Les Suvres d'art – qu'elles soient utilitaires ou purement esthétiques – bénéficient d'une protection juridique renforcée. Le droit moral de l'auteur, prévu à l'article L. 121-1 du Code de la propriété intellectuelle, garantit le respect de l'intégrité de l'Suvre. Il s'agit d'un droit perpétuel, inaliénable, qui permet à l'auteur (ou à ses ayants droit) de s'opposer à toute modification dénaturante, même lorsque l'Suvre est intégrée dans un projet public.
Mais que se passe-t-il lorsque ce droit entre en conflit avec les besoins d'aménagement public ? Les collectivités peuvent être contraintes de déplacer ou modifier une Suvre pour des raisons de sécurité, de rénovation urbaine ou à l'occasion d'événements exceptionnels – comme les Jeux Olympiques. Ces situations donnent lieu à des contentieux complexes, à la croisée du droit d'auteur, de la commande publique et de la responsabilité de droit commun.
Relocalisation d'Suvres publiques : entre droit moral et aménagement urbain
L'arrêt rendu par la Cour d'appel de Paris le 9 avril 2025 (n° 24/18170) illustre parfaitement cette tension. En 1999, l'artiste Guy de Rougemont avait réalisé pour la ville de Châteauroux une Suvre monumentale intitulée Les Piliers de la République : trois colonnes géométriques, hautes de dix mètres, aux couleurs bleu, blanc, rouge, incarnant la devise « Liberté, Égalité, Fraternité ».
En 2023, sans consulter les ayants droit, la ville de Châteauroux décide de déplacer l'Suvre vers une commune voisine située à environ sept kilomètres, en vue des Jeux Olympiques de 2024. Cette relocalisation s'inscrivait dans les préparatifs pour accueillir à Déols les épreuves de tir sportif.
Les ayants droit contestent ce transfert, estimant que le changement d'emplacement vidait l'Suvre de sa signification et affaiblissait sa portée symbolique, étroitement liée à son site d'origine. Ils ont alors saisi le tribunal judiciaire de Paris pour faire constater une atteinte au droit moral de l'artiste, obtenir réparation et demander la réinstallation de l'Suvre à son emplacement initial.
La commune de Châteauroux soulève une exception d'incompétence, soutenant que seul le juge administratif était compétent au regard du caractère public de l'aménagement en cause.
Compétence judiciaire ou administrative ? Une articulation clarifiée
La Cour d'appel de Paris clarifie cette délicate articulation entre les deux ordres de juridiction :
- Le juge judiciaire est seul compétent pour constater une atteinte au droit moral de l'auteur et pour statuer sur l'octroi de dommages-intérêts (article L. 331-3 CPI).
- Le juge administratif, en revanche, reste compétent pour ordonner des mesures concrètes affectant physiquement l'Suvre (réinstallation, déplacement, restauration...).
Cette répartition vise à garantir la protection des auteurs, tout en permettant aux pouvoirs publics de gérer les impératifs d'intérêt général.
Il n'en demeure pas moins que cette répartition de compétences entre les tribunaux judiciaires et administratifs demeure imparfaitement mise en Suvre, comme en témoigne une affaire récente jugée par le tribunal administratif de Montreuil (29 avril 2025, n°2505192), concernant la sécurisation et la restauration d'une sculpture-fontaine à Saint-Denis.
Pour éviter des décisions contradictoires et renforcer la sécurité juridique des projets publics intégrant des Suvres protégées, une coordination claire entre les deux ordres de juridiction s'impose à l'avenir.
Notre cabinet accompagne les artistes, ayants droit, collectivités et maîtres d'ouvrage dans la gestion juridique de ce type de situations sensibles, en conseil comme en contentieux. Anticiper ces problématiques permet d'éviter des blocages coûteux et de concilier efficacement création artistique et aménagement public.
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