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2 April 2025

La Cour suprême du Canada invalide les plafonds imposés par l'Ontario aux dépenses de publicité politique de tiers

MT
McCarthy Tétrault LLP

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Dans l'affaire Ontario (Procureur général) c. Working Families Coalition (Canada) Inc., une courte majorité de la Cour Suprême du Canada a annulé les dispositions de la Loi sur le financement des élections de l'Ontario (la « LFE ») qui limitaient les dépenses de publicité politique que peuvent engager les tiers au cours d'une année électorale. La Cour a estimé que ces plafonds de dépenses violaient le droit constitutionnel des citoyens de voter, garanti par l'art. 3 de la Charte, qui protège non seulement le droit de déposer un bulletin dans une urne, mais aussi le droit de participer utilement au processus électoral.

Cette décision modifie le paysage juridique de la publicité politique de tiers au Canada et élargit la portée de la composante informationnelle du droit de vote garanti par l'art. 3 de la Charte.

Contexte

Dans le jargon du droit électoral, un « tiers » s'entend d'une personne ou entité qui n'est ni un candidat, ni un parti politique, ni une association de circonscription locale. Les syndicats, les associations représentant des intérêts commerciaux et les organisations de la société civile sont des exemples de tiers.

Ces tiers peuvent vouloir influencer les résultats d'élections canadiennes, notamment en affectant des sommes d'argent à la publicité électorale. Ce sont ces dépenses qui étaient visées par les dispositions de la LFE que la Cour a invalidées dans l'affaire Working Families.

Lors des dernières élections provinciales en Ontario, Élections Ontario a répertorié 40 tiers enregistrés pour la publicité politique, dont des groupes d'intérêt, des organismes de bienfaisance, des syndicats et des organisations professionnelles1. L'art. 37.10.1(2) de la LFE limite les dépenses de publicité politique de ces tiers à 600 000 $ pour l'année civile durant laquelle se tient une élection provinciale, et à 24 000 $ dans une circonscription provinciale au cours de la même période.

Ces plafonds de dépenses de tiers ont été étendus au-delà de la publicité électorale pour englober un large éventail de messages politiques, y compris la « publicité axée sur des enjeux » (p. ex., la publicité axée sur des enjeux liés à l'éducation, la justice, les Autochtones, la santé, l'environnement et l'économie). Les plafonds de dépenses ont été adoptés pour la première fois en 2017. En 2021, la période de restriction a été doublée, passant de 6 à 12 mois.

Les plafonds de dépenses de tiers imposés par la LFE s'appliquaient aux publicités diffusées dans un large éventail de médias, notamment les blogues, la presse écrite, les médias sociaux, la télévision, les émissions de radio et bien d'autres encore. Alors que les tiers ne peuvent dépenser plus de 600 000 dollars sur une période de 12 mois sous le régime de la LFE, les partis politiques inscrits ne sont assujettis à aucun plafond de dépenses pendant les six premiers mois d'une année électorale, et ils peuvent dépenser jusqu'à 1 000 000 $ pendant les six mois suivants.

Un groupe d'organisations de la société civile, de syndicats et de citoyens a contesté les plafonds de dépenses de tiers au motif qu'ils contrevenaient à la liberté d'expression garantie par l'art. 2b) de la Charte. Ils ont eu gain de cause. L'Ontario a alors invoqué l'art. 33 de la Charte (la « disposition de dérogation ») pour soutenir que les plafonds de dépenses de tiers s'appliquent nonobstant les art. 2 et 7 à 15 de la Charte. En réponse, les requérants ont de nouveau contesté les plafonds de dépenses, cette fois-ci sur le fondement du droit de vote garanti par l'art. 3 de la Charte qui n'est pas assujetti à la disposition de dérogation.

La Cour supérieure de justice de l'Ontario a confirmé les plafonds de dépenses de tiers en vertu de l'art. 3 de la Charte. Une majorité de la Cour d'appel de l'Ontario les a invalidés.

Décision

La Cour suprême du Canada a estimé, à une majorité de 5 contre 4, que les restrictions imposées aux dépenses de tiers limitaient de manière injustifiée le droit de vote garanti par l'art. 3 de la Charte.

