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30 June 2025

Profession d'avocate: l'épreuve du statu quo

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Schellenberg Wittmer Ltd

Contributor

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En 2020, Monsieur le Bâtonnier Benoît Chappuis et moi-même avons publié un article relatif à la compliance dans les études d'avocat.
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I. Introduction

1 En 2020, Monsieur le Bâtonnier Benoît Chappuis et moi-même avons publié un article relatif à la compliance dans les études d'avocat1. Nous étions en pleine pandémie de la Covid-19; j'étais enceinte de mon second enfant et récemment associée. A plusieurs reprises, nos échanges relatifs à la contribution ont évolué vers des sujets plus personnels liés à la manière dont notre métier s'exerce. Je me souviens que Me Chappuis me racontait le plaisir d'aller chercher ses petitsenfants à la crèche; je lui confiais le bonheur mais aussi l'anxiété de concilier la cogestion d'une étude, enceinte, avec un enfant en bas âge gardé en crèche, le tout dans le contexte d'une pandémie qui bouleversait notre quotidien. Me Chappuis m'avait suggéré de tenter de savourer, malgré tout, ces moments, qui allaient passer trop vite. Naturellement, il avait raison.

2 La profession d'avocate2 , reflet des dynamiques sociétales, reste traversée par des inégalités marquées. Ces inégalités se matérialisent notamment dans la répartition des positions d'associées et associés au sein des études (en particulier celles organisées de manière dite « intégrée »), mais également dans la gouvernance des barreaux cantonaux ou encore le programme de trop nombreuses conférences académiques et professionnelles. Ces disparités ne sont ni accidentelles ni anodines: elles trouvent leurs racines dans des structures historiques, culturelles et sociales. Ce constat peut sembler inconfortable ; il est toutefois indispensable pour envisager un véritable progrès.

3 Il est par ailleurs essentiel de reconnaître que les inégalités de genre ne constituent pas le seul défi de société auquel notre profession doit faire face. Celle-ci est en effet également confrontée à de nombreuses questions d'(in)égalité (y compris sociale), de diversité et d'inclusion. Néanmoins, l'inégalité de genre reste une problématique particulièrement impactante, qui nécessite des actions ciblées, cela d'autant que la maternité représente un défi additionnel dans cette équation. Les avancées récentes en matière de représentation des femmes dans la profession – l'on constatait en 2019 8% de femmes associées dans les études suisses3 puis 13,6% en 20214 – sont naturellement bienvenues5. Ces progressions sont toutefois encore trop lentes.

Les inégalités s'inscrivent par ailleurs dans un contexte sociétal où les femmes et les mères subissent encore une pression sociale extrêmement forte liée à la maternité et au rôle que celles-ci sont censées prendre dans la société. En Suisse, les femmes ont six fois plus de chances que les hommes d'être les principaux supports familiaux et huit fois plus de chances d'être en charge des tâches ménagères6 . De plus, gérer le foyer, les activités des enfants et la garde d'enfants, y compris trouver une solution de garde pour les déplacements professionnels, représentent des défis majeurs pour les femmes actives en Suisse7 . Cette pression immense met trop souvent en danger leur santé mentale. Le décès de Me Vanessa Ford, associée senior de 47 ans chez Pinsent Masons, a suscité de très nombreuses réactions. Selon le coroner en charge de l'affaire, Me Ford est décédée alors qu'elle traversait une crise aiguë de santé mentale, cela après avoir travaillé de manière intensive sur l'acquisition du club de football Everton8 . Par communiqué, l'époux de Me Ford a indiqué que dans le cadre de cette transaction, qui a duré plusieurs mois, les journées de travail de son épouse pouvaient régulièrement atteindre 18 heures et que Me Ford ressentait une «culpabilité intense» à l'idée de ne pas être suffisamment présente pour sa famille à mesure que le travail sur la transaction s'intensifiait9 . Adresser la question de l'égalité de genre dans la profession d'avocate peut ainsi également permettre de remettre en question certains fonctionnements de la pratique de ce métier, en particulier dans les études appartenant au modèle dit Big Law. La question de la santé mentale des avocates et avocats, chère à Benoît Chappuis et intrinsèquement liée à celle de l'égalité, est elle aussi dans l'intérêt de chacune et chacun d'entre nous – mais également de la stabilité de nos études et, dès lors, des justiciables.

Cette contribution n'a pas la prétention de couvrir exhaustivement ce sujet essentiel et très complexe. A la suite de la présente introduction (Section I), elle tente de rappeler pourquoi la question de l'égalité de genre au sein de la profession reste pertinente (Section II) et présente modestement quelques pistes de réflexion et solutions pragmatiques (Section III). Ces réflexions et suggestions reposent sur des études en la matière, des initiatives d'associations professionnelles et, inévitablement, des expériences personnelles, vécues et/ou partagées. Quelques réflexions conclusives (Section IV) clôturent ce chapitre.

