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16 July 2025

Usage antérieur : G1/23 précise les conditions dans lesquelles un produit mis sur le marché constitue une antériorité opposable à la brevetabilité

En 2023, la Grande Chambre de Recours a été saisie dans le cadre de l'affaire T0438/19 afin de clarifier si un produit disponible sur le marché doit être reproductible ou non pour faire partie de l'état de la technique...
France Intellectual Property

En 2023, la Grande Chambre de Recours a été saisie dans le cadre de l'affaire T0438/19 afin de clarifier si un produit disponible sur le marché doit être reproductible ou non pour faire partie de l'état de la technique au sens de l'Article 54(2) CBE.

Contexte

Devant l'OEB, et depuis la décision G1/92 concernant l'exigence de « mise à disposition du public » de l'article 54(2) CBE, « la composition chimique d'un produit fait partie de l'état de la technique dès lors que ce produit en tant que tel est accessible au public et qu'il peut être analysé et reproduit par l'homme du métier, indépendamment de la question de savoir s'il est possible de déceler des raisons particulières pour analyser cette composition ».

Dans la récente affaire T0438/19 relative au brevet européen EP 2 626 911, l'objet de la revendication 1, portant sur un matériau polymérique destiné à encapsuler les cellules de panneaux solaires, a été contesté pour défaut d'activité inventive au regard du produit ENGAGE® 8400 commercialement disponible avant la date de dépôt de la demande. Le breveté, se référant à l'avis G1/92 et à la décision T23/11, a répondu que le produit ENGAGE® 8400 ne pouvait constituer un art antérieur opposable (a fortiori l'art antérieur le plus proche) car il ne pouvait être reproduit de façon exacte sans charge excessive pour l'homme du métier. Pour pouvoir statuer sur l'activité inventive, la question de savoir si le produit ENGAGE® 8400 avait été mis à disposition du public avant la date effective du brevet était donc décisive.

Interprétations divergentes de l'avis G1/92

Au cours des 30 dernières années, des interprétations divergentes de G1/92 ont été faites vis-à-vis des aspects suivants :

  • l'interprétation de l'expression « accessible au public » conduisant à l'exclusion de l'état de la technique du produit lui-même (y compris sa composition chimique/sa structure interne) ou seulement de sa composition chimique/sa structure interne,
  • le degré d'analyse requis pour déterminer la composition d'un produit commercial, et
  • les conditions de reproductibilité du produit.

Si certaines chambres ont retenu comme critère que la composition exacte du produit devait pouvoir être analysée et reproduite (voir notamment T946/04, T2068/15), d'autres décisions n'ont pas exigé une condition aussi stricte (T952/92).

Le point (i) est d'importance cruciale dans l'affaire T0438/19. En effet, si la conclusion est que seule la composition est exclue de l'état de la technique, mais pas le produit en lui-même, celui-ci peut être utilisé comme point de départ pour l'évaluation de l'activité inventive, ce qui n'est pas le cas lorsque composition et produit sont tous deux exclus des antériorités opposables.

Saisine G1/23

Dans un souci d'application uniforme des critères d'exigence requis pour déterminer si un produit commercial fait partie de l'état de la technique, la Grande Chambre de Recours a donc été saisie des 3 questions suivantes :

  1. Un produit mis sur le marché avant la date de dépôt d'une demande de brevet européen doit-il être exclu de l'état de la technique au sens de l'article 54(2) CBE au seul motif que sa composition ou sa structure interne ne pouvait pas être analysée et reproduite sans efforts excessifs par la personne du métier avant cette date ?
  2. Si la réponse à la question 1 est négative, l'information technique sur ledit produit rendue accessible au public avant la date de dépôt (par exemple par la publication d'une brochure technique, d'une littérature brevet ou non brevet) fait-elle partie de l'état de la technique au sens de l'article 54(2) CBE, indépendamment du fait que la composition ou la structure interne du produit pouvait être analysée et reproduite sans efforts excessifs par la personne du métier avant cette date ?
  3. Si la réponse à la question 1 est positive ou si la réponse à la question 2 est négative, quels sont les critères à appliquer pour déterminer si la composition ou la structure interne du produit pouvait ou non être analysée et reproduite sans effort excessif au sens de l'avis G 1/92 ? En particulier, est-il exigé que la composition et la structure interne du produit soient entièrement analysables et reproductibles à l'identique ?