La majorité a estimé que le fait de limiter les dépenses de tiers alors que les partis politiques n'étaient pas soumis à des limites analogues entraînait un déséquilibre au plan de la publicité politique, les partis politiques pouvant « saturer le débat » ou « étouffer la voix des tiers » au cours de l'année précédent une élection2. Ce déséquilibre était incompatible avec le droit de vote, qui comprend le droit de participer de manière utile aux élections et de voter de façon éclairée. Ces droits exigent une proportionnalité dans le débat politique.

La majorité a confirmé le modèle électoral égalitaire au Canada, qui vise à mettre en équilibre les droits et privilèges des divers participants au processus électoral, y compris les partis politiques, les candidats, les tiers et les électeurs, « afin que ces derniers soient mieux informés »3. S'il n'est pas nécessaire que tous les participants soient traités de la même manière, ils doivent l'être de manière équitable ꟷ aucune voix n'est étouffée par une autre4.

La majorité a estimé que la limite posée au droit garanti par l'art. 3 de la Charte n'était pas justifiée au regard de l'art. 1 de la Charte, car la législation ne portait pas une atteinte minimale au droit de vote. Au contraire, la durée d'application du plafond des dépenses « outrepasse largement ce qui est raisonnablement nécessaire pour protéger l'intégrité du processus électoral ou le rôle prépondérant des partis politiques dans le processus électoral »5.

Quatre juges ont exprimé leur désaccord. Ils ont expliqué qu'une loi qui porte atteinte de façon injustifiée à la liberté d'expression garantie par l'art. 2(b) de la Charte ne porte pas nécessairement atteinte de façon injustifiée au droit de vote garanti par l'art. 3 de la Charte, étant donné que ces deux protections sont distinctes. Ils auraient conclu pour leur part que les plafonds de dépenses de tiers ne violaient pas le droit de vote garanti par l'art. 3 de la Charte.

Points à retenir

Le gouvernement de l'Ontario n'a pas encore proposé d'apporter des modifications à la LFE. L'Ontario, qui vient de terminer une campagne électorale provinciale ayant abouti à l'élection d'un gouvernement majoritaire, les Ontariens et Ontariennes ne devraient pas retourner aux urnes avant quelques années. Cependant, Working Families laisse la porte ouverte aux gouvernements ꟷ tant en Ontario qu'ailleurs au Canada ꟷ d'imposer des plafonds de dépenses à la publicité politique de tiers, ou d'autres limites à la participation électorale, à condition que ces limites soient soigneusement adaptées et proportionnées dans leur effet.

Dans le climat politique actuel, où les menaces de désinformation et d'ingérence étrangère sont omniprésentes, Working Families propose des principes pour guider les efforts de réforme électorale. La décision de la majorité envoie un message aux gouvernements et aux citoyens de tout le Canada sur la primauté continue du modèle électoral égalitaire dans ce pays : même si la législation peut traiter différemment divers participants électoraux, elle ne doit pas permettre à la voix d'un type de participants d'étouffer celle des autres ou de noyer le débat politique. Le groupe Working Families souligne qu'une participation utile et informée au processus électoral exige que les citoyens aient la possibilité d'entendre et d'évaluer une diversité de points de vue, et exige la proportionnalité et l'équilibre dans le discours politique.

Les motifs des juges dissidents fournissent également des indications sur les différences entre la liberté d'expression garantie par l'alinéa 2b) et le droit de vote garanti par l'art. 3 de la Charte. Ils reconnaissent que, bien qu'il puisse y avoir un chevauchement entre la protection garantie par l'al. 2b) et celle garantie par l'art. 3, cela ne les réduit pas à un seul droit fourre-tout. Comme la majorité n'a pas abordé les différences entre ces deux protections, il se peut que certains tribunaux se tournent vers les motifs dissidents pour guider leur réflexion.

Footnotes

1. Élections Ontario, « Tiers annonceurs ꟷ Élection générale provinciale de 2025 » (en ligne).

2. Working Families, aux par. 46 et 47, 55.

3. Working Families, au par. 32.

4. Working Families, au par. 33.

5. Working Families, au par. 62.

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