II. Pourquoi la question reste pertinente

Si les universités voient une forte proportion de femmes parmi leur corps estudiantin10, le constat est différent lorsqu'il s'agit d'accéder à des postes d'influence et de responsabilité. En ce qui concerne la profession d'avocate, les femmes restent notamment sous-représentées parmi les associées et associés des études helvétiques, en particulier dans les structures de type intégrées et les grandes études nationales. Au début de l'année 2024, alors que le taux de femmes membres de l'Ordre des avocats de Genève s'élevait à 42,33%, celui d'associées n'était que de 29,27% (contre une proportion de 62,5% d'avocates stagiaires et 56,78% de collaboratrices)11.

7 En outre, la question de la maternité accentue ces inégalités. Les avocates doivent alors en effet souvent faire face à des choix professionnels et personnels complexes, dans un contexte où le congé maternité est encore perçu et vécu comme une entrave à la progression de carrière. De nombreuses structures ne disposent par ailleurs pas de mécanismes pour soutenir les avocates en congé maternité et pour faciliter leur retour au travail, renforçant ainsi les obstacles à une évolution équitable de leur carrière.

8 Ces inégalités ne se limitent pas à un problème moral: elles affectent directement la qualité de la profession, pourtant auxiliaire de la justice. Dans l'intérêt des justiciables, il est essentiel que les avocates et avocats les plus capables, quel que soit leur genre ou leur situation familiale, aient accès aux opportunités qui leur permettent de faire valoir leurs talents.

III. Nous pouvons et devons faire mieux: quelques pistes pour avancer

A. Accepter la diversité d'opinions

9 Les femmes avocates ne forment pas un groupe homogène et leurs points de vue sur les questions d'égalité (entre autres) peuvent différer. Cette pluralité d'opinions est une force. Il est ainsi essentiel de reconnaître que toutes les voix ne convergeront pas vers un consensus unique, et que cela ne rend pas les revendications exprimées moins légitimes. Au contraire, la diversité des approches enrichit le débat et permet de concevoir des solutions adaptées à un éventail de besoins et de réalités12.

10 Ainsi, certaines préféreront l'appellation avocate ou consSur, d'autres non. Notre profession, qui sait s'adresser à maintes autorités conformément aux usages, devrait pouvoir face à ces quelques nuances. De même, et fort heureusement, le 100% des femmes pratiquant la profession n'a pas subi des discriminations importantes liées au genre ou des comportements inadéquats, voire pénalement répréhensibles13. Pour autant, la voix de celles qui font état de telles situations n'en est pas moins valide. Le débat, franchement stérile, autour de l'utilisation du langage épicène ou du point médian, par exemple dans les communications des Ordres cantonaux, est une autre illustration de ce phénomène dilatoire.

Les diversités d'opinions, légitimes et communes à tous les groupes de personnes, sont souvent instrumentalisées. Il est temps de les accepter et de ne plus y trouver une excuse pour ne pas adresser les problématiques de fond.

B. Aborder la problématique de manière transparente

Trop souvent, les discussions sur les inégalités dans la profession d'avocate sont évitées ou édulcorées. Pourtant, seule une considération franche des faits peut permettre un véritable changement. Les études ainsi que les Ordres cantonaux et la Fédération Suisse des Avocats (FSA) doivent instaurer, respectivement continuer de promouvoir, une culture de la transparence : collecte et publication des données relatives à l'association des femmes, mais aussi aux écarts de rémunération et aux obstacles rencontrés par les femmes dans leur progression de carrière. Cette transparence est essentielle pour mesurer les progrès et identifier les freins à l'égalité.

Il paraît également essentiel de reconnaître que le statu quo favorise les avocats et leurs progressions de carrière, de sorte que ces derniers n'ont ainsi pas toujours intérêt à ce que celui-ci évolue. En effet, passer cette réalité sous silence nous empêche d'adresser une partie de la problématique. La raison de ce silence part souvent d'un bon sentiment, celui de ne pas vouloir opposer les intérêts des hommes et des femmes. Dans sa globalité, l'approche est certainement valable dans la mesure où il est évident que l'égalité profite aux justiciables, aux études, à la profession et, dès lors, aux hommes comme aux femmes. A l'échelle individuelle, la compétitivité est marquée, que cela soit en termes de rémunération (et notamment dans la réalisation des objectifs de time sheets, moteurs des systèmes de rémunération de la plupart des études) ou de progression de carrière, cela en particulier dans les études de type intégrées où les opportunités d'association sont rares.

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