Procédure orale

La procédure orale de G1/23 s'est tenue le 12 mars 2025.

Sans surprise, la partie requérante (opposante au brevet) a argumenté en faveur du « non » en réponse à la question 1, invoquant un défaut de base légale pour une telle exigence de reproductibilité et argumentant que celle-ci introduirait une notion de subjectivité dans le test de nouveauté.

Le breveté a quant à lui argumenté en faveur du « oui ». Les divulgations écrites devant répondre à l'exigence de divulgation suffisante pour faire partie de l'état de la technique, il n'y a aucune raison que le même principe ne s'applique pas aux produits physiques commercialisés. Le breveté a également fait valoir qu'un produit non reproductible n'enrichit pas les connaissances générales de la même façon que le fait une invention divulguée dans une demande de brevet. Par conséquent, un tel produit ne devrait pas être considéré comme un état de la technique.

G1/23 : décision de la Grande Chambre de Recours

La décision écrite G1/23 a été émise le 2 juillet 2025.

A la question 1, la Grande Chambre répond par la négative. Un produit mis sur le marché avant la date de dépôt d'une demande de brevet européen ne doit pas être exclu de l'état de la technique au seul motif que sa composition ou sa structure interne ne pouvait pas être analysée et reproduite sans efforts excessifs par la personne du métier avant cette date.

Selon la Grande Chambre, le fait de ne pas considérer un produit commercial comme faisant partie de l'état de la technique crée une fiction juridique selon laquelle le produit n'existerait pas. Or, une fiction juridique qui supplanterait les faits doit être explicitement prévue par la loi, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

Se tenir à l'interprétation que des produits non-reproductibles sont exclus de l'état de la technique mènerait donc à des résultats absurdes, où les produits existants seraient exclus de l'état de la technique, ce qui n'était certainement pas envisagé par G1/92.

L'interprétation selon laquelle un produit fait partie de l'état de la technique mais pas sa composition ne tient pas non plus selon la Grande Chambre.

La Grande Chambre considère donc que l'interprétation correcte de G1/92 est la suivante : « La composition chimique d'un produit fait partie de l'état de la technique lorsque le produit en tant que tel est accessible au public et peut être analysé par l'homme du métier, que l'on puisse ou non identifier des raisons particulières d'analyser la composition. ».

En d'autres termes, un produit physique mis sur le marché fait donc partie de l'état de la technique au sens de l'Article 54(2) CBE, et ce indépendamment de la possibilité de le reproduire ou pas. Ce principe s'applique mutatis mutandis à sa composition/structure interne.

La Grande Chambre répond de manière affirmative à la question 2 :

Les informations techniques relatives à un tel produit qui ont été rendues accessibles au public avant la date de dépôt font partie de l'état de la technique au sens de l'article 54(2) CBE, indépendamment du fait que la personne du métier pouvait ou non analyser et reproduire le produit et sa composition ou sa structure interne avant cette date.

Au regard des réponses aux questions 1 et 2, la question 3 est sans objet.

La Grande Chambre précise en outre que le retrait du marché du produit en question ne fait pas disparaitre rétroactivement de l'état de la technique l'enseignement qui a été tiré de celui-ci, quand bien même le contenu de cet enseignement peut être difficile à établir ultérieurement.

Conséquences

Une conséquence potentielle de la décision G1/23 pourrait être l'introduction d'une exclusion de la brevetabilité du type « on-sale bar », telle qu'elle est appliquée par l'USPTO aux Etats-Unis. Selon cette règle, tout produit ayant fait l'objet d'une vente depuis plus de 12 mois ne peut plus être breveté.

Au regard de cette décision, les déposants pourraient être motivés à déposer des demandes de brevets plus rapidement ou à faire preuve de davantage de prudence lors de la commercialisation d'un produit pour lequel une protection par brevet pourrait encore être demandée ultérieurement.

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