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6 November 2025

Rachats ordonnés par un tribunal s'agissant d'entreprises à peu d'actionnaires — Leçons d'un conflit familial en Ontario

MT
McCarthy Tétrault LLP

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Les sociétés familiales, à peu d'actionnaires, peuvent se trouver empêtrées dans des situations conflictuelles lorsque leurs relations personnelles et d'affaires entrent en conflit.
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Les sociétés familiales, à peu d'actionnaires, peuvent se trouver empêtrées dans des situations conflictuelles lorsque leurs relations personnelles et d'affaires entrent en conflit. Tari v. Darolfi1Tari »), un récent jugement de la Cour supérieure de justice de l'Ontario, illustre comment et pourquoi.

Les points clés à retenir de la décision Tari sont les suivants : (i) le recours en cas d'abus vise à protéger des attentes raisonnables et à refléter les réalités d'affaires, et non à remédier à des sentiments froissés ou à une illiquidité; (ii) un tribunal a le pouvoir d'ordonner un rachat pour résoudre une impasse ou un dysfonctionnement au sein d'une société à peu d'actionnaires, même s'il ne conclut pas à l'existence d'un abus.

La décision Tari offre des indications importantes à ceux qui dirigent ou conseillent des entreprises familiales à peu d'actionnaires. Dans ce billet, nous expliquons pourquoi.

Bref exposé des faits

Pendant près de trois décennies, le demandeur, Massimo Tari, a travaillé dans les entreprises de ses beaux-parents, D&R Electronics et Darta Enterprises, d'avec lesquels il est désormais séparé. Il a également travaillé auprès de deux sociétés de portefeuille immobilier, 152 et 240. Dans le cadre de la planification successorale de la famille, M. Tari détenait d'importantes participations en actions dans ces sociétés : une participation de 50 % dans Darta et une participation de 25 % dans chacune des sociétés de portefeuille2.

Les choses ont commencé à se précipiter lorsque la conjointe de M. Tari a remarqué un virement bancaire suspect. Une enquête interne a révélé un système de facturation frauduleux, que M. Tari avait orchestré pour frauder les entreprises de plus de 500 000 $3.

M. Tari a été congédié pour un motif valable et son accès aux entreprises lui a été interdit. Il a poursuivi les membres de sa famille pour abus et congédiement injustifié et a demandé à la Cour d'ordonner le rachat de ses participations dans Darta, 152 et 240. La famille Darolfi a présenté des demandes reconventionnelles alléguant, entre autres, fraude, tromperie et détournement de fonds4.

La décision de la Cour

La Cour a rejeté les allégations d'abus et de congédiement injustifié de M. Tari et a accueilli les demandes reconventionnelles de la famille pour fraude, tromperie et détournement de fonds5. Nous nous concentrons ci-après sur les deux points suivants : (i) le recours pour abus, que la Cour a rejeté; et (ii) la décision de la Cour d'ordonner à la famille Darolfi de racheter les actions de M. Tari dans Darta, à un prix devant être établi par un évaluateur neutre, même si M. Tari n'avait subi aucun abus.

M. Tari n'a subi aucun abus

En Ontario, le recours en cas d'abus prévu à l'art. 248 de la Loi sur les sociétés par actions6 (la « LSAO ») protège les attentes raisonnables des parties intéressées et les protège contre un comportement qui abuse de leurs intérêts, porte atteinte à leurs intérêts ou n'en tient pas compte. Selon le cadre annoncé par la Cour suprême du Canada dans l'affaire BCE7, le tribunal repère d'abord les attentes raisonnables du demandeur et détermine ensuite si la conduite en cause a contrevenu à ces attentes. Le tribunal a toute latitude pour « rendre l'ordonnance provisoire ou définitive qu'il estime opportune » pour remédier à l'abus8.

En l'espèce, la Cour a conclu que M. Tari n'avait pas subi d'abus pour trois raisons principales.

Premièrement, le contexte était important. Ces entreprises familiales ont fonctionné de façon informelle pendant des années. Il n'y a pas eu de réunions du conseil d'administration ou d'assemblées des actionnaires officielles, ni d'arrangements avec des parties liées. M. Tari a bénéficié de cette absence de formalité; ses attentes raisonnables ont donc été façonnées par un modèle de gouvernance informel établi de longue date. La Cour a conclu qu'il n'était pas raisonnable, après avoir été congédié pour un motif valable, que M. Tari s'attende à une formalité (ou à un accès) qui n'a jamais été la norme9.

Deuxièmement, l'exclusion de la direction de M. Tari et sa destitution à titre d'administrateur et de dirigeant étaient justifiées étant donné qu'il avait manqué à ses obligations fiduciaires en se livrant à des pratiques frauduleuses. L'exclusion et la destitution n'étaient donc pas abusives; M. Tari ne pouvait raisonnablement s'attendre à ce qu'il conserve ses fonctions de gestion et de gouvernance après avoir manqué à ses obligations fiduciaires en commettant une fraude10.

Troisièmement, la Cour a conclu que l'illiquidité ne constitue pas à elle seule un abus. En d'autres termes, en l'absence de droits de sortie explicites ou de conduite abusive, l'incapacité de vendre une participation minoritaire dans une société à peu d'actionnaires ne constitue pas un abus. Sans plus d'élément au dossier, le tribunal n'interviendra pas pour permettre à un actionnaire minoritaire de s'extirper d'une telle situation11.

