées dans l'arbitrage la responsabilité d'identifier et d'assurer la représentation des ayants droit. Plus précisément, le demandeur doit inclure dans la notification d'arbitrage une liste de toutes les ayants droit, ainsi que les détails pertinents tels que leur lien avec le litige et leurs coordonnées. Le demandeur doit également identifier tout ayant droit susceptible d'avoir besoin d'un représentant légal (par exemple, les enfants à naître, les mineurs ou autres personnes ne jouissant pas de la capacité juridique) et proposer les modalités de désignation de ce représentant. Le défendeur est ensuite tenu de faire part de ses observations dans la réponse à la notification d'arbitrage.
Le Secrétariat du Swiss Arbitration Centre notifie ensuite la notification d'arbitrage et la réponse à la notification d'arbitrage aux ayants droit identifiés par les parties. Les ayants droit notifiés devront alors décider de participer à l'arbitrage en tant que partie additionnelle ou en une autre qualité, ou de ne pas y participer du tout.
Les ayants droit sont liés par les obligations de confidentialité de l'Article 44 des Swiss Rules
Nomination du tribunal arbitral
La nomination du tribunal arbitral en vertu des Règles TEF est soumise à la procédure standard des Swiss Rules. En outre, à moins que la convention d'arbitrage ou la clause d'arbitrage unilatérale ne confie la nomination exclusivement à la Cour d'arbitrage du Swiss Arbitration Centre (la ‘Cour'), les ayants droit identifiés dans le litige ont le droit d'être entendus au sujet de la nomination du tribunal, qu'ils aient choisi de participer à la procédure ou non. Il est important de préciser que le simple fait de commenter la nomination du tribunal arbitral n'équivaut pas à participer à l'arbitrage.
Les ayants droit peuvent notamment formuler des observations sur le nombre d'arbitres, la procédure de nomination, les qualifications et le nom des arbitres désignés par les parties, ainsi que toute divulgation par les candidats potentiels. La Cour tiendra compte de ces commentaires ou objections lors de la confirmation des arbitres et pourra refuser leur confirmation si cela se justifie.
Les ayants droit peuvent obtenir des informations sur l'avancement de la procédure de nomination ou accéder à la correspondance pertinente s'ils en font la demande.
Si tous les ayants droit ne sont pas représentés ou si les circonstances le justifient, la Cour peut nommer tout ou partie des membres du tribunal.
Droit matériel applicable
Conformément à l'Article 35 des Swiss Rules, le tribunal arbitral statue sur l'affaire en appliquant le droit désigné par les parties au litige ou, en l'absence d'élection de droit, le droit avec lequel le litige présente les liens les plus étroits.
Cette règle peut donner lieu à des tensions dans les affaires successorales où les règles de conflit de lois spécifiques sont souvent impératives et contraignent le défunt et les héritiers dans le choix de la loi régissant la succession.
Pour résoudre ce potentiel problème, l'Article 4 des Règles TEF exclut les questions successorales du champ d'application de l'Article 35 des Swiss Rules. Par conséquent, le droit matériel applicable est déterminé par les règles de conflit de lois pertinentes, telles que la LDIP en Suisse. Il est important de souligner que le “critère de rattachement” pertinent pour le champ d'application de ces règles peut varier en fonction de la juridiction. Par exemple, en vertu du Règlement européen sur les successions, le critère de rattachement clé est la dernière résidence habituelle du défunt, alors qu'en vertu de la LDIP suisse, c'est le dernier domicile (civil) du défunt. Dans certaines juridictions, les testateurs peuvent également choisir la loi applicable à leur succession par le biais d'une élection de droit valide. Par conséquent, la loi applicable peut varier considérablement d'un cas à l'autre, et les parties doivent examiner attentivement les règles de conflit de lois pertinentes dans chaque cas.
Éléments à prendre en compte lors de la rédaction de clauses d'arbitrage unilatérales
Les Règles TEF contiennent des modèles de clauses d'arbitrage conçues pour être utilisées dans les testaments, les pactes successoraux, les actes constitutifs de trust et les statuts de fondations. Ces clauses types aident les parties à créer des conventions d'arbitrage claires et réduisent le risque de litiges futurs sur la compétence ou l'exécution.
Des clauses types aident les rédacteurs à créer des conventions d'arbitrage efficaces.
Toutefois, les parties qui souhaitent inclure des clauses d'arbitrage unilatérales dans leurs instruments juridiques doivent garder à l'esprit les limites potentielles. Si les Règles TEF visent à assurer la représentation de tous les ayants droit afin de faciliter l'exécution des sentences arbitrales, leur reconnaissance et leur exécution peuvent encore se heurter à des obstacles juridiques dans certaines juridictions. En particulier, les “firewall provisions” dans de nombreuses juridictions de trusts offshores, qui sont conçues pour protéger les trusts locaux de l'application de lois étrangères si elles sont en conflit avec la loi locale du trust ou la ordre public, peuvent parfois constituer des obstacles à l'exécution des sentences arbitrales. Par conséquent, lors de la rédaction de clauses d'arbitrage unilatérales, il convient d'accorder une attention particulière au droit applicable et au droit de l'arbitrage de toutes les juridictions où l'exécution pourrait être demandée.
Perspectives d'avenir
Avec l'entrée en vigueur des Règles TEF, la Suisse consolide sa position en tant que lieu privilégié pour la résolution des litiges en matière de patrimoine privé. Les règles sont spécifiquement conçues pour répondre aux défis uniques auxquels sont confrontés les familles, les trustees et les bénéficiaires, en particulier la complexité des procédures multi-juridictionnelles, le besoin de confidentialité et l'importance de décisions exécutoires. En conséquence, les Règles TEF devraient encourager un recours accru à l'arbitrage dans les affaires de trusts, de successions et de fondations.
Outre leur contribution active à l'avenir de ce domaine par le biais de leur travail au sein du Swiss Arbitration Centre et de STEP, nos équipes des départements clients privés et arbitrage international sont déjà impliquées dans un grand nombre d'arbitrages en matière de patrimoine privé et ont développé une expertise considérable dans ce domaine. Nous connaissons bien les questions de procédure et de fond propres à ces litiges, tant en tant que conseils que comme arbitres. Nous nous attendons à ce que le nombre d'arbitrages dans ce domaine augmente régulièrement au cours des prochaines années, et restons déterminés à fournir à nos clients des conseils et une représentation de haute qualité.
Pour obtenir de l'aide dans la rédaction de clauses d'arbitrage unilatérales ou des conseils sur des litiges liés à des questions de patrimoine privé, veuillez contacter l'équipe de pratique arbitrage international et ou de clients privés de Schellenberg Wittmer.
The content of this article is intended to provide a general guide to the subject matter. Specialist advice should be sought about your specific circumstances.