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L'arrêt rendu par la Cour suprême de la Colombie-Britannique en septembre 2025, Yen v Ghahramani, 2025 BCSC 17781, illustre les risques liés au recours à des ententes privées et informelles dans le cadre de la gouvernance de sociétés fermées.
Dans la décision Yen, la Cour a refusé de donner effet aux attentes d'un cofondateur déçu concernant la manière dont la société serait gérée (et le rôle de ce cofondateur dans cette gouvernance) dans le futur. Les attentes du cofondateur déçu étaient fondées sur de prétendues ententes intervenues entre lui-même et un autre cofondateur. L'autre cofondateur a contesté ces prétendues ententes lors du procès. Le cofondateur déçu s'est appuyé sur une série d'ententes écrites intervenues entre les deux cofondateurs concernant l'organisation et la gouvernance de la société. Mais ces ententes avaient été tenues secrètes à l'égard des coactionnaires des cofondateurs, et elles ne reflétaient que de manière implicite les attentes du cofondateur déçu. Résultat : l'un des cofondateurs a été autorisé à obtenir le contrôle des voix de la société, puis il a écarté l'autre cofondateur du conseil d'administration et a supprimé son emploi et son salaire au sein de la société.
Une convention entre actionnaires en bonne et due forme et universelle aurait pu épargner à ces parties des années de litige. Il en aurait été de même si l'on avait insisté sur la nécessité de bien documenter la façon dont chacune des parties entendait demeurer au sein de la société et le rôle qu'elle y jouerait. Toutefois, ces mesures — bien que souhaitables — ne correspondraient pas au manque de formalisme et au dynamisme qui caractérisent souvent la gouvernance d'entreprises en phase de démarrage. L'affaire Yen vient rappeler utilement les inconvénients éventuels inhérents au manque de formalisme.
Le contexte et le déclin d'airG
Trois étudiants en ingénierie ont cofondé en l'an 2000 une entreprise de logiciels mobiles qui est devenue airG Inc. En 2004, il ne restait plus que Vincent Yen et Frederick Ghahramani, qui avaient racheté à parts égales les actions des fondateurs précédents. Jusqu'en février 2021, Yen et Ghahramani détenaient et contrôlaient à parts égales 88,74 % des actions ordinaires d'airG. Ils avaient maintenu une participation à parts égales dans le cadre d'un certain nombre d'opérations sur actions au cours des décennies précédentes.
Yen et Ghahramani ont dirigé airG de manière informelle. Ils ont conclu une série d'ententes privées entre 2009 et 2015. Les cofondateurs ont dissimulé ces ententes à airG et aux autres actionnaires. Les ententes régissaient leur rémunération, leurs primes et leurs pratiques en matière de dépenses, et traitaient de certains achats d'actions auprès d'investisseurs providentiels, auxquels les cofondateurs participaient à parts égales. Les modalités de ces ententes n'avaient pas été consignées dans les documents constitutifs d'airG, et aucune convention entre actionnaires n'en faisait état.
À partir de 2009, la relation entre les cofondateurs s'est détériorée. Chacun d'eux a finalement tenté de convaincre les investisseurs providentiels restants de voter en sa faveur afin d'évincer l'autre du conseil d'administration de la société.
En 2021, Ghahramani a acheté les actions d'airG détenues par deux investisseurs providentiels. C'était la première fois que les cofondateurs détenaient des participations avec droit de vote inégales dans la société. Ghahramani a alors convoqué une assemblée extraordinaire des actionnaires d'airG, au cours de laquelle la majorité des actionnaires votants a décidé de destituer Yen en tant qu'administrateur. Yen a alors intenté des poursuites, déposant une réclamation pour abus fondée sur le fait qu'il s'attendait à demeurer membre du conseil d'administration indéfiniment et sur l'existence présumée d'une entente visant une propriété des actions à parts égales. Il a demandé la liquidation d'airG par décision de justice.
La décision de la Cour
Toutes les réclamations de Yen ont été rejetées.