Aucun abus nécessaire pour un rachat ordonné par le tribunal

Bien qu'elle n'ait pas conclu à l'existence d'abus, la Cour a ordonné le rachat par la famille Darolfi de la participation de 50 % de M. Tari dans Darta — à un prix devant être établi par un évaluateur neutre, sous la supervision de la Cour au besoin12 — en raison de l'[traduction] immense acrimonie » et de l'impossibilité pratique de poursuivre une participation à parts égales dans une entreprise en exploitation13. La Cour a conclu qu'une liquidation aurait été une solution draconienne et inutile compte tenu de la viabilité de Darta et de son effectif14.

En ordonnant un rachat, la Cour a exercé un large pouvoir pour concevoir des remèdes équitables dans les différends concernant les entreprises, même en l'absence de conclusions constatant l'existence d'un abus. Les tribunaux de l'Ontario ont par le passé conclu que ce pouvoir découlait des lois sur les sociétés, même si celles-ci ne le prévoient pas expressément15.

La Cour a ordonné aux parties de suivre un processus de rachat visant à faire évaluer les actions de M. Tari dans Darta, puis à les lui racheter16. La décision ne précise pas ce qui se passerait si la famille Darolfi ne disposait pas des liquidités suffisantes pour racheter les actions de M. Tari une fois celles-ci évaluées. Cela ne semble pas avoir été un sujet de préoccupation dans cette affaire, car la Cour indique que « [traduction] la famille Darolfi [a] reconnu qu'il... pourrait être raisonnable d'ordonner le rachat des actions [de M. Tari] dans Darta »17.

Aucun rachat pour sauver un actionnaire minoritaire de l'illiquidité

En ce qui concerne les sociétés de portefeuille, la Cour a rejeté la demande de M. Tari tendant à ce que des rachats soient ordonnés. Contrairement à Darta, les sociétés de portefeuille n'étaient pas des sociétés en exploitation, et M. Tari n'avait qu'une participation minoritaire dans chacune d'elles. Sa participation continue en tant qu'actionnaire minoritaire ne compromettrait donc pas la capacité des sociétés de portefeuille d'exercer leurs activités ni ne porterait atteinte aux intérêts des employés18.

La Cour a conclu que, parce qu'il n'y avait pas d'abus ni de droit de sortie prévu par contrat à l'égard des sociétés de portefeuille, et parce que leurs statuts constitutifs limitaient les transferts sans l'approbation du conseil d'administration, il n'y avait aucune raison d'intervenir19. La Cour a fait observer que l'illiquidité des actions de M. Tari dans les sociétés de portefeuille était inhérente à la structure des sociétés de portefeuille et ne constituait pas un motif de redressement. Elle a conclu qu'en l'absence d'abus ou d'un droit prévu par contrat, les tribunaux ne procéderont pas à la réintégration de la liquidité dans les sociétés de portefeuille20.

Points clés à retenir

  1. Les stratégies de sortie doivent être documentées dès le premier jour. Si la liquidité est importante pour les actionnaires minoritaires, elle doit être négociée et documentée (p. ex., sous la forme d'une clause de rachat forcé ou d'une clause de droit de premier refus (ROFR)). Les tribunaux n'imposeront pas la liquidité pour permettre à des actionnaires minoritaires de s'extirper de leur situation, en particulier lorsqu'il s'agit d'une société de portefeuille.
  2. Les attentes raisonnables sont fondées sur les faits. Une gouvernance informelle de longue date limite les attentes futures. Les attentes raisonnables d'une partie sont façonnées par la pratique en vigueur, en particulier lorsqu'elle y a participé et en a bénéficié.
  3. Des rachats peuvent être ordonnés même en l'absence d'abus. Même si l'exclusion d'un fiduciaire qui a commis une fraude n'est pas un cas d'abus, les tribunaux peuvent envisager un rachat pour préserver des entreprises par ailleurs viables qui sont aux prises avec une situation d'impasse ou un dysfonctionnement.

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Footnotes

1. 2025 ONSC 5104.

2. Tari, aux par. 27 à 29.

3. Tari, aux par. 57 à 58, 74, 103 et 107.

4. Tari, aux par. 7 et 110.

5. Tari, aux par. 86, 120, 126, 130, 146 et 188.

6. L.R.O. 1990, c. B.16.

7. BCE Inc. c. Détenteurs de débentures de 1976, 2008 CSC 69.

8. LSAO, art. 248(3). Voir aussi Loi canadienne sur les sociétés par actions, L.R.C. 1985, c. C-44, art. 241(3); Wilson c. Alharayeri, 2017 CSC 39, aux par. 1, 25 et 26.

9. Tari, aux par. 83 à 85 et 108.

10. Tari, aux par. 83 à 85, 103, 107 et 108.

11. Tari, par. 144 à 147.

12. Tari, au par. 188(k)4.

13. Tari, au par. 157.

14. Tari, au par. 154.

15. Voir par ex. Wittlin v. Bergman (1995), 25 O.R. (3d) 761 (C.A.); Muscillo v. Bulk Transfer Systems Inc. (2009), 61 B.L.R. (4th) 92 (Ont. S.C.), aux par. 10, 22, 52 et 87.

16. Tari, au par. 188(k).

17. Tari, au par. 155. Dans d'autres décisions, les tribunaux de l'Ontario ont ordonné à des sociétés d'obtenir le financement permettant d'effectuer le rachat (Mroz v. Shuttleworth (1996), 30 O.R. (3d) 205 (Gen. Div.), voire de procéder à un processus de vente aux enchères publiques (Polano v. Brissette, [1992] O.J. No. 4027 (Gen. Div.), Endorsement au par. 8; Order au par. 1), et ce, afin de résoudre une impasse ou un dysfonctionnement — et dans tous les cas, en l'absence d'une conclusion confirmant l'existence d'un abus.

18. Tari, au par. 155.

19. Tari, aux par. 146 et 147, 156.

20. Tari, aux par. 144 à 147.

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