La Cour suprême de la Colombie-Britannique a statué qu'il n'existait pas d'entente exécutoire sur la propriété des actions à parts égales. La Cour a rejeté les ententes secrètes intervenues entre les cofondateurs pour justifier la prétendue attente de Yen selon laquelle il demeurerait un actionnaire à parts égales avec Ghahramani. Selon la Cour, Yen n'était pas habilité à se prévaloir de ces ententes, pour la raison que Ghahramani et lui-même les avaient tenues secrètes à l'égard du conseiller juridique d'entreprise d'airG et d'autres parties prenantes, et les avaient utilisées pour traiter airG comme un « [traduction] guichet bancaire personnel », en violation de leurs obligations fiduciaires en tant qu'administrateurs2. La Cour a également estimé qu'il n'était pas commercialement raisonnable pour Yen de supposer qu'il avait droit indéfiniment à un emploi et à une rémunération du simple fait qu'il détenait des actions3, alors qu'il ne rendait aucun service régulier ou utile à airG et qu'il n'était qu'un employé sur papier seulement4.
En rejetant les réclamations de Yen, la Cour a également estimé qu'il ne pouvait pas raisonnablement s'attendre à demeurer au conseil d'administration d'airG. La Cour suprême du Canada a clairement établi qu'un traitement équitable est ce à quoi les parties intéressées peuvent « raisonnablement s'attendre »5, et Yen n'avait aucune raison valable de s'attendre à ce qu'il demeure au conseil d'administration de manière indéfinie. Une telle attente devait être objectivement fondée sur le cadre juridique de la société — par exemple, les documents constitutifs de la société ou une convention entre actionnaires — afin d'étayer un recours pour abus, ce qui n'était pas le cas en l'espèce. Pour citer la Cour : « [traduction] M. Ghahramani n'a pas eu un comportement abusif à l'égard de M. Yen; il l'a plutôt écarté en toute légalité »6.
Points d'intérêt
Les pratiques de gouvernance informelles des cofondateurs les ont exposés, ainsi que la société, à des litiges lorsque leur relation s'est détériorée. Les arrangements officieux intervenus entre Yen et Ghahramani, bien que mutuellement convenus et consignés par écrit, ont été jugés comme ayant miné la confiance et contrevenaient aux obligations fiduciaires. Cette situation aurait pu être évitée si les documents constitutifs de la société ou une convention entre actionnaires avaient abordé les questions qui ont fait l'objet du litige entre les cofondateurs.
L'absence de formalisme peut être une vertu pour l'exploitation d'une entreprise en phase de démarrage. Cependant, à mesure que les entreprises prennent de l'expansion, une absence de formalisme persistante combinée à un manque de transparence est un facteur de risque. La décision Yen montre que les arrangements informels et bilatéraux entre des cofondateurs pourraient ne pas étayer des réclamations pour abus; les attentes raisonnables doivent être fondées en droit, au lieu de reposer sur des vœux pieux ou des pratiques officieuses destinées à subvertir la gouvernance d'entreprise. Cela dit, la décision Yen ne devrait pas être interprétée comme signifiant que les accords de vote entre actionnaires sont inappropriés en soi, mais seulement qu'ils devraient être conclus avec prudence, dans les limites des pouvoirs pouvant être exercés au nom de la société.
La décision de la Cour et le long litige qui l'a précédée rappellent également aux fondateurs et aux investisseurs les conséquences du recours à des ententes informelles régissant la gouvernance de sociétés fermées. Il s'agit aussi d'une mise en garde pour tous les acquéreurs éventuels sur l'importance de comprendre les nuances des relations entre les fondateurs dans le cadre d'un processus de vérification diligente.
Footnotes
1. Yen v Ghahramani, 2025 BCSC 1778.
2. Yen c. Ghahramani, 2025 BCSC 1778, aux par. [129], [215] à [216].
3. Yen v Ghahramani, 2025 BCSC 1778, aux par. [292] à [295].
4. Yen v Ghahramani, 2025 BCSC 1778, au par. [296].
5. Yen v Ghahramani, 2025 BCSC 1778, au par. [190], citant BCE Inc. c. Détenteurs de débentures de 1976,2008 CSC 69, au par. [64].
6. Yen v Ghahramani, 2025 BCSC 1778, au par. [15].
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